Au fond du puits, une batte de baseball...

Publié le par kate.rene

Au fond du puits, une batte de baseball...

"La vérité n'est pas forcément dans la réalité et la réalité n'est peut-être pas la seule vérité." (H Murakami, Chroniques de l'oiseau à ressort, p.725)

Tori Okada est un jeune homme "ordinaire". Tout commence par la disparition du chat qui s'appelle Noburu Wataya, nom curieux pour un chat ! En fait, il s'agit du nom du frère de la femme de Tori Okada. Elle s'appelle Kumico. Elle disparaît au chapitre 2. Ils étaient mariés depuis six ans. À partir de là, tout bascule dans la vie de Mr Okada. Des personnages qu'il ne connaissait pas avant se succèdent et vont remplir son vide affectif d'une présence effective (même érotique). Il s'agit essentiellement de personnages féminins ("de substitution" peut-être ?), qui curieusement auront des noms d'emprunt ou inventés pour l'occasion. Réels ou imaginaires dans l'esprit du narrateur et interprète principal de son propre rôle, ces personnages vont le guider dans le labyrinthe qu'est devenue son existence : les sœurs Cano, Malta et Creta ; la famille Akasaka, Canelle et Muscade, May Kasahara, la femme au téléphone, etc. Seul personnage vraiment réel, le frère de Kumiko, Noburu Wataya, jeune politicien très en vue, mais aux prises, personnellement, avec ses démons. Et puis, comme une toile de fond dans le décor contemporain des années 1990 à Tokyo, comme un passé indélébile, la Mandchourie du conflit russo-japonais des années 1940, dont certains événements sont racontés par le lieutenant Mamiya (personnage historique). Et puis et surtout, il y a le puits..., et son fond.

Au fond du puits, une batte de baseball...

Dans cette banalité du réel et de la souffrance liée à la disparition de sa femme (et de son chat), émergent des perceptions conscientes ou inconscientes dans lesquelles la vérité et la réalité se télescopent, faisant éclater les coquilles plus ou moins épaisses des refoulements enkystés et réapparaître les "souillures" qui en sont la cause. Pris dans cette spirale infernale, Mr Okada est balloté en permanence dans cette zone intermédiaire ténue, véritable no man's land entre le rêve et l'état de veille, la conscience et la non-conscience, l'hallucination et l'imagination et surtout entre la vérité et la réalité. D'où cette mise en abysme récurrente des épisodes de la guerre russo-japonaise en Mandchourie. Cette réalité-là qu'un témoin oculaire de l'époque raconte, le lieutenant Mamiya, paraît, comme on dit, in-imaginable. Si donc la réalité sous couvert d'une certaine vérité - le témoignage - dépasse la fiction - l'imagination -, on peut s'accorder à admettre la réalité circonstancielle de tous les événements vécus par Mr Okada jusqu'à leur dénouement. Ils paraissent plus "imaginables" que ceux racontés par ce militaire " que la mort ne voulait pas". Et finalement, la fiction, produit de notre imagination, a créé des mondes parallèles qui nous permettent de nous évader de la réalité avec ou sans l'appui matriciel et logistique... du fond d'un puits asséché..., par exemple.

"Tout d'un coup, je me suis rendu compte que mon ombre pleurait aussi : l'ombre de mes larmes se découpaient nettement sur le mur. Oiseau à ressort, as tu déjà regardé l'ombre de tes larmes? Ce n'est pas une ombre ordinaire, ça n'a rien à voir." (p.832)

Chroniques de l'oiseau à ressort - Haruki Murakami - Chez Point - 2004 - ISBN 978.2.02.068625.9

Publié dans lecture

Commenter cet article