Le Meurtre du Commandeur
2h18 sur la montre digitale du four, il n’y a pas de drelin-drelin, tout est silencieux dans la maison ; pas un souffle de vent, le silence est palpable, audible. Mes oreilles en bourdonnent presque à vouloir détecter le bruit de la clochette. Assis à la grande table qui nous sert de bureau dans la vaste pièce plongée dans l’obscurité que seule la Jumo vient interrompre par sa douce lumière chaude, me donnant assez d’éclairage sur mon cahier d’écriture ; le crayon bien taillé, j'essaye de trouver les mots à défaut d’entendre la voix du Commandeur… Mais je crois que rien ne se passera cette nuit. 2h42 sur la JL de bureau qui avance de trois minutes, semble-t-il ; mais finalement, comment s’appelle le narrateur ? Le Je de cette histoire ?
Le lendemain, dimanche, 2h20, sur la montre digitale du micro-onde dont la lumière bleue diffuse une lueur très nette dans l’obscurité, j’erre dans la maison. Dehors, le vent de décembre humide et froid souffle, précipite à terre les dernières feuilles des arbres, l’hiver approche à grands pas. Sinon, pas un bruit, pas de drelin-drelin, pas de voix dans mon oreille, pas d’Idée non plus. Le Commandeur ne viendra pas ce soir. Il a d’autres chats à fouetter, sans doute…
Lundi, 2h48, cela fait moins d’une semaine que cette histoire a commencé et que Monsieur « Épargné par les couleurs » (prononcer Menshiki) a franchi le seuil de la maison. La tempête d’hier s’est calmée, le vent est tombé, la pluie a cessé. La nuit est noire et sans étoiles, le Commandeur ne s’est toujours pas re-manifesté. Ce n’était peut-être qu’une simple Idée… Peut-être a-t-il réintégré le tableau Nihonga ?
Mardi, 3h16, le Commandeur est revenu ; toujours vêtu de son costume blanc traditionnel avec sa petite épée à la ceinture et sa voix discrètement scandée et stridulante, me faisant penser à Maitre Yoda ; et toujours très sérieux expliquant : « Aussi, afin de ne plus penser à quelque chose, il (l’Homme) doit d’abord se détacher de l’idée même d’arrêter d’y penser. » (p.101, t2)
Mercredi 1h35. La brume recouvre toute la vallée. On n’entend que le tic-tac de l’horloge (mécanique) du thermostat… L’homme à la Subaru Forester blanche est « finie » ! La fosse au milieu du bois est également finie, mais le portrait de Marié (prononcer MALIEE n’est pas achevé…, « Marié était habillée dans son style habituel, avec son grand blouson et son jean troué, des sneakers blancs encore plus sales que la paire qu’elle portait d’ordinaire. » « Vous n’auriez peut-être pas du faire ça, dit-elle, comme je l’ai déjà dit, je crois » (p.181, t2) et un plus loin, « il n’aurait pas fallu ouvrir cette fosse ! »
Jeudi 3h55, comme j’ai dormi longtemps !!! Le Commandeur a vraiment disparu, ce n’est plus une simple évaporation, ni une autre métaphore, ça parait bien réel… L’homme à la Subaru Forester blanche est réapparu, lui, ou du moins la voiture, la même, exactement la même… Je sais ce que tu as fait et où.
Samedi, 3h44… Depuis hier vendredi vers 19 h devant un grand feu dans la cheminée, c’est fini… « En outre, nous étions les seuls à savoir que …, oui, bien entendu, le hibou aussi le savait, mais le hibou ne dirait rien à personne. Les hiboux se contentent d’absorber le secrets avant de les enfouir dans le silence. » (p.442 t2)
ET la boucle est bouclée, chacun repartira dans son monde, reprendra en quelque sorte le cours de sa vie ; après avoir vécu cette « parenthèse », ces évènements de « réalisme magique » auquel Murakami nous avait merveilleusement habitué dans ses premiers livres (La Course au Mouton sauvage, La Fin des Temps, La Balade de l’Impossible, Kafka sur le Rivage, etc) ; puis on a eu l’impression qu’il s’essoufflait un peu dans ses deux derniers livres (1Q84 et L'Incolore Tsukuru Tazaki…). Avec Ce dernier livre, il revient en force, éblouissant de maturité narrative, d’imagination et de sensibilité. Du grand Art.
Le Meurtre du Commandeur - Haruki Murakami - Éditions Belfond
Livre 1 : Une Idée apparaît. 9-782714-478382, 454 p.
Livre 2 : La Métaphore se déplace. 9-782714-478399, 474 p.