Voyage de printemps
Mardi 3 mai.
Sous un soleil printanier, une première halte incontournable de nos pérégrinations vénitiennes : San Giovanni in Bragora et ses deux Cima da Conegliano, Il Battesimo di Cristo (1494) qui surplombe le maître-autel, et Sant'Elena e Costantino ai lati della Croce et ses prédelles, trois tableaux d'Alvise Vivarini. Tout comme les Bellini, les Tiepolo, les Vivarini étaient trois peintres. Alvise est le fils d'Antonio et le neveu de Bartolomeo (frère cadet d'Antonio). Il naît au milieu du quattrocento et mourra une cinquantaine d'années plus tard vers 1505. Imprégné des connaissances artistiques de ses aînés, il bénéficiera des enseignements et des nouvelles techniques qu'apportera de sa Sicile natale Antonello da Messina lorsqu'il arrive dans la lagune vers 1475 où il admire le talent de Giovanni Bellini. Il apporte avec lui une technique d'origine flamande que les Italiens connaissent mal : la peinture à l'huile, véritable révolution dans la Renaissance balbutiante. C'est un petit musée (gratuit) que cette église de la Bragora, tenu discrètement mais énergiquement par le bedeau à qui nous demandons qui sont ces trois personnages à droite du Jésus en train de se faire baptiser dans le Giordano. Femmes ? Anges ? Il ne sait nous répondre. Un google plus tard, nous apprenons qu'il s'agit de trois anges portant les vêtements que le Christ portera après son baptême. Au fond du tableau, sous le bras de St Jean Baptiste, le village de Conegliano.
Et naturellement le baptistère où fut baptisé non seulement un futur pape (Jules II) mais aussi notre célébrissime A. Vivaldi
Nous laissons le campo Bandiera e Moro, autre nom de la Bragora, accompagnés par les cris des enfants qui jouent au foot. Direction Arsenale et juste avant d'emprunter le Ponte Storto, nous faisons notre deuxième halte et premier Evento collaterale de la 59ème Biennale "Il Latte dei Sogni". C'est le pavillon de l'Ukraine. L'actualité nous rattrappe. Une artiste, Zinaida, des installations vidéo en noir et blanc, un thème : du lait au fromage, un titre : Without Women. Trois projections dont l'installation sera incomplète comme le précise le booklet : "due to Russia's attack on Ukraine, il could not be completed and delivered to Venice".
En sortant de ce local de l'Associazione Culturale Spiazzi, nous rentrons nella chiesa di San Martino et son mercato d'habits et autres objets, puis franchissons il canale sul ponte de l'Arsenale (o del paradiso). Troisième halte et deuxième Evento collaterale : Allegory of Dreams, Macao, installation du "Yiima group Art". Grands formats ronds de deux mètres, photographies ou "Giclee printing" sur différents supports, vidéos et sculptures intérieures et extérieures. Travail fascinant. Dans un décor d'un fouillis très complexe, deux personnages (en fait le même dans des tenues différentes) semblent léviter ou voler (avec des ailes) dans un espace circulaire, en contre-plongée maximale.
Après une visite au bookstore de l'Arsenale (emprunt d'un crayon à gomme en forme de pinceau), nous nous installons sur un banc au soleil face à la lagune sur le Viale dei Partigiani au bord des Giardini. Et le soleil se couche derrière la Salute faisant scintiller les eaux du bassin San Marco.
Mercredi 4 mai.
En sortant de "chez nous" et en empruntant la calle drio la pietà qui débouche sur la riva degli Schiavoni, un porche est ouvert, qui donne sur des espaces accueillant trois expos.
Le pavillon du Zimbabwe, la Modigliani Opera Vision et Mysteries de Carole A. Feuerman. Et, cerise sur le gâteau, au 4ème étage de ce qui s'appelle "La Pieta monumental complex" se trouve une terrasse avec vue à 360°.
Pour le Zimbabwe, l'artiste Wallen Ma Pondera nous surprend avec ses "Eggcrates", sculptures composées essentiellement de boîtes à œufs. Étonnant. De même que son collègue Ronald Muchatuta avec son "Zimbabwe Gaze", grandes tentures genre patchwork et deux autres artistes, l'ensemble ayant pour titre "I did not leave a sign ?" et qui "correspond à la beauté magique et déroutante dans l'inattendu, dans l'étrange, dépréciés et non conventionnels qui sont au centre de cette exploration de ce qui nous est parvenu" (biennale.org).
Troisième exposition dans ce complexe, "My Stories". Carole A. Feuerman, née en 1945 " a trouvé sa place dans l'histoire de l'art des années 70 en initiant le mouvement de la sculpture hyperréaliste " : statues en bronze peint à la main, dont le réalisme va jusqu'à reproduire les gouttes d'eaux sur le corps des nageuses.
Presque en face de la pietà, à un pont près, le 2 nous attend pour traverser le baccino San Marco pour gagner l'île de San Maggiore où une autre belle surprise nous attend : expo Kehinde Wiley, artiste américain, que la fondation Giorgio Cini, en association avec le musée d'Orsay propose sous le titre "An Archeology of Silence", ensemble de peintures et sculptures monumentales représentant (souvent couchés dans diverses postures) des corps de noirs, hommes ou femmes, "dans des positions de vulnérabilité qui racontent une histoire de survie et de résilience, révélant la beauté qui peut émerger de la tragédie" (cini.it).
En reprenant le 2, nous descendons sur les Zatterre pour une glace da Nico (incontournable) et une expo de Claire Tabouret "L'Urgence et la Patience" au Palazzo Cavanis ; vingt-cinq travaux de formats différents et supports variés (peintures, photos, sculptures, etc.) dans un décor très vénitien.
Traversée du Dorsoduro jusqu'à l'Accademia puis le 1 pour rentrer a casa.
Jeudi 5 mai.
Temps nuageux et frais pour une petite déambulation dans le sestiere du Castello. En voulant aborder la chiesa San Lorenzo, (toujours fermée, toujours en restauration, seulement ouverte lors de la biennale) par l'arrière, au coin de la calle San Lorenzo, une porte ouverte donne dans un grand espace délabré à la vénitienne (brique, ferraille rouillée, vieilles installations). Il s'agit en l'occurrence d'une ancienne forge d'où le nom de l'exposition "La Fucina del Futuro". Trois artistes y exposent leur travail. "From chaos to Harmony" de Valérie Goutard est une reproduction à l'échelle 1/5 de son œuvre majeure en bronze nommée "From Chaos to wisdow" installée à Taïwan. D'après l'artiste, cette fascinante sculpture retrace une journée d'humains, du chaos de leur subconscient jusqu'à la sagesse en sept étapes. Valérie meurt tragiquement d'un accident de moto en Thaïlande en 2017 à l'âge de 50 ans.
La fucina del futuro
À quelques pas de là, la chiesa de San Lorenzo, vaste bâtisse à nef unique et carrée dominée par un maître-hôtel central à double face imposant, disposition insolite si ce n'est "pas très catholique" abrite une installation vidéo et musicale (comme souvent à cet endroit) mise en valeur dans cet énorme volume. Ocean Space. Trois écrans géants sur fond sonore de vagues et de ressac associé à des voix.
Ocean Space - Chiesa di san Lorenzo, Venise
À deux ou trois ponts de là, une autre église, habituellement fermée ouvre ses portes : la chiesa Santa Maria dei Derelitti qui abrite il complesso dell'ospedaletto présente Penumbra.
Dans la nef, à côté du maître-hôtel surmonté d'un Couronnement de la Vierge, peint par un élève de Titien dont le talent qui s'exprime sur cette toile aurait pu le rende célèbre s'il n'était mort trop jeune, à 26 ans : Diamiano Mazza (1550-1576). En fait, on ne connait pas la date exacte de sa mort survenue à Venise, mais on sait qu'en 1975, Giovan Battista Contarini, gouverneur de l'Ospedaletto de Santa Maria della Pietà, commande au tailleur de pierre Pasqualin e Marchio la fabrication du maître-autel de cette église sur un dessin d'Andrea Palladio et que la toile représentant le Couronnement de la Vierge est confiée à Diamiano Mazza, dernière œuvre connue de ce peintre qui meurt l'année suivante. Dans une pénombre ambiante propice à la découverte de huit installations vidéo réparties dans des salles différentes. Présentées dans une suite de zones d'obscurité et de lumière, les œuvres font écho aux transformations auxquelles le lieu a été confronté au cours des siècles suite à sa fondation au XVIe siècle en tant qu'hôpital pour nécessiteux jusqu'à aujourd'hui, devenu espace culturel.
Vendredi 6 mai.
Le Palazzo Fortuny partiellement réouvert après travaux et refonte totale de la scénographie. Seuls le rez-de-chaussée et le premier étage sont ouverts. Le salon aux fresques rebaptisé jardin d'hiver est une réussite, mais je ne peux m'empêcher de regretter l'ancien fouillis organisé de l'ancienne version. Les grands canapés sont toujours là mais recouverts de coussins précieux qui ne permettent plus de se vautrer sans vergogne.
Samedi 7 mai.
Repos. René sort seul pour une petite balade et quelques achats alimentaires.