Anecdotes
Winnaretta Singer, princesse Edmond de Polignac, dite « Winnie » née à Yonkers (État de New York) le 8 janvier 1865 et morte à Londres le 26 novembre 1943, est une mécène musicale, une lesbienne notoire, mais discrète, et l'héritière des machines à coudre Singer.
Après un mariage malheureux avec le prince Louis de Scey-Montbéliard en 1887 (elle avait 22 ans), annulé par le Vatican en 1892, elle épouse l'année suivante Edmond de Polignac, homosexuel discret de 59 ans, chacun vivant librement grâce à cette union chaste. Le mariage avait été arrangé par la comtesse Greffulhe (l'un des modèles de la duchesse de Guermantes) et Robert de Montesquiou (l'un des modèles de Charlus), faisant dire à Mme Blanche, mère de Jacques-Émile Blanche (l'un des modèles d'Elstir), chez qui le prince de Polignac se rendait souvent: « Ainsi nous marierons la machine à coudre à la lyre. »
Lorsque la succession compliquée d’Isaac Singer — qui avait laissé deux testaments séparés — fut finalement réglée, en 1877, Winnaretta reçut directement 167.000 dollars du compte d’épargne personnel de son père ; de plus, elle hérita d’une partie de la vente de la Compagnie des machines à coudre Singer, plus de 50.000 dollars en espèces et environ 610.000 dollars en actions. Une autre disposition laissait à Winnaretta une partie de la propriété anglaise. Au bout du compte, le testament d’Isaac Singer faisait de Winnaretta une jeune héritière fabuleusement riche.
En 1887, Isabelle Singer (elle aurait servi de modèle à Bartoldi pour la statue de la liberté) arrangea le mariage de sa fille avec le Prince Louis de Scey Montbéliard. Winnaretta, qui avait toujours fait preuve d’un esprit indépendant, était ravie d’échapper à la tutelle d’une mère dominatrice, mais elle ne trouva pas le bonheur dans ces nouveaux liens. Leur union resta un mariage blanc (jamais consommé) pendant les quatre ans qu’ils passèrent ensemble, avant que Winnaretta ne briguât et n’obtînt une annulation en cour de Rome. Quelques mois avant son premier mariage, Winnaretta avait acheté un hôtel particulier avenue Henri Martin. Dès 1888, elle reçoit ses amis musiciens dans le chalet, qui est alors à la fois son atelier de peinture et le « hall » de musique, (comme l’appelle Proust dans À la recherche du temps perdu).
Le 1er février 1892, le Vatican annula officiellement le mariage Scey Montbéliard. À la fin de cette même année, Robert de Montesquiou et sa belle et influente cousine, la comtesse Elisabeth Greffuhle, encouragèrent Winnaretta à se remarier pour retrouver une position respectable dans la société aristocratique. L’homme qu’ils avaient choisi pour elle était leur ami, le Prince de Polignac (à droite sur le détail du tableau de Tissot "Le cercle de la rue Royale", ci-dessus), un célibataire âgé de cinquante-neuf ans, qui avait étudié au Conservatoire de Paris et jouissait alors d’une certaine réputation comme compositeur. Winnaretta et le Prince de Polignac se marièrent le 15 décembre 1893. Ils s’étaient déjà rencontrés quelques années auparavant. D’après Marcel Proust, qui avait rencontré le Prince par l’intermédiaire de Montesquiou, tous deux avaient assisté à la même vente aux enchères – renchérissant l’un contre l’autre sur le même tableau de Monet, le Champ de tulipes à Haarlem. Le prince dépité avait été battu : “Quelle rage, je ressentis ! Ce tableau était emporté par une Américaine qui porte un nom que je maudis !”. Et cette femme était, bien entendu, Winnaretta Singer. Mais il ajoutait ironiquement : “Quelques années plus tard, j’épousais l’Américaine, et devins propriétaire de ce tableau !” Durant leur court mais heureux mariage, le Prince et la princesse transformèrent leur demeure en un glorieux et vibrant salon de musique. Les soirées musicales des Polignac devinrent régulières et très recherchées. Tout ce que Paris comptait alors de personnalités illustres dans les arts, les lettres et les sciences, se pressait dans leurs salons. Mais le Prince avait une santé fragile et et il mourut le 8 août 1901, à l’âge de soixante-sept ans. La princesse se trouva profondément endeuillée par la perte de l’homme qui avait été son meilleur ami et qui avait joué un rôle si important dans le monde de l’art et de la beauté qu’elle avait créé autour d’eux.
Le plus jeune frère de la princesse, Franklin Singer, mourut à Paris le 10 août 1939. La princesse accompagna sa dépouille en Angleterre pour rejoindre la famille des Singer dans la crypte de Torquay, et elle décida de rester un peu plus longtemps pour rendre visite à des amis. Le 3 septembre, l’Angleterre et la France déclaraient la guerre à l’Allemagne. Le 17 septembre, la princesse écrivit à Nadia Boulanger et à Francis Poulenc que sa famille lui avait demandé de rester un peu en Angleterre. Elle s’installa dans le Devonshire, où elle avait passé ses plus jeunes années. Elle aida à organiser des concerts dont les bénéfices étaient versés à la Croix-Rouge. Au début du printemps 1940, Winnaretta quitta le Devonshire pour Londres. Malgré l’apparence de force indomptable qu’elle montrait en société et le fervent désir de retourner dans sa France bien-aimée qu’elle exprimait si souvent dans ses lettres, la princesse était incapable de se décider à franchir la Manche. Sa santé de la princesse commença à décliner sérieusement en 1943, bien qu’elle continuât à participer autant que possible à la vie mondaine dans les cercles culturels. Elle organisa plusieurs dîners, parmi lesquels figuraient le ténor Peter Pears, l’éditeur Cyril Connolly – qui l’aida à enregistrer ses souvenirs – l’écrivain Stephen Spender – qui était curieux de l’entendre évoquer ses souvenirs personnels à propos de Proust – les compositeurs Benjamin Britten, Lennox Berkeley, Gerald Berners, et d’autres personnalités artistiques et politiques. La princesse mourut d’une crise cardiaque aux premières heures du 26 novembre 1943.
La princesse de Polignac eut des relations amoureuses notoires avec Ethel Smyth, Romaine Brooks (ci-contre autoportrait),
Olga de Meyer, Alvilde Chaplin, Renata Borgatti et Violet Trefusis
Proust voulait dédier une de ses oeuvres à Edmond de Polignac. Ce fut Winnie qui refusa, redoutant qu'une dédicace ne vienne mettre l'accent sur l'homosexualité de son époux et sur la sienne (l'un et l'autre étaient discrets sur cet état de fait). Proust la surnommait le serpent à sonates.
Extrait d'une lettre de Proust à Reynaldo Hahn du 6 août 1908, de Cabourg
Monsieur le petit Binubuls ou même Nurnols,
Vos petites letterch sont excessivement mopchant, courtes, et, hélas, distantes.
Mais moi qui ne peux écrire, à me persuader que j'ai été frappé d'une paralysie de la main et du cerveau, je n'ai rien à reproscher. Et merci de vos petits bonsjours que je m'applique consciencieusement sur main.
Est-ce que vous savez chez qui loge la Princesse Winnie que le Figaro signale à Deauville. Clothon l'aurait-elle fait inviter chez la Baronne des Vaux.
Pour Hopillard ce n'est pas pressé, d'ici quelques mois. Il s'agit d'avoir bon marché chez eux les mêmes perroquets (deux paires) que chez place Beauvau.
Je ne peux pas vous escrire, parce que trop moschant, pas table, pas chambre, pas vent, très fasché. J'aimerais " renouer " avec Lucy Gérard qui est ici mais elle est avec un Bardac que je n'ose saluer, ne l'ayant vu qu'une fois dans l'hôtel que Mélisande abandonna depuis. Elle n'était encore que belle à ce moment-là bien qu'elle dît :
Je ne suis demoiselle, ni belle
Je pense que c'est Bunibuls qui m'avait fait hinsviter, comme partout où j'ai été de genstil.
Je crois que votre petite Maman va bien d'après ce que vous me dites et cela me fait beaucoup plezir...
Et voici l'article du Figaro :