Le cimetière de Vézelay
En voici la description qu'en fait Frédéric Lenoir dans son dernier livre La parole perdue :
"... Jamais elle n'avait vu nécropole plus poétique que le vieux cimetière de Vézelay : une prairie anarchique, bordée d'arbres, avait fait pousser des stèles dans un hamonieux désordre. Le long du mur d'enceinte, dans des mausolées blancs habillés de lierre et de lichen, le public couché regardait en se reposant et, tels deux gardiens paisibles mais vigilants, Jules Roy et le couple Zervos étaient allongés à l'entrée..."
Malheusement, Lenoir n'est pas allé plus loin. Son livre sur la couverture duquel une image de la colline semble promettre une histoire passionnante se déroulant à Vézelay, n'est qu'un amalgame d'approximations, de récits détaillés de "possession" et de guérison miraculeuse d'une enfant habitée par l'esprit d'une femme morte dans l'éruption du Vésuve qui détruisit Pompéï en 79. L'héroïne, archéologue médiéviste a des méthodes pour le moins critiquables, se désaisissant d'un objet qui devrait bouleverser le monde, sans même en faire une photographie. Bref, invraisemblable, pas toujours bien écrit, fort décevant donc.
Pour ce qui est du cimetière de Vézelay, il y a tant à raconter !
Il protège les dépouilles de plusieurs célébrités.
Écrivain, journaliste, poète, photographe, homme de radio, historien de l'art, ethnologue, etc.
qui fut le plus épris des amants de la sainte pécheresse. Il habitait le plus près possible d'elle, à quelques mètres de la basilique. Dans ses bouquins (1), il l'appelle la «belle amoureuse» parce qu'elle baigna de larmes et de parfum les pieds du Christ et les essuya de sa longue chevelure. Dans ses propos, l'auteur d'Amours barbares, homme à femmes et soudard de Dieu, qui confessait avoir attrapé la foi «comme la vérole», la décrit comme «la Brigitte Bardot de l'époque», et «terriblement bandante». Bernard de Clairvaux dut se retourner dans sa tombe. Encore que... N'écrivit-il pas que, «parce que nous sommes charnels, il faut que notre désir et notre amour commencent par la chair» ?
Rosalie Vetch, le grand amour de Claudel
Le grand poète chrétien n'est pas enterré là mais il est présent, à cause de celle dont la beauté le fit sombrer dans l'amour fou. Dans le Partage de midi, elle a nom Ysé. Dans le Soulier de satin, elle est Doña Prouhèze. Dans le cimetière, elle s'appelle Rosalia Scibor de Rylska. Elle partage sa tombe avec ses deux époux, mais le vers sur la croix polonaise est bien de Claudel : «Seule la rose est assez fragile pour exprimer l'éternité.» La rose est d'ailleurs là, même au coeur de l'hiver, grâce à un rosier planté sur la tombe.
Sur les pas de Bernard de Clairvaux, on ne s'attend guère à tomber sur le souvenir de Georges Bataille. Il est pourtant enterré dans le petit cimetière de Vézelay, au-dessus du vallon où le moine prêcha la deuxième croisade. Comme le cimetière est à sa manière romanesque, on peut débuter la balade en déchiffrant quelques tombes. Car, hors les gens du cru, ceux qui sont couchés là, au pied de la basilique Marie-Madeleine, furent souvent des imprécateurs, des dérangeurs de conscience ou des frôleurs d'abîmes. La tombe de Bataille est difficile à trouver. Une dalle sombre et nue, un nom presque effacé. Revanche de la vacuité sur celui qui fit de l'érotisme une théologie d'une noire incandescence.
un homme de vérité, le philosophe-imprécateur
Christian Zervos qui dirigea la revue des Cahiers d'Art de 1926 à 1960. Nous essayons de reconstituer l'intégrale de cette collection. Avis aux amateurs de trouvailles. Si vous découvrez, au hasard de vos ballades de chineur, un exemplaire de cette revue mythique, faites-nous signe. (À la fin de l'article, un document de deux pages recense les numéros que nous avons déjà...)