Intuition chez Mariano Fortuny
Dans cette ambiance toujours envoûtante de cabinet de curiosité faite de pénombre et de clair-obscur et sur les quatre niveaux du Palazzo Fortuny, l’on découvre dans un rapprochement et dans une sorte d’opposition formelle des œuvres variées et en apparence hétéroclites, mais regroupées finalement en une unité factuelle par une des composantes de la création artistique : l’intuition. Ainsi sont placées côte à côte des œuvres d’art que rien en soi n’aurait rapprochées si ce ne sont ces phénomènes que sont l’intuition, le rêve, la télépathie, le fantasme paranormal, la méditation, le pouvoir créatif et l’inspiration artistique. L’intuition est une forme de connaissance instinctive non explicable par les mots qui se révèlent par des actes improvisés, des images, des sons, des lumières, des expériences allant jusqu’aux performances uniques et éphémères. L’intuition est la capacité d’acquérir la connaissance sans véritable apprentissage, indice ou raisonnement conscients : un état qui guide une personne à agir d’une certaine façon sans comprendre vraiment son motif réel. Si dans l’intuition artistique, il y a de la révélation inconsciente, s’y ajoute également une grande part d’émotion.
Dans le parcours scénographique qui est proposé pour cette exposition hors de commun, l’émotion du visiteur grandit au fur et à mesure que l’on monte dans les piani (étages) ; rendant encore plus mystérieux et envoûtant ce somptueux et défraîchi palazzo, où l’esprit de Mariano Fortuny semble encore remplir tout l’espace de son génie créatif, et que l’on aime tant.
Le parcours s’ouvre sur une série de menhirs sculptés à physionomie humaine de la période néolithique. Plantés dans leur rectitude monumentale et hiératique, ces statues d’un autre âge semblent regarder du coin de leur regard de pierre millénaire la peinture de Basquiat (Versus Medici). Plus loin, l’œuvre de la Belge Ann Veronica Janssens hypnotise le promeneur : dans une courette du palazzo, elle diffuse des jets de vapeur cotonneuse, comme surgis d’un conte de fée, tandis qu’en fond sonore, le clapotis d’un canal adjacent ajoute à l’émerveillement.
Au premier étage, il piano nobile, cette vaste pièce très haute de plafond, plongée dans une demi-obscurité, et dont le faible éclairage émane de ses magnifiques lampes-parapluies à réflecteurs de soie, créations de M. Fortuny, l’imposant et gigantesque tapis de capsules de bouteilles, plaques d’aluminium du sculpteur ghanéen El Anatsui accueille le visiteur.
Cet étage est placé sur le thème de l’automatisme cher au mouvement surréaliste et dont on rapporte ici de nombreuses créations, cadavres exquis et dessins communiqués. Dans un coin de la pièce, à côté d’un des deux immenses canapés, sur lesquels le visiteur peut se relaxer ou rêver, dans une armoire ouverte est posée une peinture de Chirico, Piazza italia, qui voisine avec un mobile immobile, sculpture de Calder.
En face, parmi toutes les œuvres, peintures, sculptures, cahiers, etc, dont certaines sont à peine visibles, le célèbre ready-made de M. Duchamp, grand provocateur et profanateur avec une Joconde relookée et commentée, l’Envers de la Peinture.
Au deuxième étage, une autre vaste salle aux murs ruineux et délabrés faisant apparaître çà et là la brique rose-rouge, espace inondé par la lumière du jour provenant des grandes fenêtres d’où l’on peut contempler les toits de la Ville, d’autres créations trouvent leur place dans un ordre aléatoire sinon intuitif. Au travers d’une porte vitrée, malheureusement toujours fermée, on peut tel un voyeur, plonger dans l’intimité de M. Fortuny : la bibliothèque et le bureau, encombré d’objets divers et de ses créations artistiques, lampes, peintures, photos...
Au dernier étage sous la charpente, le visiteur s’amusera à modeler un morceau d’argile (de l’installation sensuelle et participative de la Coréenne Kimsooja), puis à les poser sur une vaste table où elles forment une constellation. Enfin on pourra se reposer de toutes ces émotions devant une vidéo qui propose de suivre les tribulations chorégraphiques d’un homme à tête de cerf (mi-chasseur, mi-chassé) dans des paysages extrême- orientaux.
Intuition nous parle de magie, de délires, d’instants créatifs et réussit cet exploit : susciter, même chez le visiteur le plus rationnel, des émotions quasi-mystiques.
Petit clin d'oeil à nos amis vézeliens : une Annonciation de Fra Angelico, quelques Giacometti, un surprenant autoportrait de Fernand Léger...