Alexandre le Grand, Dumas
Alexandre DUMAS, ou la vie d’un Géant.
Petit-fils d’une esclave noire de la colonie française de Saint Domingue (actuelle Haïti), fils d’un général de la république, puis de l’empire, il naquit la même année que celui qui deviendra un de ses amis les plus proches, Victor Hugo : “ce siècle avait deux ans”. Dans ses veines, coule le sang de ses aïeux : noblesse désargentée de la fin du XVIIIe, aventureuse par nécessité pécuniaire, sang chaud, voir bouillant de mulâtre, orgueil, courage et intrépidité seront ses qualités humaines premières doublées d’un sens de l’amitié et finalement d’un désintéressement personnel, comme ses Mousquetaires qu’il créera vers sa quarantième année. Il était grand et fort, il avait du charisme, de la verve, et savait raconter les histoires. Ses romans historiques sont de pures merveilles pédagogiques, même si la réalité historique est bouleversée voire réinventée. Beaucoup d’historiens avouent avoir eu la vocation grâce à la lecture de DUMAS..., cela n’a rien d’étonnant, c’est limpide, magique, fascinant.
Tout comme son contemporain Honoré de Balzac, dont il “tiendra les cordons du poêle” en 1850 avec Victor Hugo et Sainte-Beuve, sa vie est le roman d’un écrivain hors norme, prolifique, travaillant plus de dix heures par jour, ayant aimé plus de dix femmes dans sa vie, avec lesquelles il aura eu un peu moins de dix enfants, morts prématurément ou survivants comme le plus célèbre, Alexandre fils, auteur de La dame aux camélias. Mais cette vie déjà bien remplie se doublera d'engagements politiques et “militaires”, comme en 1830 avant l’avènement de Louis Philippe ou comme sur le sol italien auprès de Garibaldi en 1860. Il semble infatigable, toujours la plume à la main, sans cesse amoureux et sans cesse en mouvement. On peine à le suivre.
Dumas et Garibaldi et tombe de Balzac au Père Lachaise (Division 48 - Balzac 07), buste de David d'Angers
Et comme Balzac, il croule sous les dettes. Il fuit les créanciers et les décisions de justice, comme en 1851, coïncidant avec l'exil “massif” des opposants à Napoléon III, dit Napoléon “le petit”, comme l’écrira Victor Hugo, ce qui sera à l’origine de son propre exil pendant vingt-cinq ans. Dumas suivra ce dernier à Bruxelles. Et même sans argent, AD bouge et voyage sans cesse dans la deuxième partie de sa vie, comme son périple en Russie qui durera neuf mois, laissant femmes et enfants au pays tout en conservant des contacts épistolaires avec eux, ce qui permet de le suivre dans sa frénésie déambulatoire.
Si la biographie de DUMAS par Claude SCHOPP, le spécialiste incontesté de ce géant de la littérature française est épaisse, dense, passionnante, elle donne aussi les surdimensions ou l’extravagance du personnage : généreux, enthousiaste, travailleur, charismatique, amoureux, c’est un Géant comme l’atteste “l’énormité” de sa production littéraire, éditoriale, journalistique et théâtrale.
Laissons les commentateurs de l'époque nous en parler. Dans la revue des deux mondes, AD n’a qu’une trentaine d'années et déjà l’on écrit de lui: “M. Dumas est une des plus capricieuses expressions de l’époque actuelle. Passionné par tempérament, rusé par instinct, courageux par vanité, bon de coeur, faible de raison, imprévoyant de caractère,…, superstitieux quand il pense, religieux quand il écrit, sceptique quand il parle ; nègre d’origine et français de naissance, il est léger dans ses plus fougueuses ardeurs, son sang est une lave et sa pensée une étincelle,…, plus séduisant par ses vices que par ses vertus : voilà M Dumas tel qu’on l’aime,...” (p 264)
Il n’a que trente-cinq ans : “Laure, Mélanie, Belle, Marie, Hyacinthe, Caroline : le nombre dissimule mal le même comportement amoureux. La volonté obstinée d’être aimé, puis la chute rapide dans l’indifférence quand la femme s’est donnée. L’amoureux est un chasseur qui n’aime que la poursuite, Don Juan désolé sans doute de sa nécessaire cruauté.” (p 300)
Et parmi les succès : “Le Comte de Monte-Cristo, dont le premier feuilleton est imprimé dans Les Débats le 27 août (1844), soulève immédiatement un intérêt inouï, de la loge du concierge au salon du noble faubourg, de la boutique de l’épicier au palais royal. Le prince de Galles, futur Edouard VII, n’a-t-il pas surpris en pleine nuit, le premier ministre de Sa Gracieuse Majesté, Lord Salisbury, en train de lire le Comte de Monte-Cristo ? Quelques jours après, le Prince prend à part le ministre : “Monte-Cristo vous a fait sortir du lit à quatre heures et demie ; moi, c’est à quatre heures, ce matin, qu’il m’a jeté hors du mien.” (p 376)
Et parmi les nombreux deuils d’AD au cours de sa vie, son fils Alexandre témoigne : “Un jour je suis allé te voir, alors que tu terminais le Vicomte de Bragelonne, et je t’ai trouvé assis tristement dans un large fauteuil, te reposant, les yeux rouges : “Tu as pleuré. Qu’est ce que tu as?”. Je t’entends encore me répondre : “Un gros chagrin. Porthos est mort. Je viens de le tuer. Je n’ai pu m’empêcher de pleurer sur lui. Pauvre Porthos” (p 427)
Et enfin la longue lettre de Victor HUGO (qui n’a pas pu assister aux obsèques d’AD) à Alexandre le fils, véritable oraison funèbre de cet homme incomparable, quelque grand génie littéraire que produisit ce XIXe siècle si riche en artistes de tous genres : “Alexandre Dumas séduit, fascine, intéresse, amuse, enseigne. De tous ses ouvrages si multiples, si variés, si vivants, si charmants, si puissants, sort l’espèce de lumière propre à la France…” (p 595)
Alexandre Dumas - Claude Schopp - Fayard - 2002 - ISBN 2-213-61408-3