Rostropovitch... et dieu
"Le Lieu idéal"
Avec cet accord final s'achève ma grande tâche dans cette église de la charmante ville de Vézelay. La nuit est tombée... il fait froid. C'est une sensation très particulière que d'être seul, la nuit, dans cette église aussi vaste, construite il y a neuf cents ans. Il fait très froid ici, mais il y règne la chaleur de l'esprit humain, de ceux qui ont voué toute leur force à la construction de cette église consacrée à Marie-Madeleine. J'aimerai vous dire pourquoi j'ai choisi Vézelay, pourquoi j'ai choisi cette abbaye pour franchir le pas audacieux de l'enregistrement des Suites. Quand je suis entré pour la première fois dans cette église et que j'ai vu le rythme de l'architecture interne sans rien de superflu, sans l'or du style baroque, sans ornements inutiles, j'ai été saisi par la rigueur des lignes et surtout par le rythme de cette construction en arcs. Cela m'a rappelé le rythme de la musique de Bach. Il m'a semblé alors que j'avais trouvé le lieu idéal.
©Mstislav Rostropovitch, 1995
(texte du livret du CD EMI CLASSICS J.S. BACH, Cello-Suiten)
Extraits du livre de Jules Roy "Rostropovitch, Gainsbourg et Dieu" :
https://excerpts.numilog.com/books/9782226056535.pdf
"Depuis vingt ans, les firmes lui demandent d'enregistrer les Suites pour violoncelle seul. Il refuse toujours. "Je ne suis pas prêt", répète-t-il. Il a encore besoin de travailler. Il a des questions à poser. À qui ? À lui-même. À Bach, À "Bahh" le torrentiel, l'irrésistible. Il n'avait pas encore réponse à tout. Peur de se tromper sur les intentions, peur de ne pas savoir où il va. Et soudain, il aurait trouvé le lieu où jouer les Suites ?
Il l'a dit à Claude Samuel : "D'abord des questions techniques concernant les traits. J'étais tout jeune quand j'ai commencé à étudier Bach en suivant les cours d'archet que m'avait donnés mon professeur. Quarante ans plus tard, j'ai modifié de nombreux éléments..." Et comme Claude Samuel lui demandait si l'enregistrement des Suites serait l'aboutissement de sa carrière : "...je ne sais pas. Je n'y pense pas. Ce sera peut-être l'échec de ma carrière, mais je dois le tenter..."
Sans les anges du chapiteau de Vézelay, sans l'ange d'apocalypse qui s'apprête, le pied sur notre rocher, à s'élancer de ses ailes déjà frémissantes, il n'y aurait pas de terme à cette chasse spirituelle. La basilique romane lui éclate soudain dans le cœur. C'est l'illumination mystique. "C'est Bahh" en effet. Admettons.
Gainsbourg à qui je ne peux pas ne pas penser, c'est autre chose. Il éprouve une certaine peur à seulement s'approcher de la basilique, il n'a jamais osé y entrer. Il n'invoque rien, il ne se croit ni héros ni prophète. C'est un poète qui ne croit pas en Dieu et n'a jamais demandé d'aide à personne. Qu'à l'enfer. " (p.62-63)