Qui a tué Roger Ackroyd ? Premier épisode : le belge et l'italien.
Ceux qui savent qui est Roger Ackroyd n'auront pas de problèmes d'identification de ce personnage de roman policier, les autres chercheront...
Le narrateur est le conteur de sa propre histoire. Mais il omet de tout nous raconter et ne relate que ce qui pourrait l'arranger, agissant comme souffrant d'un scotome perturbant la vision des événements dont il est le principal acteur et fautif ; il adapte la réalité, nous narrant sa réalité. Se plaçant comme spectateur-conteur, il prend ce recul nécessaire de chroniqueur attentif à tous les détails chronologiques et horodatés des événements. Et ce sont pourtant ces détails qui vont permettre de démasquer le coupable ! Ce roman policier est construit comme ceux télévisés du célèbre Columbo. Nous connaissons le coupable avant le détective et tout l'art narratif tient aux façons d'opérer du policier (détective) à obtenir sinon les aveux du moins les preuves accablantes de la culpabilité du meurtrier. Dans le premier épisode de Columbo intitulé "Inculpé de meurtre" de 1968, le psychiatre coupable du meurtre de sa femme, va, dans une magnifique scène "d'analyse" du Lieutenant (dont c'est la première apparition à l'écran), brosser le profil psycho-affectif du Columbo, véritable anti héros hollywoodien par excellence, qui nous passionnera (surtout nous) pendant plus de trente ans de 1968 à 2003 et incarné par ce prodigieux acteur décédé en 2011, Peter Falk.
Dissemblables dans leur aspect extérieur, Poirot et Columbo se ressemblent dans leur façon de procéder. Telles des mouches à miel (ou mieux des mouches à m...) ils traquent leur suspect et l'utilisent le plus souvent pour élucider les petits détails insolites qui par leur présence et leur assemblage permettent la reconstitution de l'ensemble et comme dans une grande toile d'araignée vont progressivement "emprisonner" le coupable.
L'un est italien, marié à une femme invisible et pourtant bien présente, petit et d'allure négligée dans ses habits usés toujours les mêmes pendant trente ans (!), à la limite de la présentation d'un clochard, les cheveux de plus en plus en bataille, le cigare allumé et toujours à la recherche de son crayon. Il énerve mais on ne peut lui en vouloir et attire même la sympathie par pitié et compassion de la part de ceux qu'il rencontre, sa force tient à sa faiblesse constitutive apparente. Il donne l'air d'être inoffensif et peu compétent, cachant par ce masque un être redoutable, car comme Poirot, le héros d'Agatha Christie, il a pour devise : "On ne peut rien me cacher!"
Poirot a un physique contraire, certes petit aussi, mais belge et d'une fatuité sans bornes, il agace par son autoritarisme et ses manières spécieuses. Méticuleux et obsessionnel, c'est aussi un solitaire qui ne lâche jamais la proie qui, progressivement et sans violence, tombera dans sa main, tendue pour le "cueillir". Dans les différentes et nombreuses histoires de ces deux détectives, il n'y a pas de violence (en dehors du crime, naturellement). Le ou la coupable sont des meurtriers "occasionnels" ne rentrant pas dans la catégorie des psychopathes ou des serial-killers. Le coupable est souvent un notable, cultivé, riche presque toujours. Son crime est très bien organisé, il agit souvent de sang froid. Ce crime "parfait" est pourtant criblé de petits détails insolites, non prévus ou imprévisibles, véritables impromptus de la vie quotidienne qui vont lézarder le bel édifice du scénario criminel initialement bien agencé. La mise bout à bout de ces petites choses que l'on peut oublier facilement, aggravée souvent de la fatuité cupide du coupable, et l'éclairage que donneront ces deux limiers, dont l'acuité d'observation et d'analyse est sans égal, permettront la reconstitution exacte de l'événement criminel et la découverte logique du coupable.
Mais finalement, qui a tué Roger Ackroyd ?
(à suivre)