Le voyage aux falaises - 1

Publié le par kate.rene

Jeudi, 8 heures, le Melvan avance difficilement, secoué par un flot chaotique et sur une mer houleuse dont la couleur sombre se confond avec le ciel gris et dont le remous incessant s’estompe progressivement en arrivant près de Quiberon. Le golfe est agité de grosses vagues dont les crêtes mousseuses sillonnent en tout sens la surface gris-bleu de l’océan dans un désordre aquatique harmonieux… Puis lentement, le ciel se déchire et un soleil généreux et chaud illumine le continent et l’eau. Nous sommes sur la terre ferme. Après un café-croissant à Penthièvre, sur cette bande de terre entre-deux-mers, nous avons rendez-vous avec le mystère des Alignements de Carnac. Visite guidée avec Matthieu, passionné et passionnant, du site où trois milles pierres levées et alignées, datant de 4 à 6000 ans avant J.C. et faites de ce granit qui affleure à la surface du sol par endroit, et qui pointent vers le ciel leur sommet et dont le POURQUOI reste une éternelle source de spéculations ; mais qui inspire un lieu cultuel ou de commémoration de cette humanité d’un autre âge ou de quelques dieux (païens, les meilleurs) avec ce souci de l’alignement qui pourrait aussi évoquer une construction délibérée d’un temple quelconque… De ces pierres érigées cinq mille ans nous contemplent ! Vertige temporel ! Retour dans notre temps avec un pique-nique de filets de bar froids (merci Patrick) chez Total, première station-service à la sortie de Vannes en direction de Rennes…

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Destination Combourg… Sur cette route qui conduit aussi à Saint-Malo, on traverse un village dangereux pour tout bibliophile et "librophage" en tout genre : Bécherel, la cité des Livres, Aie, Aie, Aie !!! En tout sept livres achetés d’occasion, bien sûr, dont un album illustré d’aquarelles sur Les terres et demeures d’Outre-Temps dans les pas de Chateaubriand. Nous poursuivons notre route ; au sommet d’une élévation du terrain et plongeant ensuite vers une petite ville bordée d’une grande étendue d’eau, apparait un château, masse grise et imposante, avec ses quatre tours d’angle à sommets pointus, ce « char à quatre roues » tel qu’il est décrit dans le Grand Livre du Grand Homme.

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Nous arrivons à Combourg en longeant le lac « tranquille » de la première jeunesse de Chateaubriand. Une place carrée accueille le visiteur, bordée par deux hôtels — du lac et du Château — et par une des façades du château en hauteur ; cette place, dite de Chateaubriand, au centre de laquelle préside, hiératique, gigantesque et démesuré, François-René debout, tel qu’il ne fut jamais et tel qu’il aurait voulu être…, grand et bien proportionné. Une grande chambre fort agréable donnant sur un parc arboré nous attend à l’hôtel du château et surtout un RV impératif : France-Pérou… Mais revenons sur la place et sur cette sur-représentation (quelque peu erronée) du Grand Homme figé pour l’éternité (son rêve) et pour la postérité (son deuxième rêve) dans le granit. Commandée et « donnée » par l’État à la ville de Combourg en 1930, cette statue fut réalisée par un certain Alphonse Camille Terroir (1875-1955).  Tel Le David de Michel-Ange, il est tout à la fois disproportionné et re-proportionné, le futur mémorialiste se présentant négligemment appuyé sur son coude droit et reposant sur un muret à hauteur de taille, la jambe droite croisée sur la jambe gauche, tenant son chapeau à larges bords dans la main gauche, une large cape le recouvre et d’où surgit cette belle figure à l’abondante chevelure et aux favoris généreux. Il est jeune et il est beau. Son regard légèrement incliné inspire la méditation, la contemplation et la rêverie du romantique tel qu’il voulait paraitre et tel qu’il fut, peut-être…

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La Visite du château…, avec guide obligatoire, trop jeune stagiaire récemment arrivé et dont les connaissances sont par trop incomplètes sur le lieu et sur la vie du Vicomte… « Sa triste façade présentait une courtine portant une galerie à mâchicoulis, denticulée et couverte. Cette courtine liait ensemble deux tours inégales en âge, en matériaux, en hauteur et en grosseur, lesquelles tours se terminaient par des créneaux surmontés d’un toit pointu, comme un bonnet posé sur une couronne gothique. Quelques fenêtres grillées apparaissaient çà et là sur la nudité des murs. Un large perron, raide et droit, de vingt-deux marches, sans rampes, sans garde-fou, remplaçait sur les fossés comblés l’ancien pont-levis ; il atteignait la porte du château, percée au milieu de la courtine. Au-dessus de cette porte on voyait les armes des seigneurs de Combourg, et les taillades à travers lesquelles sortaient jadis les bras et les chaines du pont-levis. » (p.44)*. Telle est la description du château par Chateaubriand dans ses Mémoires.

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L’endroit devait être sinistre sinon austère en hiver et sous la pluie ; heureusement pour nous, le soleil donne et le parc est magnifique. En entrant dans le château, le buste de François-René de Pierre-Jean David, dit David d’Angers, nous accueille.

Buste par David d'Angers

Buste par David d'Angers

L’intérieur du château est totalement reconstitué avec cependant du mobilier ayant appartenu au Grand Homme, en particulier le lit de la maison au 120 rue de Bac à Paris où il mourut dans les bras de Juliette (Racamier), quasiment aveugle, à la veille de la révolution de 1848.

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Dans un des salons, on peut admirer un Giovanni Bellini (vrai ou faux, difficile à dire) représentant une Présentation de Jésus… Ce château avait été acheté par le père de René qui ne fit, finalement, que de brefs séjours : les quelques mois de vacances lorsqu’il était au collège à Dol-en-Bretagne, Rennes ou Dinan. Parc et château furent dévastés pendant la Révolution. Chateaubriand ne voulut jamais revoir les lieux qui avaient influencé (dit-on) sa sensibilité romantique…

Giovanni Bellini  ?

Giovanni Bellini ?

Toujours dans les pas de René, et à quelques kilomètres de là, on découvre un endroit isolé, calme et verdoyant servant d’écrin de verdure à l’abbaye de Le Tronchet dont il ne reste que l’église et les voutes du cloître…, et où notre poète fit un bref passage : « Mon coeur saignait à la vue de ces forêts ébréchées et de ce monastère déshabité. Le sac général des maisons religieuses m’a rappelé depuis le dépouillement de l’abbaye qui en fut pour moi le pronostic. » (p.54)*

Le Tronchet

Le Tronchet

* Les Mémoires d'Outre-Tombe, Pléiade, Tome 1

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