Félix Gaiffe, un Bisontin peu ou pas connu !

Publié le par kate.rene

« Les historiens mentent à plaisir pour flatter la démagogie ou les ennemis de la France et si vous faites chorus avec eux, vous êtes un mauvais Français..., l'admiration béate pour l'époque où triompha l'absolutisme royal..., il m’a paru nécessaire et urgent de répondre à ces théories grossièrement erronées..., voici ce qui s’écrivait, s’imprimait alors. Lisez vous-mêmes les textes ; voyez, touchez, palpez la réalité et jugez ensuite... »

Tel est dans la préface de son livre, l’avertissement au lecteur qu’énonce Félix Gaiffe, l’auteur de ce travail (datant d’un siècle) de compilation d’écrits, de mémoires, d’extraits de correspondances ou autres chansons satiriques publiés au XVIIe siècle et au début du XVIIIe ; siècle appelé par les historiens le Grand Siècle où régna de tout son « éclat » pendant plus de cinquante ans celui qui reste dans l’Histoire, le Roi-Soleil.

L'envers du décor

L'envers du décor

Et de conclure dans cette préface : « Ceux qui voudront conserver toutes leurs illusions sur le siècle de Louis XIV...; j’annonce l’envers du grand siècle et l’envers seulement parce qu’on nous a souvent ébloui..., à maintenir impérieusement l’aiguille du baromètre au Beau Fixe, tandis que les vents sifflent et que sévit la rafale..., et qu’à la façon de Boileau qui..., appelle un chat un chat et Rollet un fripon, on y désigne par leurs noms certains objets ou certains actes que nous avons pris l’habitude de voiler d’une gaze décente et hypocrite. »

Le décor est planté. Que la fête commence.

Le carrousel de 1662 devant les Tuileries

Le carrousel de 1662 devant les Tuileries

Et ce n’est pas la fête pour tout le monde, loin s’en faut. Car à côté des fastes somptuaires de Versailles où les fêtes s’enchaînent à des coûts astronomiques (ce qui est somme toute cohérent pour un soleil !), la France souffre, la France a faim, et se meure dans l’indifférence royale malgré les appels réitérés des grandes plumes de l’époque : Fénelon, la Palatine, Vauban naturellement et même Saint-Simon parmi les plus célèbres, sans oublier les sermons - interminables - de Mgr Bourdaloue ; mais aussi des observateurs étrangers en mission diplomatique auprès de la Cour. Ces contemporains « objectifs », ces témoins oculaires ne ménagent pas leurs propos qui remontent jusqu’au Roi..., sans suite. L’orgueil démesuré, l’excès de galanterie et une dévotion outrée complètent sinon résument le caractère de ce Roi qui s’incarne dans la France, son bien ; « L’État, c’est Moi », formule lapidaire et qui résume bien la situation, tout en sachant qu'il n'en est peut-être pas l'auteur.

Sébastien Bourdon - Les mendiants - Musée du Louvre

Sébastien Bourdon - Les mendiants - Musée du Louvre

« Le peuple même (il faut tout dire), qui vous a tant aimé, qui a eu tant confiance en vous, commence à perdre l’amitié, la confiance et même le respect... » (Fénelon, lettre à Louis XIV, 1694).

Repas de Paysan - Le Nain - Musée du Louvre

Repas de Paysan - Le Nain - Musée du Louvre

Si la natalité était beaucoup plus forte qu’aujourd’hui (une fratrie de dix enfants n’était pas rare, Louis XIV en a eu 25 !), la mortalité infantile était elle aussi très élevée ; on estime qu’un enfant sur deux seulement atteignait l’âge adulte. La population française a perdu un million d’habitants pendant le règne de Louis XIV. Les causes en sont multiples : la misère, la famine, les conflits armés, l’insécurité sévissaient partout aggravés par des impôts exorbitants levés pour l’effort de guerres inutiles, longues et coûteuses en vie humaine (33 années cumulées pour 64 ans de règne) et dont Vermeer fut (vraisemblablement) une des victimes collatérales en 1675 lors de la guerre de Hollande de 1672 à 1678 (1). La dernière cause de diminution de la population fut naturellement l’aberrante et injustifiée révocation de l’Edit de Nantes en 1685, sous l’influence de « la Maintenon », comme on l’appelait à l’époque et dont la Reine disait (rapporté par Saint-Simon) « Cette pute me fera mourir ! ». L’exode des protestants a été une catastrophe économique qui a bien profité aux pays d’accueil voisins.

Allégorie de la paix de Nimègue (guerre de Hollande) - Charles le Brun - Musée des Beaux-Arts Budapest

Allégorie de la paix de Nimègue (guerre de Hollande) - Charles le Brun - Musée des Beaux-Arts Budapest

Misère des paysans

Misère des paysans

Peu de voix se sont élevées à la cour contre la politique antisociale du souverain, par opportunisme pour les ministres, par intérêt personnel pour les courtisans. Il en fut au moins une qui essaya de pousser un cri d’alarme, celle de notre « voisin de Bazoches » : le Maréchal de Vauban. Vauban a essayé d’influer sur les décisions du Roi, sans succès le plus souvent. Vauban qui « patriote comme il l’était... avait toute sa vie été touché de la misère du peuple et de toute les vexations qu’il souffrait » comme le rapporte Saint-Simon dans ses Mémoires, était plus qu’un militaire et un bâtisseur de fortifications (comme à Besançon par exemple)  ; pendant une grande partie de sa vie il a sillonné la France dans sa Basterne et a observé, analysé, noté, rapporté tout ce qui concernait la vie de la majorité des français, c’est à dire la paysannerie dans toutes les régions de France. « Ajoutons qu’il a emprunté maintes fois les mêmes routes, traversant les mêmes régions à diverses reprises. C’est ce qui lui a permis d’observer des évolutions — qui consistaient souvent en dégradations — et donc d’avoir de la France une vision actualisée et réaliste. En fait, il est bien possible que personne n’ait jamais eu, autant que Vauban, la possibilité et les compétences pour observer la France au XVIIe siècle. » (p. 182 in Vauban, l’inventeur de la France moderne). Vauban note :

La basterne de Vauban (reconstitution pour le film Vauban, le vagabond du roi)

La basterne de Vauban (reconstitution pour le film Vauban, le vagabond du roi)

« C’est la partie basse du peuple qui, par son travail, enrichit le roi et tout le royaume... c’est elle qui garde et nourrît les bestiaux, qui sème les blés et qui les recueille, qui façonne les vignes et fait le vin, qui fait les gros et menus ouvrages de la campagne et des villes. Voilà en quoi consiste cette partie du peuple, si utile et si méprisée, qui a tant souffert et souffre tant à l’heure où j’écris ceci... », puis il constate que le problème dépasse celui de la misère du « petit peuple », mais touche également les classes moyennes et supérieures et une partie du clergé, hormis la grande noblesse. La France est plongée dans une telle précarité que suite à de mauvaises récoltes, entre 1692 et 1695, on comptera un million et demi de morts dus à la faim, au froid, à la maladie…

Vauban propose des solutions dans son livre en 1707 : Dime Royale. Il sera aimablement éconduit…, remercié, ignoré.

Si rien ne lui échappe de la misère qui affecte l’ensemble du pays, Vauban est aussi le témoin des gabegies royales. Pire : il se trouve contraint d’y participer, l’exemple le plus criant en étant sans doute celui de l’aqueduc de Maintenon…, pour approvisionner  toutes les fontaines de Versailles… (2)

Château de Maintenon vu à travers l'aqueduc - François-Edmée Ricois

Château de Maintenon vu à travers l'aqueduc - François-Edmée Ricois

Mais revenons à M. Félix Gaiffe qui m’est si familier et à qui je n’avais jamais prêté attention. Mes parents habitaient 6 rue Félix Gaiffe à Besançon depuis 1960. J'avais huit ans. Je ne me souviens pas si nous avons évoqué un jour qui était ce bisontin sinon connu du moins reconnu par la Ville, pour lui attribuer un nom de rue. Ce n’est qu’il y a quelques mois, en écoutant une des conférences d’Henri Guillemin que j'entendis le nom de Félix Gaiffe, évoqué pour son livre L’envers du Grand Siècle. Il n’a jamais été réédité récemment. Je l’ai trouvé dans une édition de 1957 « réservée aux Sociétaires du Club du Livre d’Histoire », exemple de diffusion confidentielle…

 

 

 

Agrégé de grammaire en 1896 et Docteur ès Lettres en 1910, Félix Gaiffe fit une carrière académique dans plusieurs lycées et universités en tant que professeur d'histoire de la littérature dramatique. Ses ouvrages écrits portent essentiellement sur l'histoire du théâtre français et pour conclure, je ne peux résister à joindre les deux dernières pages du livre, avec en particulier l'oraison funèbre de Louis XIV par Massillon... "Au lecteur d'en faire son profit".

Félix Gaiffe, un Bisontin peu ou pas connu !

Félix Gaiffe - L'Envers du Grand Siècle - (1924) - Le Club du Livre d'Histoire 

1 - Timothy Brook - Le Chapeau de Vermeer - Petite Biblio Payot Histoire 

2 - Dominique Le Brun - Vauban, l'Inventeur de la France Moderne - La Librairie Vuivert - ISBN 978-2-311-10112-6

 

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