Balzac, la Comédie Humaine en images
Goupil
“Ce mauvais garçon nommé Goupil, était le premier clerc de Monsieur Crémière-Dionis, le notaire de Nemours... En voyant Goupil, vous eussiez aussitôt compris qu’il se fût hâté de jouir de la vie ; car pour obtenir des jouissances, il devait les payer cher. Malgré sa petite taille, le clerc avait à vingt-sept ans le buste développé comme peut l’être celui d’un homme de quarante ans. Des jambes grêles et courtes, une large face au teint brouillé comme un ciel avant l’orage et surmontée d’un front chauve, faisait encore ressortir cette bizarre conformation. Aussi, son visage semblait-il appartenir à un bossu dont la bosse eût été en dedans. Une singularité de ce visage aigre et pâle confirmait l’existence de cette invisible gibbosité. Courbe et tordu comme celui de beaucoup de bossus, le nez se dirigeait de droit à gauche, au lieu de partager exactement la figure. La bouche, contractée aux deux coins, comme celle des Sardes, était toujours sur le qui-vive de l’ironie. La chevelure, rare et roussâtre, tombait par mèches plates et laissait voir le crâne par places. Les mains, grosses et mal emmanchées au bout de bras trop longs, étaient crochues et rarement propres. Goupil portait des souliers bons à jeter au coin d’une borne, et des bas en filoselle d’un noir rougeâtre ; son pantalon et son habit noir, usés jusqu’à la corde et presque gras de crasse ; ses gilets piteux, dont quelques boutons manquaient de moule ; le vieux foulard qui lui servait de cravate, toute sa mise annonçaient la cynique misère à laquelle ses passions le condamnaient. Cet ensemble de choses sinistres était dominé par deux yeux de chèvre, une prunelle cerclée de jaune, à la fois lascifs et lâches. (voir Mephisto de Goethe) Personne n’était plus craint ni plus respecté que Goupil dans Nemours.”
Ursule Mirouet, p. 777, Tome 3, La Pléiade
La Marana
“C’était une figure blanche où le ciel de l’Espagne avait jeté quelques légers tons de bistre qui ajoutaient à l’expression d’un calme séraphique, une ardente fierté, lueur infusée sous ce teint diaphane, peut-être due à un sang tout mauresque qui le vivifiait et le colorait. Relevés sur le sommet de la tête, ses cheveux retombaient et entouraient de leurs reflets noirs de fraîches oreilles transparentes, en dessinant les contours d’un cou faiblement azuré. Ces boucles luxuriantes mettaient en relief des yeux brûlants, et les lèvres rouges d’une bouche bien arquée... La basquine du pays faisait bien valoir la cambrure d’une taille facile à ployer comme un rameau de saule. C’était non pas la vierge de l’Italie, mais la vierge de l’Espagne, celle de Murillo, le seul artiste assez osé pour l’avoir peinte enivrée de bonheur par la conception du Christ, imagination délirante du plus hardi, du plus chaud des peintres.”
Les maranas, p. 1045, Tome 10, La Pléiade.
Comte d'Hérouville
“Si les choses étaient tristes autour de la jeune femme, cette figure, malgré le calme du sommeil, paraissait plus triste encore. Agitée par les flots du vent, la clarté de la lampe qui se mourait aux bords du lit n’illuminait la tête du comte que par moments, en sorte que les mouvements de la lueur simulaient sur ce visage en repos les débats d’une pensée orageuse. À peine la comtesse fut-elle rassurée en reconnaissant la cause de ce phénomène. Chaque fois qu’un coup de vent projetait la lumière sur cette grande figure en ombrant les nombreuses callosités qui la caractérisaient, il lui semblait que son mari allait fixer sur elle deux yeux d’une insoutenable rigueur. Implacable comme la guerre que se faisaient alors l’église et le calvinisme, le front du comte était encore menaçant pendant le sommeil ; de nombreux sillons produits par les émotions d’une vie guerrière y imprimaient une vague ressemblance avec ces pierres vermiculées qui ornent les monuments de ce temps ; pareils aux mousses blanches des vieux chênes, des cheveux gris avant le temps l’entouraient sans grâce, et l’intolérance religieuse y montrait ses brutalités passionnées. La forme d’un nez aquilin qui ressemblait au bec d’un oiseau de proie, les contours noirs et plissés d’un oeil jaune, les os saillants d’un visage creusé, la rigidité des rides profondes, le dédain marqué dans la lèvre inférieure, tout indiquait une ambition, un despotisme, une force d’autant plus à craindre que l’étroitesse du crâne trahissait un défaut absolu d’esprit et du courage sans générosité. ce visage était horriblement défiguré par une large balafre transversale dont la couture figurait une seconde bouche dans la joue droite... La main gauche, que ce terrible catholique avait hors du lit, achevait de peindre son caractère. Étendue de manière à garder la comtesse comme un avare garde son trésor, cette main énorme était couverte de poils si abondants, elle offrait un lacis de veines et de muscles si saillants, qu’elle ressemblait à quelque branche de hêtre entourée par les tiges d’un lierre jauni. En contemplant la figure du comte, un enfant aurait reconnu l’un de ces ogres dont les terribles histoires leur sont racontées par les nourrices. Il suffisait de voir la largeur et la longueur de la place que le comte occupait dans le lit pour deviner ses proportions gigantesques. Ses gros sourcils grisonnants lui cachaient les paupières de manière à rehausser la clarté de son oeil où éclatait la férocité lumineuse de celui d’un loup au guet dans la feuillée. Sous son nez de lion, deux larges moustaches peu soignées, car il méprisait singulièrement la toilette, ne permettaient pas d’apercevoir la lèvre supérieure. Heureusement pour la comtesse, la large bouche de son mari était muette en ce moment, car les plus doux sons de cette voix rauque la faisaient frissonner. Quoique le comte d’Hérouville eût à peine cinquante ans, au premier abord on pouvait lui en donner soixante, tant les fatigues de la guerre, sans altérer sa constitution robuste, avaient outragé sa physionomie, mais il se souciait fort peu de passer pour un mignon.”
L’enfant maudit, p. 870, Tome 10, La Pléiade.
Monsieur Grandet, père d'Eugénie
« Au physique, Grandet était un homme de cinq pieds, trapu, carré, ayant des mollets de douze pouces de circonférence, des rotules noueuses et de larges épaules; son visage était rond, tanné, marqué de petite vérole; son menton était droit, ses lèvres n'offraient aucunes sinuosités, et ses dents étaient blanches; ses yeux avaient l'expression calme et dévoratrice que le peuple accorde au basilic; son front, plein de rides transversales, ne manquait pas de protubérances significatives; ses cheveux jaunâtres et grisonnants étaient blanc et or, disaient quelques jeunes gens qui ne connaissaient pas la gravité d'une plaisanterie faite sur monsieur Grandet. Son nez, gros par le bout, supportait une loupe veinée que le vulgaire disait, non sans raison, pleine de malice. Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une probité sans chaleur, l'égoïsme d'un homme habitué à concentrer ses sentiments dans la jouissance de l'avarice et sur le seul être qui lui fût réellement de quelque chose, sa fille Eugénie, sa seule héritière. Attitude, manières, démarche, tout en lui, d'ailleurs, attestait cette croyance en soi que donne l'habitude d'avoir toujours réussi dans ses entreprises. Aussi, quoique de moeurs faciles et molles en apparence, monsieur Grandet avait-il un caractère de bronze. Toujours vêtu de la même manière, qui le voyait aujourd'hui le voyait tel qu'il était depuis 1791. Ses forts souliers se nouaient avec des cordons de cuir, il portait en tout temps des bas de laine drapés, une culotte courte de gros drap marron à boucles d'argent, un gilet de velours à raies alternativement jaunes et puces, boutonné carrément, un large habit marron à grands pans, une cravate noire et un chapeau de quaker. Ses gants, aussi solides que ceux des gendarmes, lui duraient vingt mois, et, pour les conserver propres, il les posait sur le bord de son chapeau à la même place, par un geste méthodique."
Eugénie Grandet
Décor :
"La salle est à la les deux croisées donnaient sur la rue, était planchéiée; des panneaux gris, à moulures antiques, la boisaient de haut en bas;... Sur la paroi opposée à la cheminée, deux portraits au pastel étaient censés représenter l'aïeul de madame Grandet, le vieux monsieur de La Bertellière, en lieutenant des gardes françaises, et défunt madame Gentillet en bergère.... Dans la croisée la plus rapprochée de la porte, se trouvait une chaise de paille dont les pieds étaient montés sur des patins, afin d'élever madame Grandet à une hauteur qui lui permit de voir les passants."
Lemulquinier, assistant chimiste de Balthazar Claës
“Son caractère et sa physionomie ne manquaient pas d’originalité. Sa figure de forme triangulaire était large, haute et couturée par une petite vérole qui lui avait donné de fantastiques apparences, en y laissant une multitude de linéaments blancs et brillants. Maigre et d’une taille élevée, il avait une démarche grave, mystérieuse. Ses petits yeux orangés comme la perruque jaune et lisse qu’il avait sur la tête, ne jetaient que des regards obliques. Son extérieur était donc en harmonie avec le sentiment de curiosité qu’il excitait.”
La recherche de l’absolu, p. 709, Tome 10, La Pléiade
Madame Joséphine Claës
“Un peintre médiocre qui dans ce moment aurait copié cette femme, eût certes produit une oeuvre saillante avec une tête si pleine de douleur et de mélancolie. La pose du corps et celle des pieds jetés en avant accusaient l’abattement d’une personne qui perd la conscience de son être physique dans la concentration de ses forces absorbées par une pensée fixe ; elle en suivait les rayonnements dans l’avenir, comme souvent,, au bord de la mer, on regarde un rayon de soleil qui perce les nuées et trace à l’horizon quelque bande lumineuse. Les mains de cette femme, rejetées par les bras de la bergère, pensaient en dehors, et la tête, comme trop lourde, reposait sur le dossier. Une robe de percale blanche très ample empêchait de bien juger les proportions, et le corsage était dissimulé sous les plis d’une écharpe croisée sur la poitrine et négligemment nouée. Quand même la lumière n’aurait pas mis en relief son visage qu’elle semblait se complaire à produire préférablement au reste de sa personne, il eût été impossible de ne pas s’en occuper alors exclusivement ; son expression, qui eût frappé le plus insouciant des enfants, était une stupéfaction persistante et froide, malgré quelques larmes brûlantes. Rien n’est plus terrible à voir que cette douleur extrême dont le débordement n’a lieu qu’à de rares intervalles, mais qui restait sur ce visage comme une lave figée autour d’un volcan. On eût dit une mère mourante obligée de laisser ses enfants dans un abîme de misères, sans pouvoir leur léguer aucune protection humaine. La physionomie de cette dame, âgée d’environ quarante ans, mais alors beaucoup moins loin de la beauté qu’elle ne l’avait jamais été dans sa jeunesse, n’offrait aucun des caractères de la femme flamande. Une épaisse chevelure noire retombait en boucles sur les épaules et le long des joues. Son front, très bombé, étroit des tempes, était jaunâtre, mais sous ce front scintillaient deux yeux noirs qui jetaient des flammes. Sa figure, tout espagnole, brune de ton, peu colorée, ravagée par la petite vérole, arrêtait le regard par la perfection de sa forme ovale dont les contours conservaient, malgré l’altération des lignes, un fini d’une majestueuse élégance et qui reparaissait parfois tout entier si quelque effort de l’âme lui restituait sa primitive pureté. Le trait qui donnait le plus de distinction à cette figure mâle était un nez courbé comme le bec d’un aigle, et qui, trop bombé vers le milieu, semblait intérieurement mal conformé ; mais il y résidait une finesse indescriptible, la cloison des narines en était si mince que sa transparence permettait à la lumière de la rougir fortement. Quoique les lèvres larges et très plissées décelassent la fierté qu’inspire une haute naissance, elles étaient empreintes d’une bonté naturelle, et respiraient la politesse. On pouvait contester la beauté de cette figure à la fois vigoureuse et féminine, mais elle commandait l’attention. Petite, bossue et boiteuse, cette femme resta d’autant plus longtemps fille qu’on s’obstinait à lui refuser de l’esprit ; néanmoins il se rencontra quelques hommes fortement émus par l’ardeur passionnée qu’exprimait sa tête, par les indices d’une inépuisable tendresse, et qui demeurèrent sous le charme inconciliable avec tant de défauts. Elle tenait beaucoup de son aïeul le duc de Casa-Réal, grand d’Espagne.”
La recherche de l’absolu, p. 667, Tome 10, La Pléiade
Duc de Cataneo
“Le prince aperçut un de ces personnages à qui personne ne veut croire dès qu’on les fait passer de l’état réel où nous les admirons, à l’état fantastique d’une description plus ou moins littéraire. Comme celui des Napolitains, l’habillement de l’inconnu comportait cinq couleurs, si l’on veut admettre le noir du chapeau comme une couleur : le pantalon était olive, le gilet rouge étincelait de boutons dorés, l’habit tirait au vert et le linge arrivait au jaune. Cet homme semblait avoir pris à tâche de justifier le Napolitain que Gerolamo met toujours en scène sur son théâtre de marionnettes. Les yeux semblaient être de verre. Le nez en as de trèfle saillait horriblement. Le nez couvrait d’ailleurs avec pudeur un trou qu’il serait injurieux pour l’homme de nommer une bouche, et où se montraient trois ou quatre défenses blanches douées de mouvement, qui se plaçaient d’elles-mêmes les unes entre les autres. Les oreilles fléchissaient sous leur propre poids, et donnaient à cet homme une bizarre ressemblance avec un chien. Le teint, soupçonné de contenir plusieurs métaux infusés dans le sang par l’ordonnance de quelque Hippocrate, était poussé au noir. Le front pointu, mal caché par des cheveux plats, rares, et qui tombaient comme des filaments de verre soufflé, couronnait par des rugosités rougeâtres une face grimaude. Enfin, quoique maigre et de taille ordinaire, ce monsieur avait les bras longs et les épaules larges ; malgré ces horreurs, et quoique vous lui eussiez donné soixante-dix ans, il ne manquait pas d’une certaine majesté cyclopéenne ; il possédait des manières aristocratiques et dans le regard la sécurité du riche. Pour quiconque aurait eu le coeur assez ferme pour l’observer, son histoire était écrite par les passions dans ce noble argile devenu boueux. Vous eussiez deviné le grand seigneur, qui, riche dès sa jeunesse, avait vendu son corps à la Débauche pour en obtenir des plaisirs excessifs. La Débauche avait détruit la créature humaine et s’en était fait une autre à son usage. Des milliers de bouteilles avaient passé sous les arches empourprées de ce nez grotesque, en laissant leur lie sur les lèvres. De longues et fatigantes digestions avaient emporté les dents. Les yeux avaient pâli à la lumière des tables de jeu. Le sang s’était chargé de principes impurs qui avaient altéré le système nerveux. Le jeu des forces digestives avait absorbé l’intelligence. Enfin, l’amour avait dissipé la brillante chevelure du jeune homme. En héritier avide, chaque vice avait marqué sa part du cadavre encore vivant. Quand on observe la nature, on y découvre les plaisanteries d’une ironie supérieure : elle a, par exemple, placé les crapauds près des fleurs, comme était ce duc près de cette rose d’amour.”
Massimilla Doni, p. 555, Tome 10, La Pléiade.
Frenhofer dans l'atelier du peintre Purbus
“... Un vieillard vint à monter l’escalier. À la bizarrerie de son costume, à la magnificence de son rabat de dentelle, à la prépondérante sécurité de sa démarche, le jeune homme devina dans ce personnage ou le protecteur ou l’ami du peintre. Il se recula sur le palier pour lui faire place, et l’examina curieusement, espérant trouver en lui la bonne nature d’un artiste, ou le caractère serviable des gens qui aiment les arts ; mais il y avait quelque chose de diabolique dans cette figure, et surtout ce je ne sais quoi qui affriande les artistes. Imaginez un front chauve, bombé, proéminent, retombant en saillie sur un petit nez écrasé, retroussé du bout comme celui de Rabelais ou de Socrate ; une bouche rieuse et ridée, un menton court, fièrement relevé, garni d’une barbe grise taillée en pointe ; des yeux vert de mer, ternis en apparence par l’âge, mais qui, par le contraste du blanc nacré dans lequel flottait la prunelle, devaient parfois jeter des regards magnétiques au fort de la colère ou de l’enthousiasme. Le visage était d’ailleurs singulièrement flétri par les fatigues de l’âge, et plus encore par ces pensées qui creusent également l’âme et le corps. Les yeux n’avaient plus de cils, et à peine voyait-on quelques traces de sourcils au-dessus de leurs arcades saillantes. Mettez cette tête sur un corps fluet et débile, entourez-la d’une dentelle étincelante de blancheur et travaillée comme une truelle à poisson, jetez sur le pourpoint noir du vieillard une lourde chaîne d’or, et vous aurez une image imparfaite de ce personnage auquel le jour faible de l’escalier prêtait encore une couleur fantastique. Vous eussiez dit une toile de Rembrandt marchant silencieusement et sans cadre dans la noire atmosphère que s’est appropriée ce grand peintre. Il jeta sur le jeune homme un regard empreint de sagacité, frappa trois coups à la porte, et dit à un homme valétudinaire, âgé de quarante ans environ, qui vint ouvrir : “Bonjour, maître.”
Le chef-d’oeuvre inconnu, p. 414, Tome 10, La Pléiade.
Le peintre dans l'atelier duquel nous sommes a réellement existé : il s'agit de Purbus ou Pourbus, dit "Purbus le Jeune". Au mur de l'atelier, trois tableaux très vaguement identifiables : En haut, les pieds d'Henri IV en armure, à droite, Louis XIII à dix ans, et dessous, Marie de Médicis. Le décor est assez bien décrit quelques pages plus loin. L'histoire met également en scène le tout jeune Nicolas Poussin.
Pendant que René lit, je dessine. J'ai eu envie de faire quelques portraits
Madame Cibot
“Madame Cibot, ancienne belle écaillère, avait quitté son poste au Cadran-Bleu par amour pour Cibot, à l’âge de vingt-huit ans, après toutes les aventures qu’une belle écaillère rencontre sans les chercher. La beauté des femmes du peuple dure peu, surtout quand elles restent en espalier à la porte d’un restaurant. Les chauds rayons de la cuisine se projettent sur les traits qui durcissent, les restes de bouteilles bus en compagnie des garçons s’infiltrent dans le teint, et nulle fleur ne mûrit plus vite que celle d’une belle écaillère. Heureusement pour madame Cibot, le mariage légitime et la vie de concierge arrivèrent à temps pour la conserver ; elle demeura comme un modèle de Rubens, en gardant une beauté virile que ses rivales de la rue de Normandie calomniaient, en la qualifiant de grosse dondon. Ses tons de chair pouvaient se comparer aux appétissants glacis des mottes de beurre d’Isigny ; et nonobstant son embonpoint, elle déployait une incomparable agilité dans ses fonctions. Madame Cibot atteignait à l’âge où ces sortes de femmes sont obligées de se faire la barbe. N’est-ce pas dire qu’elle avait quarante-huit ans ? Une portière à moustaches est une des plus grandes garanties d’ordre et de sécurité pour un propriétaire. Si Delacroix avait pu voir madame Cibot posée fièrement sur son balai, certes il en eût fait une Bellone !”
Le cousin Pons, Tome 7, La Pléiade
Raphaël de Valentin
“ Au premier coup d’oeil les joueurs lurent sur le visage du novice quelque horrible mystère, ses jeunes traits étaient empreints d’une grâce nébuleuse, son regard attestait des efforts trahis, mille espérances trompées ! La morne impassibilité du suicide donnait à ce front une pâleur mate et maladive, un sourire amer dessinait de légers plis dans les coins de la bouche, et la physionomie exprimait une résignation qui faisait mal à voir. Quelque secret génie scintillait au fond de ces yeux voilés peut-être par les fatigues du plaisir. Était-ce la débauche qui marquait de son sale cachet cette noble figure jadis pure et brûlante, maintenant dégradée ? Les médecins auraient sans doute attribué à des lésions au coeur ou à la poitrine le cercle jaune qui encadrait les paupières, et la rougeur qui marquait les joues, tandis que les poètes eussent voulu reconnaître à ces signes les ravages de la science, les traces de nuits passées à la lueur d’une lampe studieuse... Le jeune homme avait bien un frac de bon goût, mais la jonction de son gilet et de sa cravate était trop savamment maintenue pour qu’on lui supposât du linge. Ses mains, jolies comme des mains de femme, étaient d’une douteuse propreté ; enfin depuis deux jours, il ne portait plus de gants ! Si le tailleur et les garçons de salle eux-mêmes frissonnèrent, c’est que les enchantements de l’innocence fleurissaient par un vestige dans ces formes grêles et fines, dans ces cheveux blonds et rares, naturellement bouclés. Cette figure avait encore vingt-cinq ans et le vice paraissait n’y être qu’un accident...
Quant au jeune homme, il ne comprit sa ruine qu’au moment où le râteau s’allongea pour ramasser son dernier napoléon. L’ivoire fit rendre un bruit sec à la pièce qui, rapide comme une flèche, alla se réunir au tas d’or étalé devant la caisse.L’inconnu ferma les yeux doucement, ses lèvres blanchirent ; mais il releva bientôt les paupières, sa bouche reprit une rougeur de corail, il affecta l’air d’un Anglais pour qui la vie n’a plus de mystères, et disparut sans mendier une consolation par un de ces regards déchirants que les joueurs au désespoir lancent assez souvent sur la galerie.”
La peau de chagrin, p. 61, Tome 10, La Pléiade.
L'antiquaire
“Figurez-vous un petit vieillard sec et maigre, vêtu d’une robe en velours noir, serrée autour de ses reins par un gros cordon de soie. Sur sa tête, une calotte en velours également noir laissait passer, de chaque côté de la figure, les longues mèches de ses cheveux blancs et s’appliquait sur le crâne de manière à rapidement encadrer le front. La robe ensevelissait le corps comme dans un vaste linceul, et ne permettait de voir d’autre forme humaine qu’un visage étroit et pâle. Sans le bras décharné, qui ressemblait à un bâton sur lequel on aurait posé une étoffe et que le vieillard tenait en l’air pour faire porter sur le jeune homme toute la clarté de la lampe, le visage aurait paru suspendu dans les airs. Une barbe grise et taillée en pointe cachait le menton de cet être bizarre, et lui donnait l’apparence de ces têtes judaïques qui servent de types aux artistes quand ils veulent représenter Moïse. Les lèvres de cet homme étaient si décolorées, si minces, qu’il fallait une attention particulière pour deviner la ligne tracée par la bouche dans son blanc visage. Son large front ridé, ses joues blêmes et creuses, la rigueur implacable de ses petits yeux dénués de cils et de sourcils, pouvaient faire croire à l’inconnu que le Peseur d’Or de Gérard Dow était sorti de son cadre. Une finesse d’inquisiteur trahie par les sinuosités de ses rides et par les plis circulaires dessinés sur ses tempes, accusait une science profonde des choses de la vie... Vous y auriez lu la tranquillité lucide d’un Dieu qui voit tout ou la force orgueilleuse d’un homme qui a tout vu. Un peintre aurait, avec deux expressions différentes et en deux coups de pinceau, fait de cette figure une belle image du Père Éternel ou le masque ricaneur de Méphistophélès, car il se trouvait tout ensemble une suprême puissance dans le front et de sinistres railleries sur la bouche... Le vieillard se tenait debout, immobile, inébranlable comme une étoile au milieu d’un nuage de lumière. Ses yeux verts, pleins de je ne sais quelle malice calme, semblaient éclairer le monde moral comme sa lampe illuminait ce cabinet mystérieux.” La peau de chagrin, p. 77, Tome 10, La Pléiade.
Madame de Morsauf
“Je puis vous crayonner les traits principaux qui partout eussent signalé la comtesse aux regards ; mais le dessin le plus correct, la couleur la plus chaude n’en exprimeraient rien encore. Sa figure est une de celles dont la ressemblance exige l’introuvable artiste de qui la main sait peindre le reflet des feux intérieurs, et sait rendre cette vapeur lumineuse que nie la science, que la parole ne traduit pas, mais que voit un amant. Ses cheveux fins et cendrés la faisaient souvent souffrir, et ses souffrances étaient sans doute causées par de subites réactions du sang vers la tête. Son front arrondi, proéminent comme celui de la Joconde, paraissait plein d’idées inexprimées, de sentiments continus, de fleurs noyées dans des eaux amères. Ses yeux verdâtres, semés de points bruns, étaient toujours pâles ; mais s’il s’agissait de ses enfants, s’il lui échappait de ces vives effusions de joie ou de douleur, rares dans la vie des femmes résignées, son oeil lançait alors une lueur subtile qui semblait s’enflammer aux sources de la vie et devait les tarir ; éclair qui m’avait arraché des larmes quand elle me couvrit de son dédain formidable et qui lui suffisait pour abaisser les paupières aux plus hardis. Un nez grec, comme dessiné par Phidias et réuni par un double arc à des lèvres élégamment sinueuses, spiritualisait son visage de forme ovale, et dont le teint, comparable au tissu des camélias blancs, se rougissait aux joues par de jolis tons roses. Son embonpoint ne détruisait ni la grâce des sa taille, ni la rondeur voulue pour que ses formes demeurassent belles quoique développées. Vous comprendrez soudain ce genre de perfection, lorsque vous saurez qu’en s’unissant à l’avant-bras les éblouissants trésors qui m’avaient fascinés paraissaient ne devoir former aucun pli. Le bas de sa tête n’offrait point ces creux qui font ressembler la nuque de certaines femmes à des troncs d’arbres, ses muscles n’y dessinaient point de cordes et partout les lignes s’arrondissaient en flexuosités désespérantes pour le regard comme pour le pinceau. Un duvet follet se mourait le long de ses joues, dans le méplat du col, en y retenant la lumière qui s’y faisait soyeuse. Ses oreilles petites et bien contournées étaient, suivant son expression, des oreilles d’esclave et de mère... Ses bras étaient beaux, sa main aux doigts recourbés était longue, et, comme dans les statues antiques, la chair dépassait ses ongles à fines côtes. Je vous déplairais en donnant aux tailles plates l’avantage sur les tailles rondes, si vous n’étiez pas une exception. La taille ronde est un signe de force, mais les femmes ainsi construites sont impérieuses, volontaires, plus voluptueuses que tendres.”
Le lys dans la vallée, p. 995, Tome 9, La Pléiade.
Monsieur de Mortsauf
"Je contemplai le comte en tâchant de deviner son caractère, mais je fus assez intéressé par quelques traits principaux pour en rester à l’examen superficiel de sa physionomie. Âgé seulement de quarante cinq ans, il paraissait approcher de la soixantaine tant il avait promptement vieilli dans le grand naufrage qui termina le dix-huitième siècle. La demi-couronne, qui ceignait monastiquement l’arrière de sa tête dégarnie de cheveux, venait mourir aux oreilles en caressant les tempes par des touffes grises mélangées de noir. Son visage ressemblait vaguement à celui d’un loup blanc qui a du sang au museau, car son nez était enflammé comme celui d’un homme dont la vie est altérée dans ses principes, dont l’estomac est affaibli, dont les humeurs sont viciées par d’anciennes maladies. Son front plat, trop large pour sa figure qui finissait en pointe, ridé transversalement par marches inégales, annonçait les habitudes de la vie en plein air et non les fatigues de l’esprit, le poids d’une constante infortune et non les efforts faits pour la dominer. Ses pommettes, saillantes et brunes, au milieu des tons blafards de son teint, indiquaient une charpente assez forte pour lui assurer une longue vie. Son oeil clair, jaune et dur tombait sur vous comme un rayon de soleil en hiver, lumineux sans chaleur, inquiet sans pensée, défiant sans objet. Sa bouche était violente et impérieuse, son menton était droit et long. Maigre et de haute taille, il avait l’attitude d’un gentilhomme appuyé sur une valeur de convention, qui se sait au-dessus des autres par le droit, au-dessous par le fait. Le laisser-aller de la campagne lui avait fait négliger son extérieur. Son habillement était celui du campagnard en qui les paysans aussi bien que les voisins ne considérèrent plus que la fortune territoriale. Ses mains brunies et nerveuses attestaient qu’il ne mettait de gants que pour monter à cheval ou le dimanche pour aller à la messe. Sa chaussure était grossière.”
Le lys dans la vallée, p. 1002, Tome 9, La Pléiade
Modeste Mignon
“... vous connaissez la cage, voici l’oiseau.
Alors âgée de vingt ans, svelte, fine autant qu’une de ces sirènes inventées par les dessinateurs anglais pour leurs livres de beauté, Modeste offre, comme autrefois sa mère, une coquette expression de cette grâce peu comprise en France, où nous l’appelons sensiblerie, mais qui, chez les allemandes, est la poésie du coeur arrivée à la surface de l’être et s’épanchant en minauderies chez les sottes, en divines manières chez les filles spirituelles. Remarquable par sa chevelure couleur d’or pâle, elle appartient à ce genre de femmes nommées, sans doute en mémoire d’Ève, les blondes célestes, et dont l’épiderme satiné ressemble à du papier de soie appliqué sur la chair qui frissonne sous l’hiver ou s’épanouit au soleil du regard, en rendant la main jalouse de l’oeil. Sous ces cheveux, légers comme des marabouts et bouclés à l’anglaise, le front, que vous eussiez dit tracé par le compas tant il est pur de modelé, reste discret, calme jusqu’à la placidité, quoique lumineux de pensée ; mais quand et où pouvait-on en voir de plus uni, d’une netteté si transparente ? Il semble, comme une perle, avoir un orient. Les yeux d’un bleu tirant sur le gris, limpides comme des yeux d’enfant, en montrait alors toute la malice et toute l’innocence, en harmonie avec l’arc des sourcils, à peine indiqués par des racines plantées comme celles faites au pinceau dans les figures chinoises. Cette candeur spirituelle est encore relevée autour des yeux et dans les coins, aux tempes, par des tons de nacre à filets bleus, privilège de ces teints délicats. La figure, de l’ovale si souvent trouvé par Raphaël pour ses madones, se distingue par la couleur sobre et virginale des pommettes, aussi douces que la rose de Bengale, et sur laquelle les longs cils d’une paupière diaphane jetaient des ombres mélangées de lumière. Le col, alors penché, presque frêle, d’un blanc de lait, rappelle ces lignes fuyantes, aimées de Léonard de Vinci. Quelques petites taches de rousseur, semblables aux mouches du XVIIIe siècle, disent que Modeste est bien une fille de la terre et non l’une de ces créations rêvées en Italie par l’École Angélique. Quoique fines et grasses tout à la fois, ses lèvres, un peu moqueuses, expriment la volupté. Sa taille, souple sans être frêle, n’effrayait pas la Maternité comme celle de ces jeunes filles qui demandent des succès à la morbide pression d’un corset. Le basin, l’acier, le lacet épuraient et ne fabriquaient pas des lignes serpentines de cette élégance, comparable à celle d’un jeune peuplier balancé par le vent. Une robe gris de perle, ornée de passementeries couleur de cerise, à taille longue, dessinait chastement le corsage et couvrait les épaules, encore un peu maigres d’une guimpe qui ne laissait voir que les premières rondeurs par lesquelles le cou s’attache aux épaules. À l’aspect de cette physionomie vaporeuse et intelligente tout ensemble, où la finesse d’un nez grec à narines roses, à méplats fermement coupés, jetait je ne sais quoi de positif ; où la poésie qui régnait sur le front presque mystique était quasi démentie par la voluptueuse expression de la bouche ; où la candeur disputait les chants profonds et variés de la prunelle à la moquerie la plus instruite, un observateur aurait pensé que cette jeune fille, à l’oreille alerte et fine que tout bruit éveillait, au nez ouvert aux parfums de la fleur bleue de l’Idéal, devait être le théâtre d’un combat entre les poésies qui se jouent autour de tous les levers de soleil et les labeurs de la journée, entre la Fantaisie et la Réalité. Modeste était la jeune fille curieuse et pudique, sachant sa destinée et pleine de chasteté, la vierge de l’Espagne plutôt que celle de Raphaël.”
Modeste Mignon, p. 481, Tome 1, La Pléiade.
Grégoire Gérard
“L’extérieur de Gérard était peu prévenant. De moyenne taille, épais de forme, le cou dans les épaules, selon l’expression vulgaire, il avait les cheveux jaunes d’or, les yeux rouges de l’albinos, des cils et des sourcils presque blancs. Quoique son teint, comme celui des gens de cette espèce, fut d’une blancheur éclatante, des marques de petite vérole et des coutures très apparentes lui ôtaient son éclat primitif ; l’étude lui avait sans doute altéré la vue, car il portait des conserves. Quand il se débarassa d’un gros manteau de gendarme, l’habillement qu’il montra ne rachetait point la disgrâce de son extérieur. La manière dont ses vêtements étaient mis et boutonnés, sa cravate négligée, sa chemise sans fraîcheur offraient les marques de ce défaut de soin sur eux-mêmes que l’on reproche aux hommes de science, tous plus ou moins distraits. Comme chez presque tous les penseurs, sa contenance et son habitude, le développement du buste et la maigreur des jambes annonçaient une sorte d’affaissement corporel produit par les habitudes de la méditation ; mais la puissance de coeur et l’ardeur d’intelligence dont les preuves étaient écrites dans sa lettre éclataient sur son front qu’on eût dit taillé dans du marbre de Carrare. La nature semblait s’être réservé cette place pour y mettre les signes évidents de la grandeur, de la constance, de la bonté de cet homme. Le nez, comme chez tous les hommes de race gauloise, était d’une forme écrasée. Sa bouche, ferme et droite, indiquait une expression absolue, et le sens de l’économie ; mais tout le masque fatigué par l’étude avait prématurément vieilli.”
Le curé de village, p. 809, Tome 9, La Pléiade.
La maison du Chat-qui-pelote
“À la nuit tombante, une jeune homme passant devant l’obscure boutique du Chat-qui-pelote y était resté un moment en contemplation à l’aspect d’un tableau qui aurait arrêté tous les peintres du monde. Le magasin, n’étant pas encore éclairé, formait un plan noir au fond duquel se voyait la salle à manger du marchant. Une lampe astrale y répandait ce jour jaune qui donne tant de grâce aux tableaux de l’école hollandaise. Le linge blanc, l’argenterie, les cristaux formaient de brillants accessoires qu’embellissaient encore de vives oppositions entre l’ombre et la lumière. La figure du père de famille et celle de sa femme, les visages des commis et les formes pures d’Augustine, à deux pas de laquelle se tenait une grosse fille joufflue, composaient un groupe si curieux ; ces têtes étaient si originales, et chaque caractère avait une expression si franche ; on devinait si bien la paix, le silence et la modeste vie de cette famille, que, pour un artiste accoutumé à exprimer la nature, il y avait quelque chose de désespérant à vouloir rendre cette scène fortuite.”
La maison du Chat-qui-pelote, p. 52, Tome 1, La Pléiade.
Monsieur l'abbé Bonnet
“Sur l’échantillon du presbytère, Gabriel de Rastignac s’était fait un portrait imaginaire de monsieur Bonnet : un homme gros et court, à figure forte et rouge, un rude travailleur à demi paysan, hâlé par le soleil. Loin de là, l’abbé rencontra son égal. De petite taille et débile en apparence, M. Bonnet frappait tout d’abord par le visage passionné qu’on suppose à l’apôtre ; une figure presque triangulaire commencée par un large front sillonné de plis, achevée des tempes à la pointe du menton par les deux lignes maigres que dessinaient ses joues creuses. Dans cette figure endolorie par un teint jaune comme la cire d’un cierge, éclataient deux yeux d’un bleu lumineux de foi, brûlant d’espérance vive. Elle était également partagée par un nez long, mince et droit, à narines bien coupées, sous lequel parlait toujours, même fermée, une bouche large à lèvres prononcées, et d’où il sortait une de ces voix qui vont au coeur. La chevelure châtaine, rare, fine et lisse sur la tête, annonçait un tempérament pauvre, soutenu seulement par un régime sobre. La volonté faisait toute la force de cet homme. Telles étaient ses distinctions. Ses mains courtes eussent indiqué chez tout autre une pente vers de grossiers plaisirs, et peut-être avait-il, comme Socrate, vaincu ses mauvais penchants. Sa maigreur était disgracieuse. Ses épaules se voyaient trop. Ses genoux semblaient cagneux. Le buste trop développé relativement aux extrémités lui donnaient l’air d’un bossu sans bosse. En somme, il devait déplaire.” Le curé de village, p. 719, Tome 9, La Pléiade.
Maison de Balzac, rue Renouard, vue de la rue Berton
Docteur Benassis
“Benassis était un homme de taille ordinaire, mais large des épaules et large de poitrine. Une simple redingote verte, boutonnée jusqu’au cou, empêcha l’officier de saisir les détails si caractéristiques de ce personnage ou de son maintien ; mais l’ombre et l’immobilité dans laquelle resta le corps servirent à faire ressortir la figure, alors fortement éclairée par un reflet des flammes. Cet homme avait un visage semblable à celui d’un satyre : même front légèrement cambré, mais plein de proéminences, toutes plus ou moins significatives : même nez retroussé, spirituellement fendu dans le bout ; mêmes pommettes saillantes. La bouche était sinueuse, les lèvres étaient épaisses et rouges. Le menton se relevait brusquement. Les yeux bruns et animés par un vif regard auquel la couleur nacrée du blanc de l’oeil donnait un grand éclat, exprimaient des passions amorties. Les cheveux jadis noirs, et maintenant gris, les rides profondes de son visage et ses gros sourcils bien blanchis, son nez devenu bulbeux et veiné, son teint jaune et marbré par des taches rouges, tout annonçait en lui l’âge de cinquante ans et les rudes travaux de sa profession. L’officier ne put que présumer la capacité de la tête, alors couverte d’une casquette ; mais quoique cachée par cette coiffure, elle lui parut être une de ces têtes proverbialement nommées têtes carrées.” Le médecin de campagne, p. 400, Tome 9, La Pléiade.
Grégoire Rigou et Madame Soudry
“Alors âgé de soixante-sept ans, Rigou n’avait pas fait une seule maladie en trente ans, et rien ne paraissait devoir atteindre cette santé vraiment insolente. Grand, sec, les yeux bordés d’un cercle brun, les paupières presque noires, quand le matin il laissait voir son cou ridé, rouge et grenu, vous l’eussiez d’autant mieux comparé à un condor que son nez très long, pincé du bout, aidait encore à cette ressemblance par une coloration sanguinolente. Sa tête quasi chauve eût effrayé les connaisseurs par un occiput en dos d’âne, indice d’une volonté despotique. Ses yeux grisâtres, presque voilés par ses paupières à membranes filandreuses, étaient prédestinés à jouer l’hypocrisie. Deux mèches de couleur indécise, à cheveux si clairsemés qu’ils ne cachaient pas la peau, flottaient au-dessus des oreilles larges, hautes et sans ourlet, trait qui révèle la cruauté dans l’ordre moral quand il n’annonce pas la folie. La bouche, très fendue et à lèvres minces, annonçait un mangeur intrépide, un buveur déterminé par la tombée des coins qui dessinaient deux espèces de virgules où coulaient les jus, où pétillait sa salive quand il mangeait ou parlait. Héliogabale devait être ainsi.
Son costume invariable consistait en une longue redingote bleue à collet militaire, en une cravate noire, un pantalon et un vaste gilet de drap noir. Ses souliers à fortes semelles étaient garnis de clous à l’extérieur, et à l’intérieur d’un chausson tricoté par sa femme durant les soirées d’hiver. Annette et sa maîtresse tricotaient aussi les bas de Monsieur.
Rigou s’appelait Grégoire.” Les Paysans, p. 242, Tome 9, La pléiade.
“De toutes ces figures la plus originale, vous le pressentez, était madame Soudry, dont le personnage, pour être bien rendu, exige toutes les minuties du pinceau.
Madame Soudry se permettait un soupçon de rouge à l’imitation de mademoiselle Laguerre ; mais cette légère teinte avait changé par la force de l’habitude en plaques de vermillon si pittoresquement appelées des roues de carrosses par nos ancêtres. Les rides du visage devenant de plus en plus profondes et multipliées, la mairesse avait imaginé pouvoir les combler de fard. Son front jaunissant aussi par trop, et ses tempes miroitant, elle se posait du blanc, et figurait les veines de la jeunesse par de légers réseaux de bleu. Cette peinture donnait une excessive vivacité à ses yeux déjà fripons, en sorte que son masque eût paru plus que bizarre à des étrangers ; mais, habituée à cet éclat postiche, sa société trouvait madame Soudry très belle.
Cette haquenée, toujours décolletée, montrait son dos et sa poitrine, blanchis et vernis l’un et l’autre par les mêmes procédés employés pour le visage ; mais heureusement, sous prétexte de faire badiner de magnifiques dentelles, elle voilait à demi ces produits chimiques. Elle portait toujours un corps de jupe à baleines dont la pointe descendait, très bas, garni de noeuds partout, même à la pointe !... sa jupe rendait des sons criards tant la soie et les falbalas y foisonnaient.
Cet attirail, qui justifie le mot atours, bientôt inexplicable, était en damas de grand prix ce soir-là, car madame Soudry possédait cent habillements plus riches les uns que les autres, provenant tous de l’immense et splendide garde-robe de mademoiselle Laguerre, et tous retaillés par elle dans le dernier genre de 1808. Les cheveux de sa perruque blonde, crêpés et poudrés, semblaient soulever son superbe bonnet à coques de satin rouge cerise, pareil aux rubans de ses garnitures.
Si vous voulez vous figurer sous ce bonnet toujours ultra-coquet un visage de macaque d’une laideur monstrueuse, où le nez camus, dénudé comme celui de la Mort, est séparé par une forte marge de chair barbue d’une bouche à râtelier mécanique, où les sons s’engagent comme en des cors de chasse, vous comprendrez difficilement pourquoi la première société de la ville et tout Soulanges, en un mot, trouvait belle cette quasi-reine, à moins de vous rappeler le traité succinct ex professo qu’une des femmes les plus spirituelles de notre temps a récemment écrit sur l’art de se faire belle à Paris par les accessoires dont on s’y entoure...
Elle se serrait beaucoup, elle mettait une énorme tournure, elle portait des boucles de diamants aux oreilles, ses doigts étaient surchargés de bagues. Enfin, en haut de son corset, entre deux masses arrosées de blanc de perle, brillait un hanneton composé de deux topazes et à tête en diamant, un présent de chère maîtresse, dont on parlait dans tout le département. De même que feu sa maîtresse, elle allait toujours les bras nus et agitait un éventail d’ivoire à peinture de Boucher, et auquel deux petites roses servaient de boutons.....
Dans ce salon, tendu de damas rouge, à rideaux de damas doublés en soie blanche, et dont la cheminée était garnie de chinoiseries du bon temps de Louis XV, avec feu, galeries, branches de lis élevées en l’air par des Amours, dans ce salon plein de meubles en bois doré à pied de biche, on concevait que des gens de Soulanges pussent dire de la maîtresse de la maison : La belle madame Soudry ! Aussi l’hôtel Soudry était-il devenu le préjugé national de ce chef-lieu de canton.” Les Paysans, p. 258, Tome 9, La Pléiade
Justin Michaud, garde général
“Le garde général attirait tout d’abord l’attention par une figure heureuse, d’un ovale parfait, fine de contours, que le nez
partageait également, perfection qui manque à la plupart des figures françaises. Tous les traits, quoique réguliers, ne manquaient pas d’expression, peut-être à cause d’un teint harmonieux où
dominaient ces tons d’ocre et de rouge, indices du courage physique. Les yeux brun clair, vifs et perçants, ne marchandaient pas l’expression de la pensée, ils regardaient toujours en face. Le
front, large et pur, était encore mis en relief par des cheveux noirs abondants. La probité, la décision, une sainte confiance animaient cette belle figure où le métier des armes avait laissé
quelques rides sur le front. Le soupçon, la défiance s’y lisaient aussitôt formés. Comme tous les hommes triés pour la cavalerie d’élite, sa taille, belle et svelte encore, pouvait faire dire du
garde qu’il était bien découplé. Michaud, qui gardait ses moustaches, ses favoris et un collier de barbe, rappelait le type de cette figure martiale que le déluge de peintures et de gravures
patriotiques a failli ridiculiser. Ce type a eu le défaut d’être commun dans l’armée française ; mais peut-être aussi la continuité des mêmes émotions, les souffrances du bivouac, dont ne furent
exempts ni les grands, ni les petits, les efforts, semblables chez les chefs et les soldats sur le champ de bataille, ont-ils contribué à rendre cette physionomie uniforme. Michaud, entièrement
vêtu de drap bleu de roi, conservait le col de satin noir, et les bottes du militaire, comme il en offrait l’attitude un peu raide. Les épaules s’effaçaient et le buste était tendu, comme si
Michaud se trouvait encore sous les armes. Le ruban rouge de la Légion d’honneur fleurissait sa boutonnière. Enfin, pour achever en un seul mot au moral cette esquisse purement physique, si le
régisseur, depuis son entrée en fonctions, n’avait jamais manqué de dire Monsieur le Comte à son patron, jamais Michaud n’avait nommé son maître autrement que mon général.” Les Paysans, p.
121, Tome 9, La pléiade
François Tonsard
“Au moment où cette histoire commence, Tonsard, âgé d’environ cinquante ans, homme fort et grand, plus gras que maigre, les cheveux crépus et noirs, le teint violemment coloré, jaspé comme une brique de tons violâtres, l’oeil orangé, les oreilles rabattues et largement ourlées, d’une constitution musculeuse mais enveloppée d’une chair molle et trompeuse, le front écrasé, la lèvre inférieure pendante, cachait son vrai caractère sous une stupidité entremêlée des éclairs d’une expérience qui ressemblait d’autant plus à de l’esprit, qu’il avait acquis dans la société de son beau-père au parler gouailleur, pour employer une expression du dictionnaire Vermichel et Fourchon. Son nez, aplati du bout comme si le doigt céleste avait voulu le marquer, lui donnait une voix qui partait du palais, comme chez tous ceux que la maladie a défigurés en tronquant la communication des fosses nasales où l’air passe alors péniblement. Ses dents supérieures entrecroisées, laissaient d’autant mieux voir ce défaut, terrible au dire de Lavater, que ses dents offraient la blancheur de celles d’un chien. Sans la fausse bonhomie du fainéant et le laisser-aller du gobelotteur de campagne, cet homme eut effrayé les gens les moins perspicaces.” Les Paysans, p. 92, Tome 9, La pléiade.
Maxime de Trailles
“ Le comte, quoique d’une taille assez élevée, et d’une constitution sèche, avait pris un peu de ventre, mais il le contenait au
majestueux, suivant l’expression de Brillat-Savarin. Ses habits étaient d’ailleurs si bien faits, qu’il conservait, dans toute sa personne, un air de jeunesse, quelque chose de leste, de
découplé, dû sans doute à ses exercices soutenus, à l’habitude de faire des armes, de monter à cheval et de chasser. Maxime possédait toutes les grâces et les noblesses physiques de
l’aristocratie, encore rehaussées par sa tenue supérieure. Son visage, long et bourbonien, était encadré par des favoris, par un collier de barbe soigneusement frisés, élégamment coupés, et noirs
comme du jais....
Maxime avait un très beau front, les yeux bleus, un nez grec, une bouche agréable et le menton bien coupé ; mais le tour de ses yeux était cerné par de nombreuses lignes fines comme si elles
eussent été tracées avec un rasoir, et au point de n’être plus vues à une certaine distance. Ses tempes portaient des traces semblables. Le visage était aussi passablement rayé. Les yeux, comme
ceux des joueurs qui ont passé des nuits innombrables, étaient couverts comme d’un glacis ; mais, quoique affaibli, le regard n’en était que plus terrible, il épouvantait. On sentait là-dessous
une chaleur couvée, une lave de passions mal éteintes. Cette bouche, autrefois si fraîche et si rouge, avait également des teintes froides ; elle n’était plus droite, elle fléchissait sur la
droite. Cette sinuosité semblait indiquer le mensonge. Le vice avait tordu ces lèvres ; mais les dents étaient encore belles et blanches...
Vêtu selon la mode de 1839, le comte était en habit noir, gilet de cachemire bleu foncé, brodé de petites fleurs d’un bleu clair, en pantalon noir, en bas de soie gris, en souliers vernis. Sa
montre, contenue dans une des poches du gilet, se rattachait par une chaîne élégante à l’une des boutonnières.” Le député d’Arcis, p. 807, tome 8, La pléiade.
Marie de Verneuil
“Il est difficile à une jolie femme de se soustraire, en voiture, aux regards de ses compagnons, dont les yeux s’attachent sur elle comme pour y chercher une distraction de plus à la monotonie du voyage. Aussi, très heureux de pouvoir satisfaire l’avidité de sa passion naissante, sans que l’inconnue évitât son regard ou s’offensât de sa persistance, le jeune officier se plut-il à étudier les lignes pures et brillantes qui dessinaient les contours de ce visage dont il s’affolait. Ce fut pour lui comme un tableau. Tantôt le jour faisait ressortir la transparence rose des narines, et le double arc qui unissait le nez à la lèvre supérieure ; tantôt un pâle rayon de soleil mettait en lumière les nuances du teint, nacrées sous les yeux et autour de la bouche, rosées sur les joues, mates vers les tempes et sur le cou. Il admira les oppositions de clair et d’ombre produites par des cheveux dont les rouleaux noirs environnaient la figure, en y imprimant une grâce éphémère ; Car tout est si fugitif chez la femme ! Sa beauté d’aujourd’hui n’est souvent pas celle d’hier, heureusement pour elle peut-être ! Encore dans l’âge où l’homme peut jouir de ces riens qui sont tout l’amour, le soi-disant marin attendait avec bonheur le mouvement répété des paupières et les jeux séduisants que la respiration donnait au corsage. Parfois, au gré de ses pensées, il épiait un accord entre l’expression des yeux et l’imperceptible inflexion des lèvres. Chaque geste lui livrait une âme, chaque mouvement une face nouvelle de cette jeune fille. Si quelques idées venaient agiter ces traits mobiles, si quelque soudaine rougeur s’y infusait, si le sourire y répandait la vie, il savourait mille délices en cherchant à deviner les secrets de cette femme mystérieuse. Tout était piège pour l’âme, piège pour les sens. Enfin le silence, loin d’élever des obstacles à l’entente des cœurs, devenait un lien commun pour les pensées.” Les Chouans, p. 1000, tome 8, La pléiade.
Michu
“Un homme vêtu d’une veste de chasse en coutil vert, à boutons verts et d’une culotte de même étoffe, chaussé de souliers à
semelles minces, et qui avait des guêtres de coutil montant jusqu’au genou, nettoyait une carabine avec le soin que mettent à cette occasion les chasseurs adroits, dans leurs moments de
loisir...
Petit et gros, brusque et leste comme un singe, quoique d’un caractère calme, Michu avait une face blanche, injectée de sang, ramassée comme celle d’un Calmouque et à laquelle des cheveux
rouges, crépus, donnaient une expression sinistre. Ses yeux jaunâtres et clairs offraient, comme ceux des tigres, une profondeur intérieure où le regard de qui l’examinait allait se perdre, sans
y rencontrer de mouvement ni de chaleur. Fixes, lumineux et rigides, ses yeux finissaient par épouvanter. L’opposition constante de l’immobilité des yeux avec la vivacité du corps ajoutait encore
à l’impression générale que Michu causait au premier abord... Depuis 1793, il avait aménagé sa barbe rousse en éventail. .. Cette figure socratique à nez camus était couronnée par un très beau
front, mais si bombé qu’il paraissait être en surplomb sur le visage. Les oreilles bien détachées possédaient une sorte de mobilité comme celle des bêtes sauvages, toujours sur le qui-vive. La
bouche, entrouverte par une habitude assez ordinaire chez les campagnards, laissait voir des dents fortes et blanches comme des amandes, mais mal rangées. Des favoris épais et luisants
encadraient cette face blanche et violacée par places. Les cheveux coupés ras sur le devant, longs sur les joues et derrière la tête, faisaient, par leur rougeur fauve, parfaitement ressortir
tout ce que cette physionomie avait d’étrange et de fatal. Le cou, court et gros, tentait le couperet de la loi.” Une étrange affaire, p. 503, tome 8, La pléiade.
Chez Madame Marion - Le député d'Arcis
Avec Philéas Beauvisage, Simon Giguet et Achile Pigoult. Le député d'Arcis, tome 8, La pléiade
Juge Popinot
“Si donc la nature avait doué Monsieur Popinot d’un extérieur peu agréable, la magistrature ne l’avait pas embelli. Sa charpente
offrait des lignes heurtée. Ses gros genoux, ses grands pieds, ses larges mains contrastaient avec une figure sacerdotale qui ressemblait vaguement à une tête de veau, douce jusqu’à la fadeur,
mal éclairée par des yeux vairons, dénuée de sang, fendue par un nez droit et plat, surmontée d’un front sans protubérance, décorée de deux immenses oreilles qui fléchissaient sans grâce. Ses
cheveux grêles et rares laissaient voir son crâne par plusieurs sillons irréguliers. Un seul trait recommandait ce visage au physionomiste. Cet homme avait une bouche sur les lèvres de laquelle
respirait une bonté divine. C’était de bonnes grosses lèvres rouges, à mille plis, sinueuses, mouvantes, dans lesquelles la nature avait exprimé de beaux sentiments ; des lèvres qui parlaient au
coeur et annonçaient en cet homme l’intelligence, la clarté, le don de seconde vue, un angélique esprit ; aussi l’eussiez-vous mal compris en le jugeant sur son front déprimé, sur ses yeux sans
chaleur et sur sa piteuse allure...
Mais le cher Monsieur Popinot était incapable d’obtenir sur lui-même la propreté puritaine qu’exige le noir. Son pantalon toujours usé ressemblait à du voile, étoffe avec laquelle se font les
robes d’avocat ; et son maintien habituel finissait par y dessiner une si grande quantité de plis qu’il s’y trouvait par places des lignes blanchâtres, rouges ou luisantes qui dénonçaient une
avarice sordide où la pauvreté la plus insoucieuse. Ses gros bas de laine grimaçaient dans ses souliers déformés. Son linge avait ce ton roux contracté dans l’armoire par un long séjour, et qui
annonçait en feue Madame Popinot la manie du linge ; suivant la mode flamande, elle ne se donnait sans doute que deux fois par an l’embarras d’une lessive. L’habit et le gilet du magistrat
étaient en harmonie avec le pantalon, les souliers, les bas et le linge...
Sa cravate était toujours tordue sans apprêt, jamais il ne rétablissait le désordre que son rabat de juge avait mis dans le col de sa chemise recroquevillé.” L’interdiction, page 431,
tome 3, La pléiade.
Docteur Moïse Halpersohn
“Halpersohn était, au grand étonnement de Godefroid, un homme de cinquante-six ans, à petites jambes turques et dont le buste
était large, puissant. Il y avait en cet homme quelque chose d’oriental, car sa figure avait dû, dans la jeunesse, être fort belle ; il en restait un nez hébraïque, long et recourbé comme un
sabre de Damas. Le front vraiment polonais, large et noble, mais ridé comme un papier froissé, rappelait celui de Saint Joseph des vieux maîtres italiens. Les yeux, vert de mer et enchâssés comme
ceux des perroquets, par des membranes grisâtres et foncées, exprimaient la ruse et l’avarice à un degré supérieur. enfin, la bouche, fendue comme une blessure, ajoutait à cette physionomie
sinistre tout le mordant de la défiance.
Cette face pâle et maigre, car Hapersohn était d’une remarquable maigreur, surmontée de cheveux gris mal peignés, avait, pour ornement, une longue barbe très fournie, noire, mélangée de
blanc, qui cachait la moitié du visage, en sorte qu’on n’en voyait que le front, les yeux, le nez, les pommettes et la bouche. Cet ami du révolutionnaire Lelewel portait une calotte en velours
noir qui, mordant par une pointe sur le front, en faisait ressortir la couleur blonde, digne des pinceaux de Rembrandt.” L’envers de l’histoire contemporaine, p. 375, tome 8, La
pléiade.
Madame de la Chanterie
“Cette dame était évidemment une personne de l’autre siècle, pour ne pas dire de l’autre monde. Elle avait un visage doucâtre, à
teintes à la fois molles et froides, un nez aquilin, un front plein de douceur, des yeux bruns, un double menton ; le tout encadré de boucles de cheveux argentés. On ne pouvait donner à sa robe
que le vieux nom de fourreau, tant elle y était serrée selon la mode du XVIIIe siècle. L’étoffe, en soie couleur carmélite à longues raies vertes fines et multipliées, semblait être de ce même
temps. Le corsage, fait encore de jupe, se cachait sous une mantille en pou-de-soie bordée de dentelle noire, et attachée sur la poitrine par une épingle à miniature. Les pieds, chaussés de
brodequins en velours noir, reposaient sur un petit coussin. De même que sa servante, Madame de la Chanterie tricotait des bas et avait sous son bonnet de dentelle une aiguille fichée dans ses
boucles crêpées.” L’envers de l’histoire contemporaine, Madame de la Chanterie, p. 227, tome 8, La pléiade
Cérizet
"Cérizet, qui n’avait que trente-neuf ans, paraissait être un homme de cinquante tant il était vieilli par tout ce qui peut
vieillir les hommes. Sa tête, sans cheveux, offrait un crâne jaunâtre, mal couvert par une perruque que la décoloration avait jaunie. Son masque pâle et flasque, démesurément ridé, semblait
d’autant plus horrible qu’il avait le nez rongé, mais pas assez pour pouvoir le remplacer par un faux nez, car depuis la naissance du front jusqu’aux narines il existait comme la nature le lui
avait fait la maladie, après avoir mangé les ailes du bout, n’y laissait que deux trous de forme bizarre qui viciaient la prononciation et gênaient la parole. Les yeux, primitivement bleus,
affaiblis par des misères de tout genre, par des nuits consacrées aux veilles, devenus rouges sur les bords, présentaient des altérations profondes, et le regard, quand l’âme y envoyait une
expression de malice, eût effrayé des juges ou des criminels, enfin ceux-là mêmes qui ne s’effrayent de rien. La bouche, démeublée et où se voyaient quelques dents noires, était menaçante ;
il y venait une salive écumeuse et rare qui ne dépassait point des lèvres pâlies et minces. Cérizet ,petit homme moins sec que desséché, tâchait de remédier aux malheurs de sa physionomie
par le costume, et s’il n’était pas opulent, il le maintenait dans un état de propreté qui faisait ressortir sa misère. Tout semblait douteux chez lui, tout ressemblait à son âge, à son nez, à
son regard. S’il avait aussi bien trente-huit que soixante ans, il était impossible de savoir si son pantalon bleu, déteint, mais étroitement ajusté, serait bientôt à la mode, ou s’il appartenait
à celle de l’année 1835. Des bottes avachies, soigneusement cirées, remontées pour la troisième fois, fines autrefois, avaient peut-être foulé des tapis ministériels. La redingote à brandebourgs
lavée par des averses, et dont les olives avaient l’indiscrétion de laisser voir leurs moules témoignait par sa forme d’une élégance disparue. Le col-cravate en satin cachait assez heureusement
le linge, mais par derrière on le voyait déchiré par l’ardillon de la boucle, et le satin était resatiné par une espèce d’huile distillée par la perruque, aux jours de sa jeunesse. Le gilet ne
manquait pas de fraîcheur, mais c’était l’un de ces gilets achetés pour quatre francs et venu des profondeurs d’un étalage de marchand d’habits tout faits. Tout était soigneusement brossé, comme
le chapeau de soie luisant et bossué, tout s’harmoniait et faisait accepter les gants noirs qui cachaient les mains de cet employé subalterne...” Les petits bourgeois, p. 78, tome 8, La
pléiade.
Charles Marie Théodose de la Peyrade
“Le jeune provençal, né d’ailleurs aux environs d’Avignon, était d’une taille moyenne, bien proportionné, presque gras, d’un ton
de chair sans éclat ni livide, ni mat, ni coloré, mais gélatineux, car cette image peut seule donner l’idée de cette molle et fade enveloppe sous laquelle se cachaient des nerfs moins vigoureux
que susceptibles d’une prodigieuse résistance dans certains moments donnés. Les yeux, d’un bleu pâle et froid, exprimaient à l’état ordinaire une espèce de mélancolie trompeuse, qui, pour les
femmes, devait avoir un grand charme... Le front bien taillé ne manquait pas de noblesse et s’harmoniait à une chevelure fine, rare, châtain clair, naturellement frisée aux extrémités, mais
légèrement. Le nez, exactement celui d’un chien de chasse, épaté, fendu du bout, curieux, intelligent, chercheur, et toujours au vent, au lieu d’avoir une expression de bonhomie, était ironique
et moqueur ; mais ces deux faces du caractère ne se montraient point, et il fallait que ce jeune homme cessa de s’observer, entrât en fureur pour faire jaillir le sarcasme et l’esprit qui
décuplait ses plaisanteries infernales. La bouche, d’une sinuosité tout agréable, à lèvres d’une rougeur de grenade, semblait le merveilleux instrument d’un organe presque suave dans le médium
auquel Théodose se tenait toujours, et qui dans le haut vibrait aux oreilles comme le son d’un gong.” Les petits bourgeois, p. 61, tome 8, La pléiade.
Décor page 80
Élisabeth Baudoyer, née Gaillard
“Élisabeth Baudoyer, née Saillard, est une de ces figures qui se dérobent au pinceau par leur vulgarité même et qui néanmoins
doivent être esquissées ; car elles offrent une expression de cette petite bourgeoisie parisienne, placée au dessus des riches artisans et au-dessous de la haute classe, dont les qualités sont
presque des vices, dont les défauts n’ont rien d’aimable, mais dont les moeurs, quoique plates, ne manquent pas d’originalité. Élisabeth avait en elle quelque chose de chétif qui faisait mal à
voir. Sa taille, qui dépassait à peine quatre pieds, était si mince que sa ceinture comportait à peine une demi-aune. Ses traits fins, ramassés vers le nez, donnaient à sa figure une vague
ressemblance avec le museau d’une belette. À trente ans passés, elle paraissait n’en avoir que seize ou dix-sept. Ses yeux d’un bleu faïence, opprimés par de grosses paupières unies à l’arcade
des sourcils, jetaient peu d’éclat. Tout en elle était mesquin : et ses cheveux d’un blond qui tirait sur le blanc, et son front plat éclairé par des plans où le jour semblait s’arrêter et son
teint plein de tons gris presque plombés. Le bas du visage, plus triangulaire qu’ovale terminait irrégulièrement des contours assez généralement tourmentés.” Les employés, p. 933, tome 7, La
pléiade.
Comte Clément des Lupeaulx
"Au physique Clément des Lupeaulx était le reste d’un joli homme : taille de cinq pieds quatre pouces (1m63), embonpoint
tolérable, le teint échauffé par la bonne chère, un air usé, une titus poudrée, de petites lunettes fines ; au moins blond, couleur indiquée par une main potelée comme celle d’une vieille femme,
un peu trop carrée, les ongles courts, une main de satrape. Le pied ne manquait pas de distinction. Passé cinq heures, des Lupeaulx était toujours en bas de soie à jours, en souliers, pantalon
noir, gilet de cachemire, mouchoir de baptiste sans parfum, chaîne d’or, habit bleu de roi à boutons ciselés, et sa brochette d’ordres, le matin des bottes craquant sous un pantalon gris et la
petite redingote courte et serrée des intrigants. Sa tenue ressemblait alors beaucoup plus à celle d’un avoué madré qu’à la contenance d’un ministre. Son oeil miroité par l’usage des lunettes le
rendait plus laid qu’il ne l’était réellement quand par malheur il les ôtait." Les employés, p. 925, tome 7, La pléiade
Isidore Baudoyer
"Au physique, Isidore était un homme âgé de trente-sept ans, grand et gros, qui transpirait facilement, et dont la tête
ressemblait à celle d’un hydrocéphale. cette tête énorme, couverte de cheveux châtains et coupés ras, se rattachait au col par un rouleau de chair qui doublait le collet de son habit. Il avait
des bras d’hercule, des mains dignes de Domitien, un ventre que sa sobriété contenait au majestueux, selon le mot de Brillat Savarin. Sa figure tenait beaucoup de celle de l’empereur Alexandre.
Le type tartare se retrouvait dans ses petits yeux, dans son nez aplati relevé du bout, dans sa bouche à lèvres froides et dans son menton court. Le front était bas et étroit." Les employés,
p. 940 tome 7, La pléiade
Xavier Rabourdin
"Quarante ans, des cheveux gris d’une si jolie nuance que les femmes peuvent à la rigueur les aimer ainsi, et qui adoucissent une
physionomie mélancolique ; des yeux bleus pleins de feu, un teint encore blanc, mais chaud et parsemé de quelques rougeurs violentes ; un front et un nez à la Louis XV, une bouche sérieuse, une
taille élevée, maigre ou plutôt maigrie comme celle d’un homme qui relève de maladie, enfin une démarche entre l’indolence du promeneur et la méditation de l’homme occupé... Rabourdin portait
habituellement une redingote bleue, une cravate blanche, un gilet croisé à la Robespierre, un pantalon noir sans sous-pieds, des bas de soie gris et des souliers découverts." Les employés,
p. 898, Tome 7
Monsieur du Guénic
"M. du Guénic était un vieillard de haute taille, droit, sec, nerveux et maigre. Son visage ovale était ridé par des milliers de
plis qui formaient des franges arquées au-dessus des pommettes, au-dessus des sourcils, et donnaient à sa figure une ressemblance avec les vieillards que le pinceau de Van Ostade, de Rembrandt,
de Miéris, de Gérard Dow a tant caressés, et qui veulent une loupe pour être admirés. Sa physionomie était comme enfouie sous ces nombreux sillons, produits par sa vie en plein air, par
l'habitude d'observer la campagne sous le soleil, au lever comme au déclin du jour. Néanmoins il restait à l'observateur les formes impérissables de la figure humaine et qui disent encore quelque
chose à l'âme, même quand l'oeil n'y voit plus qu'une tête morte. Les fermes contours de la face, le dessin du front, le sérieux des lignes, la roideur du nez, les linéaments de la charpente que
les blessures seules peuvent altérer, annonçaient une intrépidité sans calcul, une foi sans bornes, une obéissance sans discussion, une fidélité sans transaction, un amour sans inconstance. En
lui, le granit breton s'était fait homme. Le baron n'avait plus de dents. Ses lèvres, jadis rouges, mais alors violacées, n'étant plus soutenues que par les dures gencives sur lesquelles il
mangeait du pain que sa femme avait soin d'amollir en le mettant dans une serviette humide, rentraient dans la bouche en dessinant toutefois un rictus menaçant et fier.
Son menton voulait rejoindre le nez, mais on voyait, dans le caractère de ce nez bossué au milieu, les signes de son énergie et de sa résistance bretonne. Sa peau, marbrée de taches rouges
qui paraissaient à travers ses rides, annonçait un tempérament sanguin, violent, fait pour les fatigues qui sans doute avaient préservé le baron de mainte apoplexie. Cette tête était couronnée
d'une chevelure blanche comme de l'argent, qui retombait en boucles sur les épaules. La figure, alors éteinte en partie, vivait par l'éclat de deux yeux noirs qui brillaient au fond de leurs
orbites brunes et jetaient les dernières flammes d'une âme généreuse et loyale. Les sourcils et les cils étaient tombés. La peau, devenue rude, ne pouvait se déplisser. La difficulté de se raser
obligeait le vieillard à laisser pousser sa barbe en éventail." Béatrix
Le colonnel Chabert
"Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d'une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage pâle, livide et en lame de couteau, s'il est permis d'emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L'ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu'un homme d'imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l'absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s'accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l'idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu'aucune parole humaine ne pourrait exprimer. Mais un observateur, et surtout un avoué, aurait trouvé de plus en cet homme foudroyé les signes d'une douleur profonde, les indices d'une misère qui avait dégradé ce visage, comme les gouttes d'eau tombées du ciel sur un beau marbre l'ont à la longue défiguré. Un médecin, un auteur, un magistrat eussent pressenti tout un drame à l'aspect de cette sublime horreur dont le moindre mérite était de ressembler à ces fantaisies que les peintres s'amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis.En voyant l'avoué, l'inconnu tressaillit par un mouvement convulsif semblable à celui qui échappe aux poètes quand un bruit inattendu vient les détourner d'une féconde rêverie, au milieu du silence et de la nuit. Le vieillard se découvrit promptement et se leva pour saluer le jeune homme ; le cuir qui garnissait l'intérieur de son chapeau étant sans doute fort gras, sa perruque y resta collée sans qu'il s'en aperçût, et laissa voir à nu son crâne horriblement mutilé par une cicatrice transversale qui prenait à l'occiput et venait mourir à l'oeil droit, en formant partout une grosse couture saillante. L'enlèvement soudain de cette perruque sale, que le pauvre homme portait pour cacher sa blessure, ne donna nulle envie de rire aux deux gens de loi, tant ce crâne fendu était épouvantable à voir. La première pensée que suggérait l'aspect de cette blessure était celle-ci: " Par là s'est enfuie l'intelligence ! "
Le Colonel Chabert, p. 321, Tome 3, La Pléiade
Eugénie Grandet
Eugénie appartenait bien à de type d'enfant fortement constitués, comme ils le sont dans la petite bourgeoisie, et dont les beautés
paraissent vulgaires ; mais si elle ressemblait à la Vénus de Milo, ses formes étaient ennoblies par cette suavité du sentiment chrétien qui purifie la femme et lui donne une distinction inconnue
aux sculpteurs anciens. Elle avait une tête énorme, et des yeux gris auxquels sa chaste vie, en s'y portant tout entière, imprimait une lumière jaillissante. Les traits de son visage rond, jadis
frais et rose, avaient été grossis par une petite vérole assez clémente pour n'y point laisser de traces, mais qui avait détruit le velouté de la peau, néanmoins si douce et si fine encor que le
pur baiser de sa mère y traçait ... passagèrement une marque rouge.
Son nez était un peu trop fort, mais il s'harmonisait avec une bouche d'un rouge de minium, dont les lèvres à mille raies étaient pleines d'amour et de bonté. Le col avait une rondeur parfaite.
Le corsage bombé, soigneusement voilé, attirait le regard et faisait rêver; il manquait sans doute un peu de grâce due à la toilette ; mais pour les connaisseurs, la non-flexibilité de cette
haute taille devait être un charme. Eugénie, grande et forte, n'avait donc rien du joli qui plaît aux masses; mais elle était belle de cette beauté si facile à reconnaître, et dont
s'éprennent seulement les artistes. Le peintre qui cherche ici- bas un type à la céleste pureté de Marie, qui demande à toute la nature féminine ces yeux modestement fiers devinés par Raphaël,
ces lignes ... souvent dues aux hasards de la conception, mais qu'une vie chrétienne et pudique peut seule conserver ou faire acquérir; ce peintre, amoureux d'un si rare modèle, eût trouvé tout à
coup dans le visage d'Eugénie la noblesse innée qui s'ignore ; il eût vu sous un front calme un monde d'amour ; et, dans la coupe des yeux, dans l'habitude des paupières, le je ne sais quoi de
divin. Ses traits, les contours de sa tête que l'expression du plaisir n'avait jamais altérés ni fatigués, ressemblaient aux lignes d'horizon si doucement tranchées dans le lointain des lacs
tranquilles. Cette physionomie calme, colorée, bordée de lueur comme une jolie fleur éclose, reposait l'âme, communiquait le charme de la conscience qui s'y reflétait, et commandait le
regard...
Élie Magus, marchand de tableaux, collectionneur
"C'était un tableau vivant au milieu de ses tableaux immobiles que ce petit vieillard, vêtu d'une méchante petite redingote, d'un gilet de soie décennal, d'un pantalon crasseux, la tête chauve, le visage creux, la barbe frétillante et dardant ses poils blancs, le menton menaçant et pointu, la bouche démeublée, l'oeil brillant comme celui de ses chiens, les mains osseuses et décharnées, le nez en obélisque, la peau rugueuse et froide, souriant à ces belles créations du génie !" Le cousin Pons - p. 598, Tome 7, La Comédie Humaine, Pléiade.
Madame Camusot de Marville
"À quarante-six ans, madame de Marville autrefois petite, blonde, grasse et fraîche, toujours petite, était devenue sèche. Son front busqué, sa bouche rentrée, que la jeunesse décorait jadis de teinte fines, changeaient alors son air, naturellement dédaigneux, en un air rechigné. L'habitude d'une domination absolue au logis avait rendu sa physionomie dure et désagréable. Avec le temps, le blond de la chevelure avait tourné au châtain aigre. Les yeux, encore vifs et caustiques, exprimaient une morgue judiciaire chargée d'une envie contenue. En effet, la présidente se trouvait presque pauvre au milieu de la société de bourgeois parvenus où dînait Pons." Le cousin Pons - p. 515, Tome 7, La Comédie Humaine, Pléiade.
Le cousin Pons
«Sous ce chapeau, qui paraissait près de tomber, s’étendait une de ces figures falotes et drôlatiques comme les Chinois seuls en
savent inventer pour leurs magots. Ce vaste visage percé comme une écumoire, où les trous produisaient des ombres et refouillé comme un masque romain, démentait toutes les lois de l’anatomie. Le
regard n’y sentait point de charpente. Là où le dessin voulait des os, la chair offrait des méplats gélatineux, et là où les figures présentent ordinairement des creux, celle-là se contournait en
bosses flasques. Cette face grotesque, écrasée en forme de potiron, attristée par des yeux gris surmontés de deux lignes rouges au lieu de sourcils, était commandée par un nez à la don Quichotte,
comme une plaine est dominée par un bloc erratique. Ce nez exprime, ainsi que Cervantes avait dû le remarquer, une disposition native à ce dévouement aux grandes choses qui dégénère en duperie.
Cette laideur, poussée tout au comique, n’excitait cependant point le rire. La mélancolie excessive qui débordait par les yeux pâles de ce pauvre homme atteignait le moqueur et lui glaçait la
plaisanterie sur les lèvres...
Cet homme si disgracié par la nature était mis comme le sont les pauvres de la bonne compagnie, à qui les riches essayent assez souvent de ressembler... car le bonhomme, doué d’une bouche
sensuelle à lèvres lippues, montrait en souriant des dents blanches dignes d’un requin. Le gilet à châle, également en drap noir, mais doublé d’un gilet blanc sous lequel brillait en troisième
ligne le bord d’un tricot rouge, vous remettait en mémoire les cinq gilets de Garat. Une énorme cravate en mousseline blanche dont le noeud prétentieux avait été cherché par un beau pour charmer
les femmes charmantes de 1809, dépassait si bien le menton que la figure semblait s’y plonger comme dans un abîme. Un cordon de soie tressée, jouant les cheveux, traversait la chemise et
protégeait la montre contre un vol improbable. L’habit verdâtre, d’une propreté remarquable, comptait trois ans de plus que le pantalon ; mais le collet en velours noir et les boutons en métal
blanc récemment renouvelés trahissaient les soins domestiques poussés jusqu’à la minutie. Cette manière de retenir le chapeau par l’occiput, le triple gilet, l’immense cravte où plongeait le
menton, les guêtres, les boutons de métal sur l’habit verdâtre, tous ces vestiges des modes impériales s’harmonisaient aux parfums arriérés de la coquetterie des incroyables, à je ne sais quoi de
menu dans les plis, de correct et de sec dans l’ensemble, qui sentait l’école de David, qui rappelait les meubles grêles de Jacob.» Le cousin Pons - p. 509, Tome 7, La Comédie Humaine,
Pléiade.
Élisabeth Fischer, la cousine Bette
"Paysanne des Vosges, dans toute l'extension du mot, maigre, brune, les cheveux d'un noir luisant, les sourcils épais et réunis par un bouquet, les bras longs et forts, les pieds épais, quelques verrues dans sa face longue et simiesque, tel est le portrait concis de cette vierge... Dans l'impossibilité de marier aussitôt qu'Adeline le voulait cette fille aux yeux noirs, et aux yeux charbonnés,...". La cousine Bette - p. 80, Tome 7, La Comédie Humaine, pléiade.
Clotilde de Granlieu
... qui ressemblait parfaitement à une asperge. Le corsage de la pauvre fille était si plat qu'il n'admettait pas les ressources coloniales de ce que les modistes appellent des fichus menteurs. Aussi Clotilde, qui se savait de suffisants avantages dans son nom, loin de prendre la peine de déguiser ce défaut, le faisait-elle héroïquement ressortir. En se serrant dans ses robes, elle obtenait l'effet du dessin roide et net que les sculpteurs du moyen-âge ont cherché dans leurs statuettes dont le profil tranche sur le fond des niches où ils les ont mises dans les cathédrales. Clotilde avait cinq pieds quatre pouces. S'il est permis de se servir d'une expression familière qui, du moins, a le mérite de bien se faire comprendre, elle était tout jambes. Ce défaut de proportions donnait à son buste quelque chose de difforme. Brune de teint, les cheveux noirs et durs, les sourcils très formés, les yeux ardents et encadrés dans des orbites déjà charbonnées, la figure arquée comme un premier quart de lune et dominée par un front proéminent, elle offrait la caricature de sa mère, l'une des plus belles femmes du Portugal... Clotilde avait sur sa bouche, excessivement rentrée, une expression de dédain stéréotypée. Aussi ses lèvres dénonçaient-elles plus que tout autre trait de son visage les secrets mouvements de son coeur, car l'affection leur imprimait une expression charmante, et d'autant plus remarquable, que ses joues, trop brunes pour rougir, que ses yeux noirs toujours durs, ne disaient jamais rien." Splendeurs et misères des courtisanes - p. 511, Tome 6, La Comédie Humaine, pléiade.
Jacques Colin, alias l'abbé Carlos Herrera, alias Vautrin, alias Trompe-la-Mort
"Aucun regard n'aurait pu lire ce qui se passait en cet homme; mais pour les plus hardis, il y aurait eu plus à frémir qu'à espérer à l'aspect de ses yeux, jadis clairs et jaunes, comme ceux des tigres, et sur lesquels les austérités et les privations avaient mis un voile semblable à celui qui se trouve sur les horizons au milieu de la canicule... Une gravité toute espagnole, des plis profonds que les mille cicatrices d'une horrible petite vérole rendaient hideux et semblables à des ornières déchirées, sillonnaient sa figure olivâtre et cuite par le soleil. La dureté de cette physionomie ressortait d'autant mieux qu'elle était encadrée par la sèche perruque du prêtre qui ne se soucie plus de sa personne, une perruque pelée et d'un rouge noir à la lumière. Son buste d'atlète, ses mains de vieux soldat, sa carrure, ses fortes épaules appartenaient à ces cariatides que les architectes du moyen-âge ont employées dans quelques palais italiens." Splendeurs et misères des courtisanes - p. 455, Tome 6, La Comédie Humaine, pléiade.
Esther Gobseck, la Torpille
"... Ce trait merveilleux était produit par la profondeur de l'arcade sous laquelle l'oeil roulait, comme dégagé de son cadre et dont la courbe ressemblait, par sa netteté, à l'arête d'une goutte. Quand la jeunesse revêt de ces teintes pures et diaphanes ce bel arc, surmonté de sourcils à racines perdues ; quand la lumière, en se glissant dans le sillon circulaire de dessous, y reste d'un rose clair, il y a des trésors de tendresse à contenter un amant, des beautés à désespérer la peinture. L'oeil au repos est là-dedans comme un oeuf miraculeux dans un nid de brins de soie. Mais plus tard, cette merveille devient d'une horrible mélancolie, quand les passions ont charbonné ces contours si déliés, quand les douleurs ont ridé ce réseau de fibrilles. L'origine d'Esther se trahissait dans cette coupe orientale de ses yeux à paupières turques et dont la couleur était un gris d'ardoise qui contractait, aux lumières, la teinte bleue des ailes noires du corbeau... Elle avait le front ferme et d'un dessin fier. Son nez, comme celui des arabes, était fin, mince, à narines ovales, bien placées, retroussées sur les bords. Sa bouche rouge et fraîche était d'une rose qu'aucune flétrissure ne déparait, les orgies n'y avaient point laissé de traces. Le menton, modelé comme si quelque sculpteur amoureux en eut poli le contour, avait la fraîcheur du lait." Splendeurs et misères des courtisanes - p. 464, Tome 6, La Comédie Humaine, pléiade.
Asie, tante de Vautrin, donnée comme domestique à Esther
Asie, qui paraissait être née à l'île de Java, offrait au regard, pour l'épouvanter, ce visage cuivré particulier aux malais, plat comme une planche et où le nez semble avoir été rentré par une compression violente. L'étrange disposition des os maxillaires donnait au bas de cette figure une ressemblance avec la face des singes de la grande espèce. Le front, quoique déprimé, ne manquait pas d'une intelligence produite par l'habitude de la ruse. Deux petits yeux ardents conservaient le calme de ceux des tigres, mais ils ne regardaient point en face. Asie semblait avoir peur d'épouvanter son monde. Les lèvres, d'un bleu pâle, laissaient passer des dents d'une blancheur éblouissante, mais entrecroisées. L'expression générale de cette physionomie animale était la lâcheté. Les cheveux, luisants et gras, comme la peau du visage, bordaient de deux bandes noires un foulard très riche. Les oreilles, excessivement jolies, avaient deux grosses perles brunes pour ornement. Petite, courte, ramassée, Asie ressemblait à ces créations falotes que se permettent les chinois sur leurs écrans... En voyant ce monstre, paré d'un tablier blanc sur une robe de stoff, Esther eut le frisson"<