La vierge monstre

Publié le par kate.rene

La vierge monstre

La coccinelle rouge de frère Pepe, jésuite "progressiste", filait à toute allure sur le chemin de terre en soulevant un nuage de poussière alourdie par la chaleur. Au volant, Flor le travesti, à ses côtés, Eduardo, jeune missionnaire jésuite fraîchement arrivé à Oaxaca, revêtu de sa chemise hawaïenne colorée, est perdu dans ses pensées... Sur la banquette arrière, deux enfants de 13 et 14 ans : "la petite sœur" Lupe, extralucide, parle une langue que seul son frère comprend ; elle sait lire dans les pensées des gens et des... animaux ! mais elle ne prédit pas l'avenir, quoique..., ça peut lui arriver. Elle aime les chiens, son langage est cru, sans concession, on dirait volontiers qu'elle ne mâche pas ses mots ; à côté d'elle, son frère, Juan Diego, l'estropié, le lecteur-de-la-décharge est le "héros" de l'histoire. Sur ses genoux, tenue fermement entre ses mains pour éviter qu'elle ne s'ouvre, une boîte à café contenant les cendres de leur mère, mais aussi celles du Gringo américain déserteur du Vietnam et de Blanc-sale... Dans cette urne funéraire improvisée, ils y ont ajouté les restes calcinés du gros nez de la Vierge-monstre. Le burlesque est à son comble dans cette narration d'événements pour le moins dramatiques avec pour toile de fond la misère, la décharge, la marginalité, l'insécurité et la crasse, et pourtant dans cette "cour des miracles" des années 70 au Mexique, subsistent l'émotion, l'amour et surtout l'imagination. La coccinelle rouge emporte ses passagers à Mexico, avenue des mystères, à la basilique consacrée à Notre-Dame de Guadalupe afin d'asperger la Sainte des cendres de leur mère. De nombreuses années plus tard, lors de son vol interminable pour Manille, Juan Diego se souviendrait ou rêverait, ou les deux, du temps de son enfance et de la décharge où il habitait avec sa sœur chez leur "père" adoptif, avant d'être accueilli chez les jésuites aux "Enfants perdus" et puis adopté de nouveau par un couple d'homosexuels après une tentative de "marcheur céleste" dans un cirque. "Lui, le lecteur-de-la-décharge, sauvait les livres du bûcher pour les lire, un tel type de lecteur ne pourrait être imperméable à toute croyance. Il faut une éternité pour lire certains livres, même, et surtout, peut-être, ceux qu'on a arrachés aux flammes." (p.203) Car c'est aussi un livre sur les livres, la littérature et les écrivains, et leur Imagination. Celle de John Irving, en tout cas, dépasse tout ce que l'on peut espérer trouver dans un livre. C'est monumental, grandiose, un véritable chef-d'oeuvre. Quand le livre se referme à la dernière page, il y a ce moment de flottement indécis et douloureux de la séparation d'avec des personnages attachants et une histoire "merveilleuse". On se sent orphelins et tristes. Vite il faut rebondir comme Juan Diego. "C'est nous le miracle" ne cessait pas de répéter la petite sœur extralucide à son frère Juan Diego. Miracles, mystères, fantômes, rêves, fantasmes, tout se mélange pour notre plus grand plaisir de simple lecteur. À ne pas rater.

Avenue des mystères - John Irving - Seuil - ISBN 978.2.02.129978.6

Publié dans lecture

Commenter cet article