Que d'eau !
Un mois sur l'eau, le plus souvent à l'air libre, voilà ce qui nous est arrivé.
Deux voiliers, un "petit" de 17 mètres et un plus grand, avec cinq voiles celui-ci.
Et la mer, la mer, la mer à perte de vue, bleue, verte, turquoise...
Sainte-Lucie, Saint-Vincent où nous avons pris l'apéritif, presque en compagnie de Johnny Depp, dans le décor de Pirates des Caraïbes. Quelques passages dangereux pour aborder les Tobago Cays avec un tirant d'eau de deux mètres soixante.
Et des voiles, le Luna (un Hansa 540), deux, le Clubmed, cinq.
Sur le petit voilier, nous avons utilisé les voiles presque en permanence, le moteur ne servant guère que pour recharger les batteries. Sur le grand, les voiles permettent d'économiser en moyenne 15% de fuel.
Nous avons vu les plus beaux couchers de soleil du monde,
Les mers les plus étonnamment colorées du monde,
Nous avons vu des oiseaux, des poissons volants, des dauphins, des baleines...
Nous avons mangé les meilleures langoustes de notre vie, grillées au feu de bois, vendues par un pêcheur sur son petit bateau, qui nous les a présentées vivantes le matin et apportées cuites à midi, et du poisson et encore du poisson, de l'espadon, de la daurade coryphène, des fritture miste sur le marché de Barcelone,
Mais la mer, c'est dangereux :
Nous nous sommes un peu trop approchés de Dark Vador. Nous criions pour entendre l'écho et le méchant en a profiter pour dévorer un morceau de l'annulaire gauche de René,
Nous avons croisé des tankers,
Nous sommes passés (tout juste) sous le pont de Lisbonne, à marée basse car à quelques heures près, les cinq mâts se brisaient,
Nous avons tout de même mis pied à terre pour visiter quelques églises, pour revoir San Hieronymus à Lisbonne, admirer quelques chefs-d'oeuvre du baroque espagnol, une copie de la grotte de Lourdes, une mater dolorosa et lui, lançant des fulgurances d'argent depuis sa couronne,
À Malaga, dont c'est la ville natale, nous avons encore vu des Picasso, à Barcelone, des Gaudi, puis le musée Miro, magnifique, avec l'étonnante fontaine de Mercure de Calder,
C'est au musée Miro, justement que, faute de posséder l'original inclu dans le mythique Cahiers d'Art de 1937, nous avons acheté la lithographie de Aidez l'Espagne.
Nous n'avons eu en tout que 36 heures de pluie,
Nous n'avons pratiquement pas lu, K a fait quelques gribouillis, nous avons appris à jouer au bridge avec un merveilleux professeur, Marie-Hélène, grâce à qui nous passons aujourd'hui des heures sur Funbridge, et nous avons contemplé LA MER.
Puis nous sommes rentrés chez nous où c'est beau aussi.
Nous avions envisagé l'écriture d'un polar. Une transatlantique comme décor, et quelques 200 coupables possibles. Mais n'ayant trouvé ni la victime potentielle, ni le coupable, le projet fut abandonné. De plus, la contemplation de la mer occupait tout notre temps.
Nous vous livrons les balbutiements de cette oeuvre inachevée...
Ultime traversée
Le dernier passager venait d'embarquer, accueilli par Bertrand, médecin du bord. L'homme de la cabine 142 avait été déposé par une ambulance et le toubib voulait s'assurer qu'il pouvait accepter ce blessé sur son bateau sans risque majeur. Douze jours en mer sans autre horizon que l'océan et le ciel, c'est ce qui attendait les 203 passagers et les 180 membres d'équipage du Club Med 2 : la transatlantique de printemps qui relie Fort de France à Lisbonne. L'homme blessé arrivait sur ses deux jambes. Et bien que l'événement ait un côté tragique pour lui - il venait de perdre la dernière phalange de l'annulaire gauche dans la poulie d'un voilier - il fut déclaré bon pour le service et franchit sans encombre l'examen médical. Le grand cinq mâts pouvait quitter la Martinique, les effectifs étaient au complet.
L'antique rafiot est le plus agréable des navires. Bois, bleu et voiles. Deux coursives sur lesquelles se distribuent les cabines spacieuses, trois ponts où se déroule l'essentiel des activités, trois bars, deux restaurants dont un en plein air, pas de Plexiglas pour barrer l'horizon, des cendriers partout pour le plus grand bonheur des fumeurs et un petit aspect vieillot qui ne peut que ravir les nostalgiques des mythiques paquebots d'antan.
Un regard circulaire permet une constatation : les passagers ne sont pas de première fraîcheur, la moyenne d'âge tourne autour de 70 ans. Et c'est péniblement que certains vont se soumettre à l'inévitable "manœuvre d'abandon", passage obligé de toute croisière. Ridiculement affublés du gilet de sauvetage orange, 203 personnes vont se diriger en rang par deux vers le pont des canots de survie qui leur est affecté, guidées par les officiers tout de blanc vêtus et au son des hauts parleurs. Ce pénible exercice expédié, le "all inclusive" peut commencer à faire des ravages.
C'est le temps de l'observation. Quelques solitaires, quelques timides sont isolés aux tables de coin mais une évidence se fait jour très vite, il y a des habitués. Les bribes de conversation parfois couvertes par le bruit de fond de la musique d'ambiance renseignent les novices : cette transatlantique, c'est le rendez vous de printemps ou d'automne, voire des deux d'un tiers des passagers. On s'appelle par son prénom, on se donne des nouvelles des enfants, on se raconte ses derniers voyages, on décrit ses petits et grands bobos. Le restaurant Magellan accueille les premiers convives tandis que d'autres s'attardent aux cocktails, margharitas, champagne, mojitos coulent à flot. Quelques tables de deux pour les inconditionnels de l'intimité (nombreux changeront d'avis) et des tables rondes où le hasard fait les rencontres. Les échanges sont faciles, et le tutoiement vient rapidement. Il est même possible de s'inventer une vie et de la faire partager le temps d'une traversée.
Marie-Thérèse est berichonne. Dans les 75 ans, un peu grassouillette - elle avoue avoir pris dix kilos l'an dernier - elle voyage seule. Elle a laissé à la maison un mari atteint de la maladie de alzheimer. Dès le poisson, toute la table sait qu'elle est originaire de Saint Malo, d'une famille de marins hauturiers ayant payé un lourd tribut à la mer, qu'elle vit dans une grande propriété "mais qui ne vaut pas plus qu'un trente mètres carrés à Paris... L'immobilier est au plus bas dans le Berri". Une jeune GO, responsable du salon Carita se joint à la table. Elle expédie son poisson et disparaît. Marie Thérèse, debout depuis 36 heures, s'esquive aussi.
C'est l'heure du départ. L'hymne du bateau, la B.O. de Christophe Colomb résonne dans les haut-parleurs. Pour beaucoup il est l'heure de fermer les yeux après presque quarante heures de tribulations diverses.
Sur le pont G elle est attablee pour le petit déjeuner. Elle est petite, toute menue, toute ridée et ce matin, c'est orange de la tête aux pieds. Ballerines, robe bustier, sac et boucles d'oreilles. Comment peut on engloutir une telle quantité de nourriture et s'habiller en 34 ? Pain confiture fromage œuf , elle s'installe pour une demi-heure à une table à tribord avec son mari moustachu au look vaguement english. Elle s'exprime dans un excellent français avec un accent américain prononcé et ce n'est que la première tenue de la journée. Ca peut aller jusqu'à six, toutes de couleur flashie. Nous apprendrons qu'elle est australienne et son mari… vosgien. Ils habitent en Alsace.
Si vous voulez la suite, il va falloir supplier...