François-René-Auguste de Chateaubriand, ou René l’Ombelico, dit aussi le « délyrique » narcissique

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« Des lèvres vermeilles, une certaine rondeur dans les lignes du visage rappelle une enfance encore toute proche. Mais les caractères de la maturité y sont déjà fixés : le front élevé, la longue et fine arête du nez un peu renflé et courbé en son milieu, le dessin de la lèvre supérieure en double accent circonflexe, le menton un peu fort. Les sourcils sont presque noirs, tandis que les cheveux sont poudrés ; les yeux sombres bleu ou marron foncé. De taille assez modeste (1,63 m), mal campé sur des jambes un peu courtes pour la longueur du buste, François-René est dépourvu de la naturelle prestance de son frère Jean-Baptiste, 1,73m aux yeux bleus. Lui c’est un petit brun, plus nerveux qu’athlétique, qui ne représente pas mal le type ancestral du celte « petit Poucet rêveur » (in Chateaubriand p.105)

Chateaubriand - KT

Chateaubriand - KT


Homme « politique » dans un période de l’Histoire de France particulièrement troublée (révolution, terreur, république, empire, restauration…, en l’espace d’une vingtaine d'années), il est et restera pour la postérité l’homme-phare — la Référence — de nombre de ses contemporains et l’auteur talentueux des Mémoires d’outre-tombe. Mais l’homme a ce coté agaçant et « pas sérieux » qui nous fait sourire tout à la fois qu’il nous irrite…, mais qu’on ne peut qu’admirer !
A l’inverse de Stendhal qui l'admirait tant, et qui, lui, a vécu par procuration toute sa vie se substituant à tous les héros de ses romans, François-René, pardon François-Auguste, a vécu en éternel rêveur imaginant sa vie et éternellement insatisfait. Dès qu’il est quelque part, il ne pense qu’à s’en aller. Dès qu’il est avec une femme, il pense déjà à une autre. Le présent ne l’intéresse pas. IL vit dans le passé en le recomposant, en le modulant comme il aurait voulu qu’il fut, revivant ainsi sa vie fantasmée par son imaginaire créatif. C’est dans le présent de son passé qu’il s’exalte avec un lyrisme flamboyant qu’il retranscrit dans ses Mémoires avec des pages admirables même si la « vérité historique » est un peu bousculée…, mais quelle importance ! S’il élude certains faits ou évènements qu’il écarte de sa (ses) mémoire (Mémoires).

Les "femmes" du Séducteur toujours insatisfait

Les "femmes" du Séducteur toujours insatisfait

On pourrait presqu’aller jusqu’à le qualifier de « délyrique », néologisme composé de la contraction de délire et lyrique ; un délyrique nombriliste… A-t-il pensé vraiment aux autres, Céleste sa femme, sa soeur Lucile, Charlotte, Pauline, Natalie, Juliette, Cordélia, Hortense, etc ? Peut-être ! N’a-t-il pensé qu’à lui, NON, mais à lui, SÛREMENT ! Le reflet de son image, tel Narcisse plongeant dans l’eau pour s’embrasser, a constitué un éternel souci durant sa vie, compensant peut-être une certaine difformité physique qui ne l’avantageait pas à priori. C’est une des raisons pour laquelle il fut toujours en « chasse » d’une nouvelle conquête féminine qui « vaincue » lui renvoyait une image positive et valorisée de lui-même par leur admiration et leurs sentiments à l’égard du « Grand Homme » et du « Génie ». Seule Mme de Duras, sa « soeur » comme il l’appelait, gardera un regard critique vis à vis de son ami et « frère intime », tyrannique enfant gâté, disait-elle de lui, dont elle incriminait « son manque de sincérité, ses cachotteries et ses demi-vérités ; mais aussi son insensibilité, son indifférence à autrui, son absence de dévouement ». (id p.678) Dans leur correspondance il avoue « que je ne peux aimer personne, que je suis un parfait égoïste, qu’il ne faut parler que de moi, que je suis faux, trompeur, etc, épuisez, chère soeur, les dictionnaire des injures » .(id)

Portrait de Chateaubriand méditant sur les ruines de Rome - Anne-Louis Girodet - Musée d'Histoire de la Ville et du Pays Malouin

Portrait de Chateaubriand méditant sur les ruines de Rome - Anne-Louis Girodet - Musée d'Histoire de la Ville et du Pays Malouin

Le Moi hypertrophié du Vicomte s’étale dans sa grandeur majestueuse  et romanesque sur le tableau réalisé par A.L. Girodet en 1808 à la demande du Sujet qui a une quarantaine d’années et alors que le premier Empire est a son apogée. Ce contexte historique doit être considéré pour une bonne lecture du tableau, car un détail dans la posture du Personnage représenté rappelle celle, célébrissime, de Napoléon : la main droite est glissée dans l’ouverture du gilet. Voulait-il lui ressembler, être le Héraut de son Héros ? qu’il a adulé, lui dédicaçant « Le génie du Christianisme » en 1802 et qu’il « trahira » en 1815, de manière très opportune, sinon arriviste, dans son libelle de 1814 « De Bonaparte, des Bourbons et de la nécessité de se rallier à nos princes légitimes » lors de la Restauration ! Cette présentation reproduite par le peintre est remarquable par le message qu’elle livre à la postérité et que le Sujet veut laisser à la mémoire des générations à venir, quelle réussite ! Debout, on ne voit pas ses jambes, il triche sur sa taille et ses proportions, sa « difformité » s’efface ; son coude gauche replié repose sur un muret recouvert de lierre supportant son corps relâché, alangui, dans un déhanchement sensuel de statue grecque ou de Grâces Raphaéliques. Son romantisme s’exprime en plein, fuyant le regard du spectateur, ses yeux se portent au loin, hors-champ, dans un lointain inaccessible et fantasmé au milieu d’un paysage de ruines romaines en arrière plan. Il ne sourit pas, sa bouche est pincée, ses mâchoires serrées, ses cheveux abondants ébouriffés et flottant dans la brise parachèvent l’attitude du penseur, du rêveur, du romantique, du mémorialiste de Temps perdu et non retrouvé.

Chateaubriand - Henri Felix Emmanuel Philippoteaux

Chateaubriand - Henri Felix Emmanuel Philippoteaux

Parmi ses très nombreux admirateurs, Marcel Proust, inconditionnel du Grand Ecrivain, le cite de nombreuses fois dans son oeuvre-cathédrale qu’est À la Recherche du Temps perdu. Au cours d’une conversation à Balbec entre le narrateur et Mme de Villeparis, tante de Mr de Charlus, et à la suite de la citation de quelques phrases du Grand Homme en particulier à propos de ses élancées lyriques sur le clair de lune, Mme de Villeparis répond : « Et vous trouvez cela beau ? me demandait-elle, génial comme vous dites, vous me citez une grande phrase de M. de Chateaubriand sur le clair de lune. Vous allez voir que j’ai mes raisons pour y être réfractaire. M. de Chateaubriand venait souvent chez mon père. Il était du reste agréable quand on était seul, parce qu’il était simple et amusant, mais dès qu’il y avait du monde, il se mettait à poser et devenait ridicule ; devant mon père il prétendait avoir  jeté sa démission à la face du roi et dirigé le conclave… Quand aux phrases sur le clair de lune, elles étaient devenues une charge à la maison. Chaque fois qu’il faisait clair de lune autour du château, s’il y avait quelque invité nouveau, on lui conseillait d’emmener M. de Chateaubriand prendre l’air après le diner. Quand ils revenaient, mon père ne manquait pas de prendre à part l’invité : M. de Chateaubriand a été bien éloquent ? — Oh ! Oui. — Il vous a parlé du clair de lune ? — Oui, comment savez-vous ? — Attendez, ne vous a-t-il pas dit, et il lui citait la phrase. — Oui, mais par quel mystère. — Et il vous a parlé du clair de lune dans la campagne romaine. — Mais vous êtes sorcier. Mon père n’était pas sorcier, mais M. de Chateaubriand se contentait de servir toujours un même morceau tout préparé. » (p.571, RDTP, quarto Gallimard)

Chateaubriand - Girodet

Chateaubriand - Girodet

Parmi ses contemporains plus jeunes, Victor Hugo a dit à 25 ans :  « Je serai Chateaubriand sinon rien ! » ; en revanche Lamartine laissera un portrait du grand Homme à la suite d’une réception chez Mme Racamier le dimanche 21 juin 1829. Chateaubriand avait 60 ans : « Au dessous du tableau de Corinne figurait, comme Oswald vieilli, M. de Chateaubriand ; cette place dissimulait derrière les paravents et les fauteuils des femmes, la disgrâce de ses épaules inégales, de sa taille courte, de ses jambes grêles pour ne laisser voir que le buste viril et la tête olympienne. Cette tête attirait et pétrifiait les yeux ; des cheveux soyeux et inspirés sous la neige, un front plein et rebombé de sa plénitude, des yeux noirs comme deux charbons mal éteints, un nez fin et presque féminin par la délicatesse du profil, une bouche tantôt pincée par une contraction solennelle, tantôt déridée par un sourire de cour plutôt que de coeur ; des joues ridées comme les joues de Dante par des années qui avaient roulé dans ces ornières autant de passions ambitieuses que de jours ; un faux air de modestie qui ressemblait à la pudeur ou plutôt au fard de la gloire. » (in Chateaubriand, p.791) Sainte-Beuve quant à lui écrit : « M. de Chateaubriand avait une trop forte tête, la plus belle du monde, sur un trop petit corps ; cette tête était un peu engoncée dans des épaules qui étaient trop hautes ; mais il avait une constitution saine, robuste, plus robuste que celle de M. Lamartine lui-même. » David a donné une représentation très fidèle de cette « tête olympienne » dans le buste qu’il a sculpté cette année-là, conservé aujourd’hui à Combourg et dans lequel Chateaubriand se reconnaissait bien. (in Chateaubriand, p.1009, note 73)

 

Chateaubriand - David d'Angers

Chateaubriand - David d'Angers

Autre grand admirateur du Grand Homme : Jean d’Ormesson qui lui a consacré un essai plein de passion pour Le Génie tout en étant très critique sur son comportement, en particulier vis à vis des femmes. « Il se rappelle, en un éclair, et un vague sourire passe sur sa face tragique, un mot attribué à la Duchesse de Duras après l’avoir prêté à Louis XVIII, qui aurait dû, plus que personne, lui garder de la gratitude et de la fidélité : « M. de Chateaubriand, qui pourrait voir si loin s’il ne se mettait pas toujours devant lui. » (p.125, in Une biographie sentimentale de Chateaubriand) Et, un peu plus loin, « Sans doute, d’une façon ou d’une autre, toute littérature est liée à l’échec et à la revanche sur l’échec. Comme son maître Rousseau, comme son disciple Byron, mais aussi comme Balzac, comme Flaubert, comme Proust, René remplace une vie insuffisante et à beaucoup d’égard ratée par un monde imaginaire et par une vie rêvée. » (Id. p.207) Puis, le couperet tombe : « René était un menteur presque toujours véridique. C’est ce qu’on appelle un poète. »  (id. p.306)
 

Le mythe Chateaubriand noyé dans du Nescouic - https://www.ouest-france.fr/culture/bande-dessinee/le-mythe-chateaubriand-noye-dans-du-nescouic-4184027

Le mythe Chateaubriand noyé dans du Nescouic - https://www.ouest-france.fr/culture/bande-dessinee/le-mythe-chateaubriand-noye-dans-du-nescouic-4184027

Mais laissons le grand Homme conclure dans toute sa splendeur romantique et narcissique ! Au bord le lac de Lucerne, 16 août 1832, midi, il se lance : « Alpes abaissez vos cimes, je ne suis plus digne de vous ; jeune, je serai solitaire ; vieux, je ne suis qu’isolé. Je la peindrais bien encore, la nature ; mais pour qui ? qui se soucierait de mes tableaux ? quels bras, autres que ceux du temps, presseraient en récompense mon génie au front dépouillé ? qui répéterait mes chants ? à quelle muse en inspirerais-je ? Sous la voute de mes années comme sous celle des monts neigeux qui m’environnent aucun rayon de soleil ne viendra me réchauffer. Quelle pitié de trainer, à travers ces monts, des pas fatigués que personne ne voudrait suivre ! Quel malheur de ne me trouver libre d’errer de nouveau qu’à la fin de ma vie ! » (p.579, Mémoires d’outre-tombe, La Pléiade tome 2)
Ironiquement et très irrespectueusement parlant, en lisant Ses Mémoires, nous l’avons surnommé Renato l’Obelico (l’ombilique en italien) et le délyrique (délire lyrique) narcissique, mais il nous a fait sourire sinon rire plus d’une fois tellement son Ego est démesurément démesuré. Dernière citation attribuée à Talleyrand, grand homme d’esprit souvent caustique (les deux n’étaient vraiment pas ami-ami), en réponse à quelqu’un qui lui disait que M. de Chateaubriand devenait sourd : « Mais non, Mon Cher, c’est qu’il n’entend plus parler de lui ! »

Les Mémoires d'Outre-Tombe - François René de Chateaubriand - Pléiade (2 volumes) 1982

Mon denier Rêve sera pour Vous - Une biographie sentimentale de Chateaubriand - Jean d'Ormesson - Éditions J.C. Lattès - ISBN 9 782709601054

Chateaubriand - Jean-Claude Berchet - Éditions Biographies NRF Gallimard - ISBN 9 782070735181

À la Recherche du Temps Perdu - Marcel Proust - Éditions Quarto Gallimard - ISBN 9 782070754922

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M
Bonjour. très bel article. très intéressant. un beau blog. Vous pouvez visiter mon univers naissant. lien sur pseudo. à bientôt. bises
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A
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S
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