Le Rouge et le Noir ou Stendhal en noir et blanc
Julien Sorel, héros et copie romanesque d'Henri Beyle, provincial et ambitieux, si ce n'est vaniteux, "monte" à Paris, fuyant un père qu'il déteste (un "batard" le surnommait-il), séminariste brillant et qui devient secrétaire, en fait gratte-papier pour le Marquis de la Mole. Cette usurpation d'identité romanesque est une sorte d'autobiographie romancée d'Henri Beyle, alias Stendhal, fort ignoré et méconnu de son temps, mais cependant "découvert" et révélé par H. de Balzac lors de la publication de la La Chartreuse de Parme ; où, d'ailleurs, l'on retrouve le même schéma d'Henri déguisé en Fabrice courant dans les pas de son idole, "celui qui fait de son prénom un nom" : Napoléon. Julien Sorel, Fabrice del Longo - héros bien malgré eux - noms d'emprunt que se donne Stendhal pour se "cacher". Toute sa vie n'aura été que dissimulation, frustration, insuccès (en particulier avec les femmes), non reconnaissance sociale réelle, maladresse en tout genre et pour boucler la boucle, reprenons par le début : il est moche :
"Quelle tête de bouledogue, quelle face lunaire, rougeaude de bourgeois ventru. Ah ! Qu'il est répugnant ce gros nez bourgeonnant aux narines écartées..., rien qui indique la vivacité d'esprit, tout est lourd et vulgaire..., le corps disgracieux, etc." (in Trois poètes de leur vie, Stéfan Zweigg, p. 30). Dans sa correspondance, Stendhal écrivait : "Volontiers, je porterais un masque et changerais de nom". Par opposition à son contemporain Balzac dont la vie est un véritable roman..., celle de Stendhal est une vie par procuration et substitution. Elle sera un cauchemar jusqu'au jour où il s'assoit à sa table de travail et commence à écrire ses vies romanesques. Il s'échappe de son corps encombrant et hideux, son esprit s'envole, son imagination s'enflamme, sa prose s'illumine. Il se remodèle dans ce face-à-face sans pitié, dans ce duel entre lui et lui-même avec pour armes, la plume et la feuille de papier. C'est un éternel amoureux doublé d'un amant infortuné : "Mon attitude générale était celle d'un amant malheureux.", était-il obligé d'avouer. Et finalement, l'amour malheureux le poursuivra jusque dans son œuvre romanesque comme aboutissement implacable et inéluctable et en tout superposable à sa vie affective "ratée". Épilogue de ce "classique de la littérature française", Julien-Henri se métamorphose en Boniface et entre, ainsi, dans l'Histoire de France en perdant la tête, bien entendu, comme tous les amoureux...
Boniface de la Mole était l'amant de Marguerite de France, épouse de Henri de Béarn, futur Henri IV. On l'appelait la Reine Margot. Cet épisode de l'histoire de France est narré de façon romanesque par A. Dumas dans un livre extraordinaire : La Reine Margot. Dans ses fresques historiques, bourrées d'anachronismes et d'erreurs manifestes, on se sent porté par L'Histoire telle qu'on aurait voulu qu'on nous l'apprenne à l'école. Dans cette honnêteté et franchise intellectuelles, Dumas ne nous trompe pas sur ses intentions par opposition aux historiens et autres mémorialistes ayant pignon sur rue... suivez mon regard.
Donc Mathilde de la Mole, amante-maîtresse-femme de Julien Sorel se trouve être une descendante de Boniface. Voilà comment Julien-Boniface-Henri passe à la postérité. Décidément, les masques s'entassent sur la figure de Stendhal...
Reste le titre du livre - sorte d'accroche - et qui est sans aucun rapport avec le contenu. Le sous- titre du livre est : Chronique de 1830. Donc il aurait pu être intitulé : Un provincial à Paris en 1830. Trop simple pour Stendhal. Trop suggestif, encore et toujours ce jeu de cache-cache. Il fallait un titre-choc. Le rouge (de la colère et du sang) et le noir (de la mélancolie et du deuil). Pourquoi pas ?
Le rouge et le noir - Stendhal - Éditions Classiques universels - 2001 - ISBN 2-84595-007-1
Trois poètes de leur vie - Stephan Zweig - Livre de poche - ISBN 2-253-06205-7
L'horoscope et La reine Margot - Alexandre Dumas - Omnibus - ISBN 972-2-286-09259-7