Croisière musicale dans l'Adriatique à bord du Club Med 2
Paris-Ancône-Venise-Rovinj-Split-Dubrovnic-Kotor-Corfou-Paris
En arrivant à Ancône, nous fûmes accueillis par une pluie battante faite de grosses gouttes qui mouillent bien. Au travers des vitres du bus qui nous emmenait de l'aéroport au bateau, le ciel et la mer se confondaient dans un dégradé de gris inquiétant. Les vagues et la houle se formaient et déferlaient sur la grêve. La mer paraissait déchaînée. Pourtant les prévisions ne semblaient pas mauvaises sur l'Italie et sur l'Adriatique en général. Nous étions vendredi, il était presque midi, nous nous étions levés à 4 heures du matin, l'avion était à 7 heures..., et nous décollâmes à 8h. Déjà, l'inquiétude de rater la correspondance à Munich nous envahissait, mais finalement tout se passa sans grand problème.
Sur le bateau, nous fûmes soumis peu après notre arrivée, et par obligation, à l'Exercice d'Abandon du navire avec notre gilet de sauvetage. Heureusement, nous n'avons pas eu à l'utiliser par la suite. La première nuit à bord fut agitée par une forte houle qui procurait un tangage et un roulis assez importants, mais qui nous fit merveilleusement bien dormir, bercés que nous étions dans notre cabine, magnifique du reste.
Le lendemain, Grand Moment..., entre 6h30 et 8h du matin : arrivée à Venise par la mer. Un grand ciel bleu nous attendait, couronné de brumes à l'horizon nous masquant les Dolomites, on ne peut pas tout avoir ! Le bateau attendait son pilote pour franchir l'entrée du chenal laissant à bâbord le phare du Lido au bout de cette longue jetée très étroite, endroit magique et désert, où quelques pêcheurs à la ligne tentent leur chance dans le rayon du soleil levant. Puis lentement et majestueusement, le bateau semble glisser sur les eaux nous laissant découvrir progressivement les édifices qui se détachent au loin, d'abord le campanile de San Marco, puis les Giardini, le campanile de San Francesco della Vigna, puis "notre" campanile de San Giorgio dei Greci... Tout autour de nous la vie aquatique de la Ville s'anime dans les occupations matinales, vapporetti, ferries, livreurs en tout genre puis un monstre qui nous précède dans notre entrée, véritable immeuble sur l'eau qui déchargera dans quelques instants ses plusieurs milliers de passagers pour la visite de la Sérénissime. La magie est là, éclatante dans les lumières du matin, nous laissant re-découvrir tous les lieux que nous aimons. Comment ne pas être encore une fois émus !
À quai, aux Zattere, derrière un autre 5 mâts battant pavillon anglais, le Royal Clipper, le soleil chauffe déjà sur le pont G. Assis sur un transat en teck, je fais face à la pointe ouest de la Guidecca. Des embarcations de toute sorte passent sous mes yeux dans un ronronnement assorti du clapotis des vaguelettes qu'elles forment derrière leur passage. Nous avions décidé de rester sur le bateau le matin de notre arrivée, et, naturellement, nous avons lu à haute voix (Honorine, T2 de la Comedie Humaine de H de B) ou du moins je lis pendant que Kate dessine les décors urbains devant nous, la pointe ouest de Guidecca, ou une vue du port où notre bateau est amarré.
Le monstre de la MSC (plusieurs milliers de passagers). Une manifestation nous avait été annoncée par TramezziniMag pour le lendemain, 16 septembre, dont le but était d'empêcher l'entrée de ces monstres à Venise. Nous avons manqué cela.
Nous sommes sortis cette après-midi. Quelques heures dans la ville. Depuis les Zattere, nous sommes restés dans le Dorsoduro. Nous engouffrant rapidement dans une petite calle en emprutant son sottoportego, nous plongeons dans le dédale de Venise et comme par enchantement nous nous immergeons d'un seul coup dans l'atmosphère si singulière de la città. Tout y est calme, reposant, une faible brise rafraîchit le chaud soleil de septembre, le temps idéal pour marcher. Nous voulions nous limiter à l'Accademia et au Guggenheim. La visite à la Tempête (de Giorgione) nous avait paru incontournable, mais ils l'avaient changée de place et les quelques sièges habituellement devant La Peinture avaient disparu. Le déplacement du Giorgione était dû à une exposition temporaire sur Titien et à la présentation de la Fuite en Égypte récemment restaurée, appartenant à l'Hermitage. Nous avons découvert deux Giorgione de la National Gallery de Londres. L'Accademia est en restauration tout comme le repas chez Levi de Véronese encombré d'échafaudages et de grandes toiles de protection.
Puis nos pas nous ont conduits à la fondation Guggenheim pour nous replonger dans nos "contemporains" du début du XXe siècle. Après avoir acheté une paire de chaussures de marche et bu un Spritz sur les Zattere dans le soleil déclinant de cette fin d'après midi de septembre, nous sommes remontés sur le bateau, le départ était prévu pour 19h. Tout le monde était sur les différents ponts pour admirer ce spectacle inoubliable : quitter Venise en bateau et en musique, malheureusement peu adaptée à ce moment magique. Nous aurions préféré du Vivalvi ou un autre compositeur vénitien mais...
La nuit fut plus calme. Le lendemain, dès 7h avec le soleil levant derrière les montagnes, nous approchâmes de Rovinj en Istrie. Nous sommes restés au mouillage toute la journée. Nous ne pouvons rien dire de cette ville accrochée sur son rocher, car nous ne sommes pas descendus du bateau. La journée à bord s'est faite essentiellement sur un transat, nous avons continué notre lecture de la comédie humaine et Kate a peint ou dessiné cet éperon rocheux flanqué de sa ville, qui comme à Dubrovnik a été "rattachée" à la terre ferme par comblement de la voie d'eau qui l'en séparait.
Puis ce fut Split. Là non plus, nous ne sommes pas descendus à terre. Notre farniente sur le bateau nous suffisait amplement, ce n'était pas de la paresse, mais un choix délibéré. Le temps imparti pour ces étapes nous paraissait trop court. Et les commentaires de ceux qui sont allés en "ville" nous l'ont confirmé. Mais nous nous sommes jurés de faire la prochaine escale pour une visite guidée de Dubrovnik
Chaque départ est ponctué par la musique des Chariots de feu diffusée à fond par tous les hauts-parleurs du bateau (très Club Med !)
Le soleil est déjà levé derrière les montagnes qui entourent notre prochaine destination. Je suis assis et je prends mon café, une légère brise souffle sur une mer calme, nous arrivons à Dubrovnik, il est sept heures du matin. Le site est grandiose et nous restons au mouillage devant le petit port. De très hautes montagnes la surplombent qui, au-delà des sommets, redescendent en Bosnie Herzégovine. Les restes de la Guerre de 1991 sont encore visibles et notre guide, qui n'avait que 9 ans à cette époque, en conserve un souvenir douloureux... Saint Blaise est le patron de la ville entourée et protégée par des murailles de fortification sur lesquelles on peut déambuler, ce que nous n'avons pas fait. La vieille ville est sillonnée de ruelles donnant une ombre bienfaitrice car le soleil est déjà chaud ce matin. Nous avons visité certains édifices dont le magnifique cloître du monastère des franscicains de style roman tardif. Puis la colonne de Roland sur une des places rappelle le temps où Dubrovnic s'appelait Raguse. Et non loin de là, l'église Saint Blaise, saint protecteur de la cité dont les représentations le montrent toujours tenant dans le creux de sa main gauche la ville en maquette. Ces sculptures ont un intérêt historique car elles donnent un aperçu de ce qu'était la ville au moment où l'oeuvre était réalisée. Ensuite nous avons grimpé l'escalier monumental du Palais du Recteur pour enfiler les différentes salles à visiter. Partout, on aperçoit çà et là des bas-reliefs représentant le lion ailé de Venise, rappelant que la domination de la Sérénissime s'étendait sur toute la côte dalmate au temps de sa splendeur, jusqu'au moment où un "petit caporal" corse, d'origine génoise, ne l'investisse en 1797 et n'y laissant pas toujours les meilleurs souvenirs !
À quelques encablures ou milles marins de là, un peu plus au sud et toujours par un magnifique lever de soleil dans un ciel d'azur, nous découvrons le site fantastique des bouches de Kotor. Considéré comme le fjord le plus méridional de l'hémisphère nord, il suffit de regarder une carte du lieu pour découvrir ce que la mer adriatique et la côte ont dessiné pour notre plus grand plaisir visuel. Imaginez un grand lac entouré de très hautes montagnes et relié par un passage étroit à un estuaire qui communique avec la mer. L'on raconte que les montagnes sont tellement hautes que le soleil ne rentre pas certains jours d'hiver dans cette vallée aquatique très encaissée. Mais quand nous y entrâmes, le soleil éclairait le décor grandiose, avant de l'inonder, accompagné d'une chaleur agréable tempérée par une brise venant du large et s'engouffrant dans les tortuosités du relief. Et là nous sommes descendus à la découverte d'une petite ville protégée par Saint Triphon et par des murailles encerclant la cité. Là aussi, quelques lions de Saint Marc rappellent que Venise a dominé ce lieu pendant plus de trois siècles. Négligeant la visite en groupe, et nous appuyant sur un petit guide acheté sur place (délicieuses tournures de phrases dues à une traduction française approximative), nous avons pu faire la majorité des endroits à découvrir dans ce petit bourg. La cathédrale Saint Triphon où il existe un reliquaire à faire pâlir des amateurs de nonosses (en français reliques) comme nous. La vie de Saint Triphon a été peinte par Carpaccio (à voir absolument à la Scuola dei Schiavoni à Venise).
Comme Dubrovnik, et beaucoup de villes de la côte dalmate, Kotor a subi de terribles tremblements de terre et a dû être rebâtie plusieurs fois. Toute une matinée dans les ruelles ombragées de cette cité historique fascinante nous a laissé des souvenirs inoubliables comme par exemple cette ancienne fontaine d'eau potable appelée Karampana dont nous n'avons pas trouvé la traduction ni la signification (mais peut être Snej ou Serge le savent!). Naturellement, nous avons fait le rapprochement immédiat avec l'histoire de Venise, de sa Ca'Rampana, ses capampane, péripatéticiennes à seins nus qui évoluaient pour attirer et distraire le mâle de l'époque (souvent attiré par les autres mâles) près du ponte delle tette. À ce sujet ne pas rater le restaurant trattoria Antiche Carampane, cher mais bon (San Polo 1911, Rio terra delle Carampane).
Nous avons quitté Kotor en début d'après midi sous un soleil de plomb. En abordant la bouche même, à droite ou mieux à tribord, nous avons admiré la maison de Serge et Snej (si je l'ai bien reconnue) à Perast. Ils n'étaient pas encore arrivés, mais un jour nous reviendrons...
La dernière soirée fut calme, et longtemps nous sommes restés sur nos transats admirant cette lumière frisante aux changements de couleurs incessants, mer scintillante par moments et à d'autres, à cet aspect huileux aux reflets noirs ou métalliques. Ce spectacle fascinant nous retint jusqu'à ce que le soleil se soit couché à l'horizon.
Puis ce fut Corfou, pour l'anecdote, car nous devions être à 10h dans le bus pour l'aéroport et puis passer de longues heures un peu pénibles pour regagner Paris, via Athènes, où nous arrivames 12h plus tard !
Mais il manque quelque chose dans tout cela. Il s'agissait d'une croisière musicale...
Faire une croisière. Cette expression est en elle-même magique et l'imagination travaille à sa simple évocation. Quitter la terre ferme et découvrir des sites par ce moyen de transport peu usuel. Mais en dehors de cet aspect, c'est comme une aventure, avec son déroulement lent, calme et serein. On vit différemment, balloté au gré du tangage ou du roulis, je ne sais jamais. Cette lenteur de déplacement nous est peu connue, sauf pour ceux qui font de la voile. Il n'y a jamais de véritable silence. Les bruits de machines, même discrets, le bruit de l'accastillage, des voiles, ou des vaguelettes sur la coque du navire, toute cette symphonie de sons nous accompagne dans une sorte de rumeur au timbre musical dont la présence permanente ne perturbe jamais. Et puis il y a les promenades sur les coursives dans le vent de la nuit avec cette immensité liquide qui nous entoure. Et puis il y a cette liberté dans ce monde clos où des rencontres se font sans préjugé et dans le hasard le plus complet. Et cela mérite d'être vécu. On tangue sur la terre ferme quand on débarque et ça nous laisse pendant quelques heures encore le goût de ces moments de plaisir ou de bonheur passés.
Et nous avons déjà envie de relarguer les amarres pour d'autres cieux et sur d'autres mers, peut-être !..
Dans le salon des spectacles, un pianiste très jeune mais époustouflant, un violoniste excellent, une soprano encore jeune mais qui promet (pour la petite histoire, la soprano et le violoniste viennent de convoler en justes noces).
Ce piano a embarqué en même temps que nous à Ancone, soulevé par une énorme grue sous une pluie battante et par vent fort.
Ève Ruggieri accompagnait la partie "musicale" de la croisière. Au hasard de rencontres sur les ponts, nous avons échangé quelques mots. Elle "raconte" effectivement bien ; elle est si volubile que les conversations peuvent s'éterniser.
Dans les trajets en avion, j'ai volé deux images. La seconde est le portrait de notre artiste vedette, Fabrice di Falco, sopraniste. Lorsqu'il s'est réveillé, je n'ai pas pu m'empêcher de lui demander une dédicace.
Jacques...
Ce vieux monsieur qui déambulait soutenu par sa canne sur les ponts du bateau fut mon modèle favori. Il se changeait plusieurs fois par jour, se perdait dans ses souvenirs ? et participait à tous les évènements de la croisière. Pour le départ de Venise, il arborait un magnifique foulard rouge et se tenait debout à la poupe, le regard perdu sur les campaniles de cette merveilleuse cité qu'il devait bien connaître.
Quelques-uns de nos contemporains, passagers peu patients pour la pose et que j'ai croqués un peu à la sauvette.