Fans de Columbo ? Lisez Crime et châtiment !
On connaît le criminel dès le premier chapitre, c'est Raskolnikov. Le juge d'instruction Porphyre Petrovitch enquête et, tout en subtilité psychologique, va amener le coupable à se dénoncer.
Rodion Romanovitch Raskolnikov n'est pas né en Corse ce qui constitue un des drames de sa vie... Mais si Napoléon avait été russe, aurait-il agi comme Rodia ? Si le lieutenant Columbo a eu un maître, il pourrait s'appeler Porphyre Petrovitch, le juge d'instruction de ce drame et de cette "enquête policière" écrits par Dostoïevski dans la deuxième partie du XIXe siècle : Crime et Châtiment. (1866)
La fastueuse et baroque Saint Petersbourg nous montre son côté sombre où la misère colle aux personnages avec son cortège de malheurs quotidiens et le manque ressources pour seulement survivre ; rapines, commerces en tous genres, usures..., pouvant aller jusqu'au meurtre...
Qu'est-ce qui pousse un individu à tuer ? Les réponses sont multiples, mais Rodia développe une théorie dont la mise en pratique sera (naturellement !) un désastre. Si rien ne justifie le meurtre pour le commun des mortels, Rodia, lui, à une conception personnelle qui justifierait cet acte : "J'ai seulement insinué que l'homme "extraordinaire" a le droit, pas le droit légal, naturellement, mais le droit moral de permettre à sa conscience de franchir..., certains obstacles et cela seulement dans le cas où l'exige la réalisation de son idée (bienfaisante peut-être pour l'humanité)." (p.312). En d'autres termes, la fin justifie les moyens... Et c'est de ce précepte aberrant et en se comparant à certains "grands hommes" (en particulier Napoléon) que Rodia va se fondre dans la peau d'un assassin.
Étudiant en droit, il quitte l'université par manque de moyens financiers. Terré dans sa mansarde de misère et livré au désœuvrement, il met en pratique sa théorie et élabore son plan. Se sentant supérieur et percevant un grand destin pour lui, son trouble de la raison et du jugement va lui faire commettre l'irréparable ; et du profit escompté, il n'en tirera absolument rien. C'est à ce moment-là qu'il perd définitivement tous ses moyens. Son attitude hectique, comme sa fièvre, son amour-propre totalement inique, son sentiment indicible d'échec, tout son délire l'engloutiront. Son comportement irrationnel et démoniaque le marquera d'une tache indélébile ; et non pas, comme on pourrait éventuellement s'y attendre, sous la forme d'un quelconque remord et de l'attente d'une éventuelle rédemption ! Non ! Trois fois non, ce serait trop simple pour un homme comme Raskolnikov. Sa mégalomanie et sa misanthropie l'en écartent loin, très loin. Et pourtant, tout à la fin de ce récit, et grâce à l'intervention de son bon Ange rédempteur, Sonia, on perçoit une petite lumière blanche au loin, la fin du tunnel approche, mais la route sera encore longue. "On pourrait trouver la matière d'un nouveau roman, mais le notre est terminé.", conclut Dostoïevski après six-cent pages intenses, bouleversantes et magnifiques.
L'affiche du film de Georges Lampin (1956) avec Jean Gabin dans le rôle du commissaire Gallet, alias Porphyre Petrovitch
D'un point de vue narratif et scénique, tout se passe le plus souvent dans une chambre (celle de Rodia, de Sonia Semionovna, de Katerina Ivanovna, le cabinet-chambre de Porphyre Petrovitch, etc) ; souvent pièce unique, lieu clos, où vit et se réfugie le personnage : "Sa mansarde se trouvait sous le toit d'une grande maison de cinq étages et ressemblait plutôt à un placard qu'à une chambre." ; l'exiguïté du lieu où l'on peut à peine se tenir debout, la misère qui suinte des murs, le décor indigent dans la touffeur de l'été pétersbourgeois rendent l'atmosphère lourde et pesante, bien avant le début des dialogues. Au fil des pages, il n'y a aucun temps mort pour reprendre son souffle. Les rares descriptions ne servent que de transitions narratives pour aller d'une chambre à une autre. Cette impression de "plan-serré" sur les personnages renforce encore l'intensité dramatique sans qu'aucun plan-large ne vienne dissiper le lecteur de sa concentration. C'est en apnée que ce livre est lu, tellement la puissance dramatique est prégnante. La fièvre s'empare de tous les protagonistes de ce récit ; et la fébrilité du lecteur ne peut se calmer ; même si la chute permet d'entrevoir une lueur d'espérance, sinon d'espoir.
Crime et Châtiment - Fiodor Dostoïevski - Pléiade - 1950