Roma, amor ?
Comment aborder une ville immense comme Rome, ville capitale et lieu de culte, en l’espace d’une semaine ? Sept jours comme dans la Genèse pour apprécier ce site chargé d’histoire, de violence, d’obscurantisme dogmatique religieux, de foi et d’espérance pour les croyants ! avec, naturellement, beaucoup d’omissions volontaires ou pas ; on ne peut pas tout voir en une semaine. Faire un choix pour la promenade quotidienne de quelques heures — nos pauvres jambes nous font mal rapidement — se laisser guider par nos lectures du matin dans notre chambre du troisième étage et dont la fenêtre nous permettait de plonger sur le cortile du Palazzo Spada (ce que nous apprîmes quelques jours plus tard) avec l’extérieur protubérant de la construction de la Prospettiva de Borromini*).
*La longueur totale de cette perspective est d'à peine neuf mètres, mais semble beaucoup plus longue grâce à une ingénieuse illusion d'optique due à Francesco Borromini (1599-1667)
Notre hôte était venu nous chercher à l’aéroport, attention délicate. A peine arrivés, nous nous sommes munis d’un de nos quatre « guides » à la recherche des « curiosités » dans le coin. Premier bain dans la rue romaine. La via Pettinari, où nous logions, est une area pedonale, rue piétonne et qui comme beaucoup de ces ruelles romaines à pavés noirs, ronds, luisants et très inégaux, est envahie par les deux et quatre roues fort bruyants. Ces ruelles étroites offrent une ombre apaisante, car le soleil de fin septembre est encore très chaud. À quelques mètres en allant vers le pont Sisto, dans la via delle Zoccolette, le témoignage sur la façade d’un bâtiment d’un ancien refuge pour enfants abandonnés : un bas relief en médaillon représentant deux enfants emmaillotés.
À quelques pas de là, était mentionnée dans notre « guide » une Capellina à visiter sur demande. Entrant sous le porche de ce bâtiment relativement austère nommé Mons pietatis et depositorum, Mont-de-piété, nous abordons le concierge afin de lui demander s’il était possible de visiter cette petite merveille. Ô miracolo, le préposé à La Chapelle était encore là et nous accueillit chaleureusement, nous laissant admirer ce décor fait de marbre, de stuc et d’or, de hauts-reliefs magnifiquement ciselés de marbre blanc, éblouissant premier contact avec le Baroque romain…; impression confirmée quelques instants plus tard quand nous entrons dans S. Andrea della Valle sur le Corso Victor E. II. Mais, c’est bien sûr, nous sommes arrivés dans la capitale de la Contre-Réforme.
Comme toujours et pour ceux que se lèvent tôt, c’est le plaisir incomparable de découvrir un lieu au lever du soleil et quand la ville commence sa journée. Tout est calme, désert avant que la foule n’envahisse les rues, les places et les ruines etc… Ça matin-là, le soleil se levait sur les quais du Tibre, ce fleuve quelque peu « délaissé » par les Romains - l’activité fluviale est pratiquement inexistante. Il ne semble qu’un accessoire urbain. Les églises, les plus petites en particulier, ouvrent très tôt le matin, permettant aux religieuses des congrégations d’entamer leur journée de prière et de dévotion, puis les portes se refermeront vite sur elles (comme la chiesa San Michele Eritrea, Santa Brigida di Svezia, par ex.). Dans d’autres églises, il y a plus de servants que de fidèles…
Le campo de fiori est très animé tôt le matin, les marchands installent leurs étals de fruits et légumes, et de fleurs naturellement, mais aussi de tout et de rien, comme sur tous les marchés du monde. Ce brouhaha régulier et bien rythmé tous les jours de la semaine, même le dimanche, semble être dirigé par un chef d’orchestre du haut de son perchoir planté au milieu du campo : c’est la statue de Giordano Bruno érigée à la fin XIXe siècle, contre l’avis papal (à deux pas du palais de la Chancellerie qui abrite les services juridiques administratifs d'État de la Cité du Vatican !) et qui symbolise la rupture et « l’indépendance » acquise par les Romains vis-à-vis du joug des religieux qui ont possédé la Ville pendant plus d’un millénaire.
Le Colisée et le Panthéon sont des lieux inabordables quand ils sont ouverts aux masses de touristes qui affluent de toute part. Nous ne sommes pas allés au Vatican, pour les mêmes raisons. Nous avons essayé de nous réfugier dans des rioni tranquilli (quartiers tranquilles) comme le Janicule ou le Trastevere sillonnés de petites ruelles ombragées et très souvent décorées d’une végétation murale, lierre ou autre, donnant des taches de verdures ou de fleurs très attrayantes. Il serait fastidieux de décrire tout ce que nous avons visité, mais pour les musées, retenons la Villa Farnesina avec la tête « graffée à la va-vite» par Michel-Ange à l’insu de Raphael*…, le Palazzo Corsini, juste en face et ses salles de peintures du sol au plafond…; pour les églises, toutes et aucune de préférence. Mais ce que l’on constate dans la surabondance de marbre, de stuc et d’or, c’est que Rome est la Ville de la Contre-réforme, donnant dans l’ensemble une décoration lourde, si ce n’est peu esthétique…, tellement c’est massif. Tout comme sont massifs les monuments plus récents, comme sur la Piazza Venezia - place de Venise - le monument à Victor Emmanuel II, ou la Corte Suprema di Cassazione, la cour de Cassation, par exemple...
*Michel-Ange serait venu à l'insu de son rival Raphaël inspecter les fresques que ce dernier exécutait alors dans la villa Farnesina à la demande du banquier Chigi, premier propriétaire de la villa. Il n'aurait pu résister à l'envie de laisser une trace de son passage en traçant ce visage au charbon de bois... On dit que Raphaël, reconnaissant le talent de Michel-Ange, a conservé ce portrait en l'état.
Et naturellement Caravage...
À son arrivée à Rome, l’abbé Pierre, personnage principal de Zola dans son roman ROME, dit ne vouloir rester dans la Ville que deux ou trois semaines : « Le salon se récria. Comment ! trois semaines ? Il (l’abbé) avait la prétention de connaitre Rome en trois semaines ! Il fallait six mois, un an, dix ans ! l’impression première était toujours désastreuse ; et, pour en revenir, cela demandait un long séjour. » (p.94)
Mais se promener le matin très tôt, dans la Via Giulia déserte, traverser la Piazza Navona vide avec ses trois fontaines jaillissantes, prendre son cappuccino au bar Rossana, à côté de la boulangerie Antico Forno Roscioli si réputée, c'est le petit bonheur égoïste du promeneur matinal solitaire. Mais quand le bruit se réveille avec les voitures et les hordes de touristes, on a envie de fuir dans les quartiers excentrés pleins de ce charme qui rend peut-être encore cette Ville Éternelle !
Quelques images en vrac...
Via Giulia, Santa Maria dell'Orazione avec cet avertissement : "Aujourd'hui, c'est pour moi, demain, ce sera pour toi"
Les musées Capitolins, véritable dédale où il est bien difficile de circuler... escaliers, fléchage incompréhensible, éprouvant pour les pieds. Des sculptures à n'en plus finir, des bustes tellement nombreux qu'on finit par ne plus rien voir, mais des merveilles aussi.
Nous avons visité bien d'autres lieux, des églises, des palazzi, des rues, des métros... Citons tout de même San Clemente, bâtie sur trois niveaux dont le plus ancien est un lieu de culte à Mithra (photos interdites). Nous avons manqué le cimetière des "non catholiques", fermé ce jour-là, où sont enterrés Shelley, Keats et le fils de Goethe (August). Nous ne sommes pas allés au Vatican, ni à la villa Médicis, nous n'avons fait que survoler la ville antique. Peut-être y retournerons-nous un jour.
Rome insolite et secrète - Éditions Jonglez
Rome - Le Routard
Fugue romaine d'Édith de la Héronnière - Éditions Desclée de Brouwer
Le piéton de Rome de Dominique Fernandez - Éditions Philippe Rey
Rome de Émile Zola - Éditions Rencontre, Lausanne