Le fait et le signe - Le rivage des Syrtes - Julien Gracq

Publié le par kate.rene

jg.pngRaconter le livre de Julien Gracq "Le rivage des Syrtes" est un leurre tout comme la trame de son histoire. Dans un pays imaginaire, aux confins de ses frontières méridionales, un bras de mer sépare son territoire d'avec celui d'un autre pays " ennemi". En fait, le pays manifestement chrétien a pour "seigneurie" Orsenna et l'autre pays, manifestement non chrétien, s'appelle le Farghestan..., qui restera un mythe plus qu'une réalité, une terra incognita. Les terres désolées à la frontière s'appellent les Syrtes, gardées par une forteresse en ruine, l'Amirauté, " elle apparaissait comme une puissante et lourde masse grise, aux murs lisses percés seulement de quelques archères, et des rares embrasures de canons. La pluie cuirassait ses dalles luisantes. Le silence était celui d'une épave abandonnée... Une atmosphère de délaissement presque accablante se glissait dans ces couloirs vides où le salpêtre mettait de longues coulures. Nous demeurions silencieux, comme roulés dans le rêve de chagrin de ce colosse perclus, de cette ruine habitée, sur laquelle le nom, aujourd'hui dérisoire d'Amirauté, mettait comme l'ironie d'un héritage de songe."


Depuis trois siècles, les deux pays sont réputés être "en guerre", mais rien ne se passe. Rien. Ce Rien constitue une des clefs de voûte de cet édifice littéraire. De ce Rien naîssent l'inertie et le désoeuvrement, sorte d'ensablement progressif des hommes et des idées, contrairement à la "la salle des cartes" : "Ce qui frappait d'abord dans cette longue salle basse et voûtée, au milieu du délabrement poussiéreux de la forteresse démantelée, était un singulier aspect de propreté et d'ordre, - un ordre méticuleux et même maniaque - un refus hautain de l'enlisement et de la déchéance, une apparence à la fois fastueuse et ruineuse de rester toute seule au port d'armes, un air surprenant qu'elle gardait sous le premier coup d'oeil, au milieu de ce décombre, de demeurer obstinément prête à servir."


Dans ce climat d'Attente, lourd, poisseux et lent, la transgression de l'interdit constitue un dérivatif, une quête, presque une tentative de découverte de l'Autre, ou du moins la matérialisation physique de l'ennemi! "Orsenna et le monde habitable finissaient à cette frontière d'alarme, plus aiguillonnante encore pour mon imagination de tout ce que son tracé comportait de curieusement abstrait ; à laisser glisser tant de fois mes yeux dans une espèce de conviction totale au long de ce fil rouge, comme un oiseau que stupéfie une ligne tracée devant lui sur le sol, il avait fini par s'imprégner pour moi d'un caractère de réalité bizarre : sans que je voulusse me l'avouer, j'étais prêt à doter de prodiges concrets ce passage périlleux, à m'imaginer une crevasse dans la mer, un signe avertisseur, un passage de la mer rouge. Très au delà, prodigieux d'éloignement derrière cet interdit magique s'étendaient les espaces inconnus du Farghestan, serrés comme une terre sainte à l'ombre du volcan Tangri,..."


Le décor est planté, l'histoire peut commencer,... Un événement apparemment anodin, sa récupération et les réactions paranoïaques qui en découlent dans l'inconscient collectif, mèneront progressivement le lecteur au dénouement... Tout le long de ce récit oppressant, la poésie est toujours présente, immortelle, salvatrice, comme contrepoint de la folie destructrice des hommes, comme le bien et le mal, comme le beau et le laid. 

 

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Publié en 1951, ce roman reçut le prix Goncourt, que Julien Gracq refusa. 

Il reste cependant un monument de la littérature française du XXè siècle. 

 

Le rivage des Syrtes Julien Gracq Éditions José Corti

 

Certains ont avancé la thèse d'un plagiat du roman de Dino Buzzati "Le désert des Tartares" écrit en 1940, dont la traduction française est de 1949. 

 

René lisait le livre pour la seconde fois, à haute voix, pour me le faire découvrir. Il a écrit ce texte ce matin en attendant le lever du soleil.

 

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www.jose-corti.fr

 

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