Tristram Shandy et le pasteur un peu "fêlé"
D'une petite paroisse perdue du Yorkshire, un pasteur attire ses ouailles par ses sermons dominicaux — nous sommes dans la première moitié du XVIIIe siècle — il a une cinquantaine d'années, il est phtisique ; dans l'ombre de son très modeste clocher, va naître de sa plume conduite par un cerveau un peu "fêlé" (shandy peut se traduire par fêlé) un livre dont le succès immédiat propulsera cet homme d'église jusque là inconnu sous les feux de l’actualité littéraire autant anglaise qu’européenne de son époque.
Il s’appelle Laurence Sterne ; son livre : Vie et Opinions de Tristram Shandy, Gentilhomme.
Difficile de résumer ce livre « si fou, si sage et si gai ». Assis à sa table de travail, Tristram Shandy entreprend de relater sa vie et ses opinions. Il remonte à ses origines…, à sa conception en fait, dont il connait parfaitement le jour…
Ainsi, tous les événements antérieurs à sa naissance et même au-delà seront dévoilés au lecteur alors que le narrateur n’est pas encore né, *********************************—,—. Cette naissance d’ailleurs surviendra au milieu du livre dans des circonstances très shandéennes *************, bientôt suivie ou précédée par la préface ! Vie et Opinions de Tristram Shandy se moulent en fait dans la V et O du cercle familial présent dans le salon (ou plus exactement dans le parloir) de la maison de Shandy Hall.
Walter Shandy, le père, passionné de philosophie, travaille au projet éducatif de son fils en gestation ; Oncle Toby — l’expression « Mon Oncle Toby » procède comme d’une ponctuation et donne un rythme à la phrase narrative, elle est utilisée 1300 fois ! environ — Oncle Toby, donc, frère de son père, ancien militaire, blessé au siège de Namur en 1695,…, à l’aine…, région anatomique du bas-ventre assez vague voire ambiguë dans sa description…, **********************, Oncle Toby est passionné de fortifications… ; le Caporal Trim, son aide de camp, partage cette passion avec « Son Excellence » ;
Henry Bunbury - 1773 - The Siege of Namur by Capt. Shandy & Corporal Trim (site tomclarkblog.blogspot.fr)
Yorik, le pasteur, avatar de l’auteur, lui-même homme d’église — il publiera sas sermons sous ce nom de plume — Yorik, nom rendu célèbre, car c’est celui du bouffon du Roi dans Hamlet de Shakespeare — ; le Docteur Slope, l’accoucheur du narrateur et responsable de la fracture du nez au moment de ********* avec son ******* ; la mère assez effacée, peu présente et parlant rarement, car elle est fâchée, un peu ; et la veuve Wadman et ses tentatives amoureuses de se rapprocher de « Mon Oncle Toby » pour tenter d’éclaircir le secret de la blessure à l’aine et ses conséquences ************ éventuelles.
Toutes les scènes et dialogues donnent lieu à d’incessantes digressions, intercalations, suspensions et même interruptions — la suite reprenant quelques chapitres plus loin — Ce foisonnement burlesque et drôle, à propos ambigus et désopilants est ponctué d’inventions typographiques, dessins, signes cabalistiques, véritable amphigouri d’impression et d’expressions… Et auquel le lecteur est sans cesse interpellé comme faisant partie de l’œuvre elle-même jusqu’à être invité à dessiner un personnage sur une page restée blanche à cet effet.
Laurence Sterne est le roi de la jouissive digression : « Mon ouvrage digresse en même temps qu’il progresse » avoue-t-il quelque part permettant aux personnages de rejoindre la narration des évènements. Ce prédicateur de talent est un vrai libertin — c’est à dire un esprit libre — dans ce siècle des Lumières, utilisant l’humour et le rire pour combattre la tristesse. Car sa vie n’a pas été vraiment drôle ; malade chronique de la tuberculose, il a souffert de la disparition de nombre de ses proches, mariage et vie de couple difficiles, perdu dans une campagne reculée et éloignée de tout… Ses inspirations sont puisées en partie dans Rabelais et Cervantes, auteurs de sages Bouffonneries — car comment parler de sujets qui fâchent : prendre pour complice un narrateur ou des personnages un peu fous…— Et pour qualifier ce pasteur un peu loufoque en reprenant le titre de l’essai de Cécile Guilbert sur Sterne avec qui elle s’entretient — véritable dialogue d’outre-tombe plein d’esprit et drôle — : L’Écrivain le plus libre, subversion de l’auto fiction. Il y a dans une vie de lecteur des moments de bonheur pur : la Vie et les Opinions de Tristram Shandy nous en a donnés beaucoup.