Venezia, ancora e sempre
Ce matin tôt, réveil au son de la sirène annonçant une acqua alta, 110, ce qui n'est pas terrible. La place Saint-Marc doit être un peu mouillée, mais sans plus. Les touristes défilent néanmoins chaussés de bottes en plastique orange fluo. Nous avons adopté un rythme nouveau. Quelques ballades nez au vent. Les courses à Rialto, et plus souvent dans notre quartier. Le premier jour, les incontournables pâtes aux truffes chez notre pastificcio préféré, puis la boucherie près du marché, puis les légumes chez les petits commerçants disséminés dans les calli et sur les campi. Spritz et café aux terrasses. Et oui, il fait beau.
Nous nous sommes égarés jusqu'à Sant'Elena, zone verte, il pulmone di Venezia, à la recherche des reliques de Sainte Hélène, celle qui a retrouvé la vraie croix ! juste à côté du terrain de foot et de la zone militaire de la marina. Pour mémoire, voici l'histoire de la vraie croix :
Alors, Adam meurt. L'archange Michel apporte à Seth, le fils d'Adam une graine de l'arbre de vie du Paradis terrestre pour qu'il la mette dans la bouche de son père. La graine pousse et donne un arbre. Plus tard, Salomon ordonne de couper l'arbre pour servir à la construction d'un pont. La reine de Saba qui passait par là et qui était un peu médium devine que cette poutre servira à la crucifixion... Salomon décide alors d'enterrer la poutre. De là se forme la piscine probatique dont l'eau guérit les malades. Neuf ou dix siècles plus tard, on constate que la reine de Saba avait deviné juste. Après la crucifixion, les morceaux de la croix du Christ et de celles des larrons sont jetés dans un fossé quelque part à côté du Golgotha. Trois siècles plus tard, la mère de l'empereur Constantin, qui s'appelle Hélène, part faire un tour en Palestine. Un signe céleste lui montre où sont enfouies les trois croix. Mais comment savoir laquelle est la bonne ? C'est simple, on prend un homme mort et on le met en contact avec les bois. Tout à coup l'homme ressuscite ! Hélène est alors sûre d'elle, c'est cette croix, la vraie. Elle retrouvera aussi les clous et encore d'autres bricoles qui vont devenir de vraies reliques. Si l'on en croit toutes ces reliques, la vraie croix aurait pesé quelques tonnes... Quant aux clous, il y a de quoi fournir une quincaillerie.
Voilà, c'était l'histoire de la vraie croix (je l'ai faite courte ; pour plus de détails, se rapporter à Jacques de Voragine, un historien scrupuleux qui n'écrit que des vérités). Quant à Sainte-Hélène, elle est conservée en totalité près du terrain de football de Venise.
Nos pas nous ont aussi portés sur la Giudecca. Et nous avons bien fait les choses. Descendus à Palanca, nous sommes remontés jusqu'au Stucki, anciens moulins reconvertis en hôtel "de luxe" par une chaîne américaine pour américains. Nous y sommes entrés en espérant accéder à la terrasse qui offre paraît-il une vue magnifique. Pas de chance, elle était fermée. Après avoir assouvi quelques besoins primaires, nous sommes allés visiter le showroom de Fortuny, plus gardé qu'un coffre-fort. Visite d'une église récemment réouverte : Sant'Eufemia, puis, puis, puis... Nous avons remonté toute la longueur de l'île. Déjeuner dans une cantine fréquentée par les travailleurs locaux. Bon ! (l'Osteria Palanca). De plus, c'est une bonne action. Quelques euros payés vont à l'action de soutien aux victimes du terremoto qui a dévasté le centre de l'Italie cet été. La prison, voisine des jardins mythiques qu'il est impossible de visiter désormais (lire Un Jardin à Venise de Frederic Eden). Les pierres des murs extérieurs sont tellement belles qu'on a envie de s'y faire enfermer. Il paraît qu'elle est maintenant désafectée.
Dernière étape, il palazzo dei tre oci (terme vraisemblablement vénitien pour Tre Occhi (les trois yeux). Devant le palazzo, René prononce à haute voix "trè occhi" (prononcer tré oqqui) ; un vieux monsieur, à l'évidence un local, se retourne vers nous quasiment offensé, et dit "trè oci" (prononcer tré otchi). C'est du vénitien, pas de l'italien... L'histoire de ce palazzo n'est pas gaie : Trè occhi = trois yeux. Un couple avait deux enfants. Une fille adorée et un fils aimé. La petite fille mourut. Ils ont fait construire ce palazzo avec trois fenêtres en ogives représentant les yeux du couple et du fils regardant les cieux vers la fille et petite soeur disparue. Néogothique, cette demeure abrite aujourd'hui des expositions, en ce moment, des photographies du 500ème anniversaire de la création du ghetto de Venise (le vocable "ghetto" vient du premier lieu où ont été confinés les juifs, dans un endroit où étaient des fonderies (getto ou gheto). Les photographies exposées sont de Ferdinand Scianna.
Nous avons repris le vaporetto à Zitelle.
Voici un excellent plan de Venise (communiqué par notre ami Bruno) qu'on peut zoomer à l'infini contenant toutes les courbes de niveau, donc les zones sensibles à l'acqua alta :
http://smu.insula.it/index.php@option=com_content&view=article&id=114&Itemid=81.html