La Jérusalem délivrée - Torquato Tasso (1544-1595)
La Jérusalem libérée et qui deviendra délivrée est un texte magnifique, poème épique à l'égal de l'Iliade, dont il s'inspire, du moins dans la forme du récit et un peu dans le contenu... Composé en strophes de huit vers de onze pieds*, son auteur, Torquato Tasso detto il Tasso ou Le Tasse en français, sera célébré dans l'Italie entière et en Europe lors de sa parution en plusieurs parties, étalée sur plus de dix ans de 1560 à 1575. Sa postérité sera assurée par ce seul écrit, il inspirera de nombreux artistes, peintres et musiciens, en particulier Monteverdi**, mais aussi nos auteurs classiques, Corneille et Racine...
Montaigne au cours de son voyage en Italie ne manquera pas de faire une visite au Tasse alors qu'il est en prison à Ferrare.
Cette épopée "homérique" reprend les mêmes ingrédients que la tragédie classique : un même lieu, une même action ou un même but, une unité de temps ou presque. Mais à la différence d'Homère, l'Amour est présent et enflamme les cœurs des héros, Tancrède et Clorinde, Renauld et Armide, amours contre-nature, car ils sont ennemis, l'un est chrétien et l'autre musulman(e).., c'est à dire hérétique, incroyant, infidèle, etc. En cela le texte devient politiquement incorrect aujourd'hui, humainement critiquable, religieusement tendancieux, tendrement époustouflant, les larmes des héros nous font monter les nôtres, c'est beau, c'est grandiose, c'est héroïque.
La Troie d'Homère devient la Jérusalem du Tasse, les grecs sont les chrétiens et les troyens sont les musulmans, le but de l'opération est commun aux deux textes : entrer dans la ville et anéantir ses occupants... Du sang en abondance dans des combats de héros, mais du sang comme sur les peintures, il ne coule pas. Le pitch de la tragédie est simple : il s'agit de l'épisode du siège de Jérusalem au cours de la première croisade menée par Godefroy de Bouillon. Dans ce texte, le prosélytisme chrétien paraît sinon dicté du moins explicite. Si le manichéisme est bien présent, les rapports humains sont imprègnés de l'esprit chevaleresque et d'un certain respect pour l'adversaire. Là aussi, les larmes coulent abondamment.
L'amour terrestre renforce le drame d'une touche personnelle et humaine. Si le doute n'effleure pas l'esprit belliqueux des héros et des héroïnes, la passion amoureuse les transforme en des êtres de chair et de sang. Leurs contradictions, amour et haine, tendresse et vengeance, amour terrestre et amour céleste, dans lesquelles ils se débattent et luttent, renforcent ces drames humains déchirants, permettant au lecteur compatissant (et dont les yeux s'humidifient) de s'identifier dans leurs souffrances et dans leurs destinées. La pitié et la piété se conjuguent et se confondent rendant le travail du traducteur encore plus difficile car il n'y a qu'un seul mot en italien pour les deux : La Pietà!
* plus précisément il s'agit de strophes d'ottava rima d'hendecasyllabes.
** il combattimento di Tancredi e Clorinda di Claudio Monteverdi.
"S'apre il ciel, vado in pace" - Il combattimento di Tancredi e Clorinda - Monteverdi/Torquato Tasso