"Moult me tarde, la moutarde ou quand la Bourgogne (comme la Russie aujourd'hui) défiait l'Europe
« Moult me tarde » (« Qu’il me tarde ») était la devise de la maison de Bourgogne depuis Philippe Le Hardi. À partir de la fin du XIVe siècle, « Moult me tarde » figura sur les pots de moutarde, car revenant de la bataille de Rosebecque (1383) à Dijon, le Duc fit le don de sa devise à la ville. Non seulement il raffolait de cette préparation, mais il apporta des améliorations à la modernisation de sa préparation et ceci, en parallèle avec le développement de la viticulture par la suppression du gamay au profit du pinot noir. Cette belle légende « adoptée », il est fort probable que la moutarde doive en réalité son nom au malt initialement utilisé : « mustrum » (moût) et « ardens » (brûlant).
À la mort de son beau-père Louis de Male, comte de Flandre, Philippe Le Hardi fut celui qui, parmi les nombreux envahisseurs, emporta la victoire pour devenir Comte de Flandre et ainsi étendre son duché vers les contrées septentrionales qui seront appelées Les Plats-Pays. L’unification de ces nombreux états ou villes du Nord se fera au prix de nombreuses guerres loco-régionales tout au long du XVe siècle, mais aussi avec l’ennemi héréditaire de la Bourgogne, le Roi de France, guerre en quelque sorte fratricide entre les Valois de France et les Valois-Bourgogne, et ceci malgré les nombreux mariages politiquement arrangés…
Ce fut le cas pour la tentative de mariage, souhaitée de Philippe Le Hardi, entre le futur Roi de France Charles VI et Marguerite de Bourgogne en 1385. Celle-ci fut finalement unie au futur successeur de la Maison de Bavière, Guillaume, alors que dans le même temps, sa soeur, Marguerite épousait le futur Duc de Bourgogne, Jean (sans Peur). Ce double mariage fut célébré le 12 avril 1385 à Cambrai. Les mariés avaient respectivement, 14 ans pour Jean, 12 ans pour Marguerite de Bavière, 20 ans pour son frère Guillaume uni à Marguerite de Bourgogne 11 ans…
Tombeau de Jean sans Peur et Marguerite de Bavière - Jean de la Huerta et Antoine le Moiturier - XVe siècle - Palais des ducs de Bourgogne à Dijon
Dix ans plus tard, Jean sans Peur, qui n’était encore que simple écuyer et petit comte de Nevers se retrouva à la tête d’une armée « européenne » de 10000 hommes et 30000 chevaux ; cette nouvelle croisade contre les turcs devait le faire entrer dans la Légende… Pendant ce temps et alors que le roi de France Charles VI devenait de plus en plus fou, les artistes flamands (comme Clovis Sluter) convergeaient vers Dijon à l’initiative du Duc et redoublaient de talent pour l’ornementation de l’abbaye des Chartreux de Champmol (à l’entrée de Dijon) avec notamment l’édification du Puits de Moïse, qui deviendrait le mausolée des Bourgogne, témoignage que « à la fin du moyen-âge, la mort était une affaire d’une importance vitale ». (p.216). Dans leur querelle sans fin, le nouveau Roi de France, Charles VII, allait faire assassiner Jean sans Peur sur le pont de Montereau, là où l’Yonne se jette dans la Seine (ou inversement). Enterrées initialement dans la collégiale de N-D de Montereau, ses dépouilles (main tranchée, crâne brisé, etc) furent transférées dans le caveau familial de Champmol où elles attendirent de nombreuses années la fin des travaux.
Assassinat de Jean sans Peur sur le pont de Montereau - Maître de la Chronique d'Angleterre - 1470-1480 - BNF
Apprenant la mort tragique de son père, Philippe de Charolais, vingt-deux ans, (futur Philippe le Bon) se retourna vers sa femme, et au milieu des cris de rage et des pleurs, lui dit : « Madame Michelle, votre frère a tué mon père ». Devenu Duc sous le nom Philippe le Bon, Il vouera une haine profonde envers le roi de France toute sa vie, malgré l’espoir de son grand-père Philippe le Hardi d’unir les destinées des deux rivaux. Dans son aveugle désir de vengeance, il livra la France à l’Angleterre et prit part à la non moins « célèbre » Guerre de cent ans. Quelques années plus tard en 1430-1431, après l’arrestation de Jeanne d’arc par ses hommes, et après une négociation de six mois pour déterminer le montant de la rançon, elle fut livrée aux Anglais… On connaît la suite… Après plusieurs siècles d’anonymat complet, Bonaparte et Jules Michelet réussiront à faire de Jeanne d’Arc l’incarnation du peuple français !
En ce début du XVe siècle, les artistes flamands seront attirés vers la cour ducale et formèrent ce que l’on appellera plus tard les Primitifs Flamands. Parmi ceux-ci, les frères Van Eyck se démarqueront par la qualité de leurs œuvres : entre autres « l’Anneau Mystique », transposée et inspirée des œuvres du sculpteur Claus Sluter. Jan Van Eyck, âgé d’une quarantaine d’années à cette époque terminera ce polyptyque peint sur bois, commencé par son frère Hubert (mort en 1426) et placé dans la cathédrale Saint-Bavon de Gand. Peintre attitré de la cour de Philippe Le Bon, il réalisera le célèbre portrait du « bras droit » du Duc, le Chancelier Rolin, dans une position de communion dévote à la Vierge et son enfant divin sur ses genoux. Dans cette œuvre, les somptueuses nuances de couleur ne manquèrent pas de frapper de stupeur ses contemporains puis les nombreux admirateurs au cours des siècles. Au centre du tableau, au deuxième plan, entre le Chancelier et la Vierge, on aperçoit un personnage de dos coiffé d’un turban rouge qui pourrait bien être le peintre lui-même (cf son auto-portrait). Et au-delà, sur le pont traversant le fleuve, la présence d’une croix ne serait-elle pas une commémoration de l’assassinat de Jean Sans-Peur, le père de Philippe le Bon, sur le maudit pont de Montereau ?
S’il serait trop simple de lui attribuer l’invention de la peinture à l’huile, l’utilisation systématique qu’il en fit contribue à faire de Van Eyck un des pionniers de cette technique.
Dans les dernières années de sa vie, le Chancelier Rolin fit construire les Hospices de Beaune « Palais pour les pauvres malades » qui ouvrira ses portes en janvier 1452. Le Chancelier y est représenté avec sa femme, Guigone de Salins, dans un « Jugement Dernier » réalisé par un autre célèbre peintre « primitif flamand », Roger van der Weyden. Cette œuvre monumentale fut redécouverte aux Hospices à la fin du XIXe siècle sous un badigeon recouvrant les peintures. Restaurée, elle est exposée actuellement dans une petite salle et non au-dessus de l’autel de la grande salle des malades comme initialement. Ce qui la rend exceptionnelle, c’est l’absence de diables et autres monstres ou créatures abominables munies de pics ou de pioches pour pousser les « méchants » vers les flammes de l’Enfer. Fermé, le polyptyque montre de part et d’autre de quatre grisailles les donateurs et fondateurs des Hospices, le Chancelier Rolin et sa femme Guigone de Salins.
Quelques années plus tard, en 1457, nait une des figures centrales de la dynastie des Valois-Bourgogne : Marie de Bourgogne. Alors que le duché de Bourgogne voit son influence de plus en plus menacée, Marie de Bourgogne, petite-fille de Philippe le Bon, deviendra par son mariage avec un Habsbourg et par sa descendance, la grand-mère de Charles V (Quint)(1500) ; chaînon entre deux époques : la fin du Moyen-âge et le début de la Renaissance, mise en musique par la contre-réforme dans le domaine religieux et son pendant, le Baroque dans les Arts.
Charles le Téméraire - Rogier van der Weyden - vers 1460 - Gemälgalerie der Staatlichen Museen, Berlin et Marguerite d'York - anonyme - vers 1468/70 - Louvre, Paris
À la fin de sa vie, vers 1462, Van der Weyden immortalisa l’image du futur Duc, Charles le Téméraire, sur une toile qui le présente dans un habit noir avec le collier de la Toison d’Or, le regard perdu dans un lointain inaccessible, les lèvres épaisses et figées dans une mimique sévère et déterminée. Pour son troisième mariage et dans un souci — très courant à cette époque — de rapprochement avec une des puissances régnantes du vieux continent, il choisit pour femme Marguerite d’York, sœur du Roi d’Angleterre Edouard IV, renforçant sa position vis-à-vis de son « ennemi », le Roi de France Louis XI. Le mariage est célébré à Gand en 1468 dans un faste inégalé pour lequel une centaine de peintres et artistes fut requise, menée par le chef de la guilde Hugo van der Goes. Dans la délégation florentine, le Banquier des Médicis était présent, Tommaso Portinari ; attiré sans doute par le talent de Van der Goes, il lui commanda une œuvre monumentale s’inscrivant à la suite de L’Agneau Mystique de Van Eyck et de la Descente de Croix de Van der Weyden : Le Triptyque de Portinari, dans lequel le souci du détail est poussé jusqu’à l’extrême (la gerbe de blé ou le vase de fleurs, par exemple). Terminé, le Triptyque fut acheminé dans la Chapelle de l’hôpital Santa-Maria-Nuova à Florence. Les commanditaires de cette œuvre magistrale sont représentés avec leur trois enfants, fait sans précédent dans la peinture à l’époque. « Ces portraits d’enfants d’une beauté saisissantes annoncent les chefs-d’œuvre De Rubens et de Van Dyck » (p.478). Le triptyque est actuellement visible au musée des Offices.
Pendant toutes ses années de règne, Charles Le Téméraire fut presque continuellement en guerre avec ses voisins et ses villes-états des Plats-Pays du Nord afin de mater les insurrections itératives. Sa soif belliqueuse lui donna même l’idée d’une nouvelle croisade pour « délivrer » Constantinople des mains des « hérétiques »… Après de nombreuses acquisitions territoriales et un semblant d’apaisement, La Grande Bourgogne formait désormais un tout continu permettant d’aller de Boulogne à Luxembourg et de Mâcon à Amsterdam sans passer de frontière. Dans son ambition surdimensionnée, Charles voulut être consacré Roi de Bourgogne ou « Roi des Romains », mais ce projet tomba à l’eau…, et finalement ce sont les Suisses qui lui firent la peau et le dépouillèrent d’une grande partie de ses richesses (qu’il emportait avec lui lors de ses campagnes militaires (!). Après le bataille de Granson (sur les bords du lac d’Yverdon, VD), les Suisses voulurent se venger des atrocités commises par les troupes du Duc et le poursuivirent jusque sous les murs de Nancy assiégée où la dernière scène se joua sous la neige de ce 5 janvier 1477. Après avoir été désarçonné de son destrier noir, El Moro (!), il dut succomber après avoir reçu des coups de hache des Suisses au milieu de ses soldats et dans un complet anonymat… La bannière ducale gisait à coté du Téméraire. La neige qui tourbillonnait recouvrit la devise brodée au fil d’or. De ce légendaire cri de ralliement : « je lay emprins » (je l’ai entrepris), il ne restera bientôt plus aucune trace.
Mort de Charles le Téméraire - Charles Houry - 1852 - Musée Lorrain, Nancy et plaque commémorative de la Grande Rue à Nancy
Le problème de la succession se pose alors en l’absence de descendance mâle. C’est sa fille Marie de Bourgogne qui devient Duchesse titulaire et qui apporte en dot à son mari Maximilien D’Autriche (de Habsbourg) la Bourgogne et tous les États du Nord. Six mois après la mort de son père en ce 18 août 1477, date de son mariage, elle ne savait pas que sa vie s’achèverait rapidement. Sa mort à 24 ans (1482) laisserait — heureusement — une descendance mâle : Philippe le Beau, 4 ans à la mort de sa mère ; il portera le titre de Duc d’Occident et sera élevé par sa grand-mère, Marguerite d’York, ultime épouse de Charles le Téméraire. Les dernières années du XVe siècle sonnaient le glas de la dynastie des Valois-Bourgogne, des « Téméraires ». Une nouvelle ère s’ouvrait. Du sang bourguignon coulerait encore dans les veines des descendants de Philippe le Beau qui, par son mariage avec Jeanne de Castille en 1496 donnerait naissance au plus puissant Empereur d’Occident en 1500 : Charles V Quint. Cette nouvelle époque s’appellera plus tard la Renaissance.
Portrait de Charles Quint enfant - Maître de la Légende de sainte Marie-Madeleine - vers 1500-1508 - Kunsthistorisches Museum, Vienne
Qu’en sera-t-il du Duché de Bourgogne ? et des Plats-pays ? et du jeu des « alliances » ? Charles Quint (Duc de Bourgogne de droit, petit-fils de Charles le Téméraire) essaiera de le conserver en se battant avec François 1er, mais c’est finalement à l’initiative de deux femmes, Louise de Savoie, mère de François 1er, et Marguerite d’Autriche, tante de Charles Quint, qu’un accord de partage territorial sera signé en 1529 cédant définitivement la Bourgogne à la France.
Portrait de Charles Quint - Christoph Amberger - vers 1532 - Gemäldegalerie der Staatlichen Museen, Berlin
Autant la Seine aurait pu s’appeler l’Yonne, autant La France aurait pu être intégrée au Royaume de Bourgogne…, mais finalement le cours de l’Histoire et les cours (d’eau) furent différents…
Les Téméraires - Quand la Bourgogne défiait l'Europe - Bart van Loo - Flammarion - ISBN 978-2-0815-0982-5