Des enfants dans la tempête...
Antoine a douze ans. Remi en a six. Ils habitent dans une petite ville de province, genre gros bourg ; ça papote dans tous les coins, tout le monde se connaît ; c'est franchouillard sur les bords, pas toujours gentil avec les autres en particulier ceux " qui ne sont pas nés ici". Les enfants se calquent sur les parents avant de les remplacer. Nous sommes à la fin du siècle dernier, Noël approche. C'est sur cette toile de fond que surviennent deux événements qui vont bouleverser tout ce petit monde dans cette petite ville "tranquille" : la disparition de Remi la veille de Noël et la grande tempête qui le 26 décembre 1999 va dévaster par endroits la France. En l'espace de trois jours, la vie des habitants de cette bourgade bascule dans le drame, dans la souffrance, dans la culpabilité. Rien ne sera comme avant. Même si la tempête paraît avoir tout balayé sur son passage, les esprits se souviennent, les âmes souffrent..., mais la vie reprend ses droits et les non-dits aussi...
Une dizaine d'années plus tard, les enfants sont parvenus à l'âge adulte. Certains sont restés, d'autres s'en sont allés. Le fonctionnement de la ville et de ses habitants reste inchangé. Les petits et les grands secrets perdurent dans un silence assourdissant : "Après quelques minutes d'un dialogue silencieux qui faisait l'inventaire de leurs incompréhensions réciproques..." (p.152). Au fond de la mémoire de chacun se terrent les souvenirs, les bleus à l'âme, les remords, la culpabilité et les niveaux respectifs et propres à chacun de souffrance, d'interdits et de frustrations. Au décours d'une garden-party, une rencontre imprévisible, un rapprochement improbable, "un accident" ; ils se connaissent depuis l'école, Émilie et Antoine, ils ne sont pas vraiment faits pour être ensemble. Et pourtant, une irrésistible attirance les submerge. Cette unique rencontre scelle leur destin, et celui de nombre d'habitants de cette petite ville bien tranquille...
Les toutes dernières pages nous dévoilent Tout ou presque. On en reste saisi. Notre gorge se serre, les yeux s'humectent. L'économie dans la composition des phrases, sans être télégraphique, loin de là, donne un style épuré et puissant d'une grande efficacité narrative. C'est net, précis, juste, sans véritable empathie, et sans verser dans le psychodrame. Les événements parlent d'eux-mêmes.
Après le décoiffant Au revoir là-haut, prix Goncourt 2014, Pierre Lemaitre réussit un nouveau coup. Quelle histoire, quel style !
Trois jours et une vie - Pierre Lemaitre - Albin Michel - ISBN 978-2-226-32573-0