Le voyage énigmatique tic tac
Dimanche 30 mai – J -1
Depuis dimanche dernier, je sais qu’une surprise m’attend. René m’a concocté une série d’énigmes que je dois déchiffrer pour connaître les étapes de notre périple. Voici donc la première liste sur laquelle j’ai dû réfléchir :
01 – Il est mort en 2001
02 – Le rêve américain
03 – Démarche obsessionnelle voire de voyeurisme
04 – Il aimait faire du polo
05 – Je crois que sa maison comportait 30 chambres
06 – Celui de la guerre n’est pas autant bordé d’eau
07 – En juin elles accompagnent le promeneur solitaire
08 – Les ducs de Bourgogne pourraient nous y accueillir et même nous inviter. Encore faudrait-il que je les contacte.
09 – Le Manuscrit de la Mer Morte est le dernier en date
10 – Lorraine et Franche-Comté se sont réconciliées
11 – Le sourire de la montre est notre rendez-vous
12 – Dans le bateau ou dans l’assiette, il faut savoir les tendre
13 – Les phoques ont disparu de son port
14 – Elle ne va même pas s’en apercevoir (dixit Soph et Thom)
15 – La cérémonie du thé acrylique
16 – Son limon n’est pas celui de l’Yonne
17 – La rudesse de l’hiver n’altère pas sa patience
18 – LMEABDL
19 – Au depart du chemin sa disparition m’a beaucoup attristé
20 - Son tour n’est pas aussi célèbre,mais on peut le faire toute l’année......
21 - Un coté est pointu, un autre arrondi...
Écrivain du rêve, pourquoi américain ? Il est beaucoup question d’eau. Lac ou rivière bordés d’un sentier, limon , le bateau ou voilier, le port… Morts en 2001 : Robert Ludlum, Georges Harrison, Anthony Quinn, John Lee Hooker, Jack Lemmon, Le Dr Barnard, Isaac Stern, Morris, …???????? Yan Pei-Ming, peintre, acrylique, chine thé ming, marco polo, Dijon, agey, sentier bordé d’eau, 2 heures moins 10, reunion du 6 juin pour ballade à Vézelay (RV à 2 heures moins 10 du matin) ? Livre de Clara Arnaud “Sur les chemins de la Chine) à Vézelay le 5 juin au soir ? Les reveries du promeneur solitaire de JJ Rousseau (Dijon). Les chemins de Compostelle. Rostro???
Après un premier corrigé, il s’avère que j’ai tout faux, sauf pour le numéro 6 et qu’il s’agit bien de sentier. J’avais eu un autre indice, le mercredi ou le jeudi où René s’était dit “très très occupé aujourd’hui” : “Je suis allé aux Putes”. Ça ne m’avait pas vraiment rassurée mais puisqu’il me l’avouait…
J'ai tourné en rond toute la semaine. Jeudi, j’ai reçu en chronopost une invitation de M. Valer pour visiter la manufacture Jaeger Lecoultre. Je n’y ai pas fait attention plus que cela, trouvant toutefois abusif d’envoyer de la pub par des moyens aussi coûteux. Puis mon esprit matinal naturellement lent s’est mis en route. Le sourire de la montre de l’Énigme, le sentier (Le Sentier du lac de Joux), le chemin, etc. J’ai abandonné l’hypothèse vézelienne pour me consacrer à la suisse. Un email de René me donnant quelques precisions me confortait dans mes trouvailles
01 – Il est mort en 2001, à Rossinière , il s’agit de Balthasar Kłossowski, né en 1908
02 – Le rêve américain n’a rien à voir avec tout çà….
03 – Démarche obsessionnelle voire de voyeurisme, Balthasar Kłossowski,tout peintre figuratif qu’il fut, donnait à ses modèles des positions ambigues…
04 – Il aimait faire du polo, en fait, petit clin d’oeil de nature évocatrice.
Jaeger LeCoultre, évidemment, qui créa la Reverso pour que les joueurs de polo aux Indes n’endommagent pas leurs montres...
05 – Je crois que sa maison comportait 30 chambres : le chalet de Balthus
06 – Celui de la guerre n’est pas autant bordé d’eau : Le Sentier, donc, siège de la Manufacture
07 – En juin elles accompagnent le promeneur solitaire, les narcisses apparaissent au début de,juin. Il y a déjà longtemps, René m’a parlé du chemin des narcisses, au bord du Lac de Genève
08 – Les ducs de Bourgogne pourraient nous y accueillir et même nous inviter. Encore faudrait-il que je les contacte. Ah Ah, voilà bien des chatelains difficile à contacter…
Les Orivel, bien sûr
09 – Le Manuscrit de la Mer Morte est le dernier en date, mais celui là nous est moins proche, mais découvrir un manuscrit et le faire revivre, n’est ce pas tout aussi excitant….
Le Manuscrit de Timothy Shaw sur les écrivains du Léman
10 – Lorraine et Franche-Comté se sont réconciliées, un simple malentendu est souvent source de conflits inutiles et vains.
11 – Le sourire de la montre est notre rendez-vous, 10h sera notre heure de rencontre et non 22h
12 – Dans le bateau ou dans l’assiette, il faut savoir les tendre
C’était les filets, j’avais identifié les perches. Il s’agit des filets de perche, spécialité du lac de Joux et du Léman.
13 – Les phoques ont disparu de son port, SF naturellement, trop facile, mais son port est plus petit.
14 – Elle ne va même pas s’en apercevoir (dixit Soph et Thom), A confirmer
15 – La cérémonie du thé acrylique, mélange d’activités bien prisées du N°1.
L’épouse de Balthus est japonaise...
16 – Son limon n’est pas celui de l’Yonne, bien qu’il s’agisse aussi d’un fleuve
17 – La rudesse de l’hiver n’altère pas sa patience, celle du paysan coincé à la ferme au cours des longs mois d’hiver et qui, dans la vallée de Joux, s’employait à rechercher les fameuses «complications» horlogères lorsque les champs et les bêtes hibernaient.
18 – LMEABDL
La Ma Es A Bo du L
La Manufacture Est Au Bord Du Lac !
19 – Au depart du chemin sa disparition m’a beaucoup attristé
Je l’ai appris récemment et ne pourrai pas te le montrer
20 - Vézelay !! il n’y a pas que Vezelay…..
LA SUISSE !!!!
Il me reste encore beaucoup à découvrir. Nous partons lundi pour une première destination inconnue, et je ne connais pas non plus la date du retour. Pour la valise, c’est un peu compliqué, mais je crois que je pourrai parer à toutes les eventualités.
Dimanche 30 mai - J -1
Timo et Maryse sont venus boire un peu de crémant. René dort, Vivaldi joue, nous avons fait presque deux yams. Rien de nouveau sous le soleil, voilé aujourd’hui, de notre sweat (ou sweet...) home. Ah, si ! nous avons exploré le grenier qui a, comme dirait l’agence immobilière du coin, de beaux volumes et un fort potentiel.
Lundi 31 mai – Jour 1
Réveil très tôt ce matin, 8 heures 45. Nous attendons Laurent Carlier et Marco qui doivent démonter les rampes de la mezzanine. Après le café, nous avons rangé les livres, recouvert table et canapé, écarté les objets fragiles.
Nous sommes sur la route. Il est 11 heures 15. Ce dont je ne devais même pas me rendre compte : les fausses directions qu’allait prendre René à chaque embranchement... pour me perdre (mais était-ce bien indipensable ?). Eh bien c’est arrivé au premier carrefour. On est sur la bonne route ? Non. Il fallait prendre Avallon au départ de Vézelay et on a pris par Sermizelles. Il m’a fallu 30 secondes pour poser la question…
Deuxième embranchement : Dijon ou Besançon ? Je croyais Dijon, mais non.
Première histoire. René avait téléphoné à Marie-Ange effectivement. Malheureusement, elle s’est gravement endommagé l’épaule. De plus, François revenait du Maroc vendredi et repartait lundi au Soudan. Donc les ducs de Bourgogne dont il était question dans l’énigme, c’était bien eux. Mais étape supprimée pour raisons techniques.
Second embranchement : Genève/Lyon ou Besançon. J’aurais parié pour Genève, mais ce fut Besançon. Puis une nouvelle fois Besançon ou Genève. Ah ! tout de même Genève, mais tous les chemins y mènent, c’est bien connu. J’ai entamé à haute voix la lecture du Rapport Gabriel de Jean d’Ormesson et René s’impatiente quand je ne vois pas que nous traversons le Doubs, puis la Loue. "Tu pourrais aussi faire du tourisme", me dit-il. Je finis donc mon chapitre et repose le livre.
Alors que j’attendais la prochaine aire d’autoroute pour faire une halte déjeuner, René s’engage sur la bretelle Lons-le-Saunier, puis un peu plus loin dédaigne la direction Lausanne pour toujours Lons-le-Saunier… Mais où allons-nous ??? Heureusement, au rond-point, il n’a pas pris la direction “Maison de retraite” pour m’y laisser… Itinaire bis, Lyon Valence ?? Par une petite route nous avons atteint notre première étape : le restaurant La Fontaine. Un petit restau, genre routier première catégorie ; au menu : terrine au vin jaune, truite au Savagnin, fromage et dessert. Extraordinaire Savagnin 2003. Pendant le repas, j’en ai appris un peu plus sur l’Énigme.
Bourgogne et Franche-Comté se sont réconciliées. Pour ceux qui ont suivi, nous nous étions un peu fâchés avec M. Valer, bijoutier de son état, Nancy, concessionnaire Jaeger-LeCoultre. Les échanges téléphoniques de René avec ce monsieur furent nombreux et remontent un mois ou deux pour obtenir cette invitation à la vallée de Joux, fief de JL. Monsieur Valer fut très satisfait que ce “malentendu” se résolve finalement aussi bien. Sa seule erreur fut d’envoyer à notre adresse ce chronopost malencontreux qui me permit de résoudre une partie de l’Énigme avant l’heure. Au deuxième verre de Savagnin, j’ai eu droit à une sous-énigme :
“Quand je suis allé aux Putes, j’ai trouvé un stylo et un APh laissé depuis longtemps à l’abandon à la Pompe."
"Le carton cache le reste et éclaire d’un jour nouveau l’ensemble. Le porte-monnaie accompagne les pages d’un road-movie circulaire à la recherche du temps perdu. Ici les morts ont la parole et les mots leur donnent le goût de l’immortalité.”
Suit un plan du lac de Genève avec quelques villes/points de repère.
En entrant dans la voiture, j’ai eu le droit d’ouvrir le fameux carton d’archive dont je n’ai pas encore parlé mais dont je connais l’existence depuis quelques jours. J’ouvre le carton. Bandeau sur les yeux, je dois deviner ce qu’il contient.
1er objet : j’identifie immédiatement le porte-monnaie dont il est question plus haut. C’est le porte-monnaie du grand-père de René qui a toujours servi à garder l’argent suisse. Il contient environ 40 CHF. Je l’ai vu pour la première fois en 2006 lors de notre premier voyage au bord du lac de Joux.
2ème objet : tiens donc ! un livre. J’ai tout de suite donné la bonne réponse : le Routard de la Suisse, mais n’ayant pas trouvé à la dernière page la carte qui y est toujours collée, je suis partie sur une autre piste jusqu’à ce que René ait pitié de moi et me ramène à ma première idée.
3ème objet : le petit Leica compact (APh, appareil photo) qui était depuis au moins 6 mois en réparation rue de la Pompe (ah ! la sous-énigme), pas loin de l’avenue Foch, là où sont les P… de luxe (ah ! la sous-énigme).
4ème objet : un classeur à 4 anneaux : c’est le manuscrit de Timo que j’ai cherché depuis jeudi pour le mettre dans la valise…. Subtilisé depuis un certain temps je suppose, par mon organisateur de voyage.
Nous y voyons déjà plus clair, non ?
À la sortie de Foncine-le-Bas (avant Foncine-le-Haut), nous venons d’enjamber la Saine, qui n’est décidément qu’un petit torrent sans envergure.
Venons de quitter Mouthe, l’endroit le plus froid de France où les températures peuvent descendre à – 40°.
Champs de gentianes. Proverbe paysan du coin, “Pus qu’la gentiane est haute, pus qu’y’aura d’la neige”. La hauteur de la gentiane déterminerait la hauteur de la couche de neige de l’hiver d’après. Immensités de sapins, de torrents, troupeaux de vaches milka avant la couche de peinture bleue. Nous avons passé la frontière française sans nous en rendre compte. Suit un no man’s land d’environ 10 kilomètres. On remarque le passage de la frontière suisse au changement de qualité de l’asphalte. 1200 mètres, 8°5, la FM affiche Traffic off. Seule musique, les clochettes des vaches. A-y-est : On capte La RSR (Radio Suisse Romande). Les téléphones nous informent qu’on vient de changer d’opérateur. Par une route de montagne très peu fréquentée, nous arrivons à Le Sentier. Nous passons devant la nouvelle Manufacture Jaeger LeCoultre, immense, pour rendre visite à M. Jacot, horloger. Mais c’est fermé le lundi. Nous achetons une bouteille de whisky pour agrémenter nos soirées yam (piste, dés et marques nous ont suivis jusqu’ici). Et comme nous recherchons également une prise femelle pour monter une lampe à Vézelay, nous entrons dans une boutique d’électro-ménager. Diable (encore lui) ! Qu’avons-nous fait là ! Près de la caisse trône l’objet de toutes nos convoitises : la Jura Impressa dont il est question dans Millenium. C’est la machine à café de Lisbeth Salander. Comme on ne le fait pas dans les quincailleries françaises, on nous offre un café. On nous présente la dernière née des Jura. Magnifique. Elle est rouge. Elle utilise le café moulu ou le café en grains. Elle évacue seule les marcs usagés. Et j’ai cassé la Bodum juste avant de partir. C’en est trop.
Elle est dans le coffre de la voiture, actuellement garée devant l’hôtel Bellevue, le bien nommé puisqu’il offre une magnifique vue sur le lac de Joux. Nous nous y étions arrêtés en 2006 lors de notre premier voyage dans ce coin magique. Au fond les sapins. Comme musique, les cloches des vaches et les cris des cols-verts. La chambre est dans une nouvelle aile de l’hôtel, toute neuve. C’est superbe. Dans le tiroir du bureau, à côté de l’Ancien Testament, deux catalogues JL, l’un en français, l’autre en allemand et un Blancpain.
Apéro yam dans la chambre avec vue, puis repas (n° 12 de l’Énigme) : filets de perches. La patronne de l’hôtel, Dalila, est très sympathique, on discute de la grosse montre JL, celle que nous convoitons depuis longtemps et qui n’est “pas à vendre”. Il paraît qu’elle peut, elle, nous en avoir une… Retour à notre chambre où nous continuons notre partie de YAE. Nuit un peu agitée, entrecoupée par la pleine lune, le réverbère, les couinements des canards ; Au lever du jour, la brume descend des montagnes pour envahir progressivement le lac. Nous quittons à regret ce lieu magique, en y oubliant un appareil photo… Pas grave, depuis notre arrivée nous semons quelque chose à chaque étape mais nous sommes rattrapés à l’étape suivante et retrouvons ce que nous avions oublié.
Le sourire de la montre est notre rendez-vous. 10 heures 10. Pas le temps de traîner. Nous retournons voir M. Jacot à qui je confie ma Reverso pour la faire nettoyer avant notre visite à “La Grande Maison”. Dans la vallée de Joux, c’est ainsi qu’on nomme la Manufacture Jaeger LeCoultre. La Grande Maison : 27000 m2 d’ateliers, de bureaux, de couloirs, d’escaliers où travaillent dans le calme et la bonne humeur environ 1200 personnes. Sur le parking visiteurs, des pancartes “Valer, Nancy” nous confirment que nous ne nous sommes pas trompés de jour. Un vigile “sécurise” les lieux. Nous entrons par un sas de deux portes. Nous sommes les premiers. Dans le salon, on nous donne badges et blouses, on nous sert un café, on nous présente le coffre fort à 2 millions d’euros. Tout autour, une collection d’Atmos, dont une en marquetterie reproduisant un Klimt (10 essences de bois, rien que pour un oeil de la taille d’un petit pois). Un jeune commercial qui me fait penser à Nico commence à nous présenter LA Maison. Tout au long de la journée, nous constaterons à quel point le personnel a “l’esprit d’entreprise”. Tous sont fiers d’appartenir à cette aventure. Tout est fait aussi pour les rendre fiers : photos et noms sur chaque atelier, chaque bureau. Chaque ouvrier est mis en valeur, du plus humble au plus chevronné, tout au long de la visite.
Pas de paranoïa : nous aurions pu cent fois piquer quelques platines de montre en or, voire un réveil, voire une montre, voire un diamant. Notre guide nous surveille sans doute du coin de l’oeil mais ce n’est pas visible. Nous sommes allés de merveilles en merveilles, de trucs “qui tuent” en trucs “qui tuent”. Les plus remarquables pour moi : l’atelier des grandes complications avec le montage d’un tourbillon sphérique (100 pièces pour un poids de 0,3 grammes, l’atelier de sertissage avec les platines recouvertes de “tombé de neige”, diamants posés l’un à côté de l’autre dans un désordre apparent et la marquetterie tricolore (diamant, rubis et saphir), l’atelier d’émaillage et ses reproductions personnalisées (nous avons vu une platine émaillée avec reproduction d’une photo de chien. Il devait être bien, le chien, vu le coût d’une telle exigence), l’atelier de gravure. Après un repas chez les concurrents (Audemar Piguet ou Blancpain) au Brassus, restaurant des Horlogers, nous reprenons la visite et voyons enfin l’atelier des Atmos. Je n’en dirai pas plus. Des rayons entiers où respirent, serrées comme des harengs toutes les Atmos depuis leur création, aux environs de 1928. Puis le petit musée JL, puis retour au salon où nous rendons badges et blouses avant d’enfiler des gants pour examiner les dernières collections sorties des ateliers. La boîte des trois mythiques (la triptyque, le giro tourbillon et la répétition minute) vaut à elle seule 1,8 millions d’euros !!! René louche quand à lui sur le duomètre à seconde foudroyante qui ne vaut que 35000 euros... Nous repartons chacun avec un sac contenant deux livres et un oeilleton d’horloger et rien d’autre.
Petit détour à l’hôtel pour récupérer l’appareil photo, arrêt chez M. Jacot pour récupérer ma montre qui a retrouvé une seconde jeunesse avant de prendre une petite route de montagne bordée de murets en pierre. Nous franchissons un col et plongeons sur le Lac de Genève. Paysages immenses. Morges, Ouchy… je ne connais pas notre destination… Lutry. Hôtel Le Rivage, au bord d’un petit port de plaisance. Superbe. Chambre digne des hôtels mythiques dont il est question dans le manuscrit de Timo. La chambre est dans un angle de l’hôtel. Les deux ouvertures offrent une vue panoramique sur le lac. Nous nous installons sur le balcon pour jouer. En-dessous de nous, la Suisse continue sa vie tranquille. Peu ou pas de bruit, juste le claquement des rames d’une grande barque, rythmé par un barreur qui guide l’entrée au port.
Repas grandiose au restaurant de l’hôtel. Inévitables filets de perche pomme vapeur (beaucoup plus raffinés qu’hier) puis une pièce de filet de boeuf avec ses petits légumes et sa verrine de macaronis frais aux truffes. ÉNORME. Petit soufflé à l’absinthe pour finir. Je m’endors au son de la voix de René qui nous lit un chapitre de la vie de Casanova. Nuit encore agitée, les excès, l’excitation….
Mercredi, J 3
Louise Bourgeois est morte, c’est la Une du Temps, canard suisse intellectuel. L’autre nouvelle, Federer a perdu, c’est la Une de 24 Heures, le journal populaire du canton de Vaud. C’est avec un café Nespresso (siège à Lutry) et ces deux nouvelles que René me réveille après avoir déjà fait un tour au bord du lac.
L’Énigme s’est enrichie hier soir avec ça :
“Célèbre, mais il ne faut pas rater son rendez-vous.”
Et ça :
“L’énigme a deux réponses”.
Vous comprendrez que ça ne m’apprend rien. Je m’arrête donc là pour ce matin.
Je connais maintenant la signification de la dernière énigme. “Célèbre, mais il ne faut pas rater son rendez-vous.” René lui-même ne pouvait imaginer la portée de ce qu’il m’avait dit.
Le rendez-vous était avec un des célèbres vapeurs qui sillonnent le lac : Le Vevey (mis en circulation en 1907). Nous étions sur l’embarcadère pour aller “voir les vapeurs” quand celui-ci est arrivé. Après quelques photos, je m’apprêtais à faire demi-tour mais je fus invitée à monter à bord. Nous embarquions pour une croisière gourmande qui allait nous mener jusqu’à Chillon à l’extrême est du lac et retour, trois heures de navigation avec arrêts pour charger et décharger les passagers. Nos deux places étaient réservées côté fenêtre dans le magnifique salon d’époque, en bois clair marqueté. Un monsieur distingué, moustache subliminale, cheveux blancs pas très courts, lisait à la même table le Herald Tribune, Le Monde et quelques autres quotidiens. René lui donna immédiatement le surnom d’«Aschenbach», l’un de nos héros favoris de Mort à Venise. Je lui ai trouvé une certaine ressemblance avec Jean d’Ormesson. En passant la commande, nous avons demandé des précisions sur le Vevey à la serveuse ; c’est alors que le monsieur distingué a commencé à nous donner des détails sur les vapeurs, nous contant qu’il avait été mousse sur l’un d’eux quand il était très jeune, nous détaillant leur histoire et celle de la Compagnie Générale de Navigation (CNG) du lac Léman. Après ce cours extrêmement documenté, nous confions à ce monsieur le surnom que nous venions de lui donner. Il nous dit que ce n’est pas si éloigné de son nom à lui : il s’appelle Éric Hintermann. De fil en aiguille, nous apprenons qu’il est journaliste diplomatique, qu’il est parti vers l’âge de 18 ans dans le Wisconsin, puis Chicago, qu’il a travaillé avec Mitterand, qu’il a oeuvré et travaille encore à la construction de l’Europe. Il prend le bateau régulièrement pour écrire loin de l’agitation terrestre. Il fait même parfois le tour du lac sur un autre vapeur, La Suisse. Nous avons passé presque deux heures en sa compagnie, avons échangé nos adresses mail et nous sommes promis de nous revoir. René dit toujours qu’il n’y a pas de hasard, qu’il n’y a que des rendez-vous. Pour cette fois particulièrement, il ne fallait pas manquer celui-ci.
Rentrés à Lutry, nous avons repris la voiture, direction Montreux. À La Tour de Peilz, arrêt devant l’hôtel Bon Rivage, toujours en bordure de lac. Chambre mansardée au 3e étage, avec vue, encore. Superbe.
À quatre heures, voiture à nouveau. René a mis mes baskets dans son sac. J’en ai déduit assez facilement que nous attaquions le point 7 de l’Énigme. Le chemin des narcisses. Grimpette par une petite route en lacets au milieu des sapins et des narcisses. Les fermes et leurs toits en bois, les biquettes, les vaches et leurs éternelles clochettes. Nous avons croisé des noms qui me sont familiers pour les avoir rencontrés dans les écrits de Timo : Glion, le château du Châtelard, mais nous suivions surtout les pancartes indiquant “Les Avants”. Nous avons atteint le n° 19, que René voulait me montrer et dont la disparition l’a tellement attristé. C’était l’hôtel de Sonloup. Quel dommage ! Le bâtiment existe toujours mais il ne semble plus occupé. Il domine le lac, tout autour, des champs de narcisses,quelques taches de pissenlits, des pieds de gentiane, et des vaches. Derrière, les Alpes. Autour, le silence. Nous nous sommes arrêtés sur le parking, avons remis à demain la marche sur le chemin des narcisses (on nous prévoit une météo d’enfer). L’étape du soir, d’où j’écris, c’est l’Auberge de Cergniaulaz. Nous sommes seuls, sans compter le personnel. Yam avec d’abord un thé puis 2 décis de vin blanc. Les patrons (elle ancienne oenologue et lui ancien architecte) deux mitrons et une serveuse prennent leur dîner fait de spaghettis bolognaises à la grande table à côté. Nous changeons de salle pour manger. Somptueuses assiettes de consommé aux girolles, puis pintade au gingembre et aux 5 épices, petits légumes et gratin dauphinois. En dessert, soufflé aux clous de girofle et absinthe. Le tout arrosé de Cornalin, un cépage du Valais usurpé paraît-il par la Vallée d’Aoste. Ambiance chalet suisse mais cuisine digne de grandes tables françaises. L’auberge est recommandée par le Routard et le Gault et Millaud. René est au volant pour le retour, mais c’est la voiture qui prend seule les virages. Nous retrouvons notre chambre de l’hôtel Bon Rivage et nous écroulons après une courte lecture des aventures de Casanova.
Jeudi 3 juin – J4
Décidément, le chemin des Narcisses à pied sera pour une autre fois. Chaussures pas adaptées, sous-bois vraisemblablement trop humide. Nous prenons donc la voiture jusqu’à la gare de Montreux, la laissons au parking de la gare et montons dans le petit train touristique (le MOB) qui mène à travers la montagne jusqu’à Gstadt. La voie serpente d’une vallée à l’autre, toujours au milieu des sapins, des vaches, des chalets en bois et des sommets alpins encore enneigés. Le soleil est là qui embellit tout. Nous repassons aux Avants, revoyons de loin les champs de narcisses, la neige de mai, comme on les appelle ici puis arrivons au but de notre voyage : Rossinière, la dernière patrie de Balthus (n° 1, 5 et 15 de l’Énigme). Nous sommes les seuls à descendre. Juste au-dessus de la gare se dresse le Chalet. Magnifique et immense construction en bois recouverte d’inscriptions à la gloire de dieu. Un méchant toutou aboie, nous rappelant malheureusement que cet endroit est totalement privé, toujours occupé par la belle Comtesse Setsuko Krossowski de Rola, la veuve de Balthus. Il fait grand beau et chaud. Nous remontons péniblement la rue principale de Rossinière, poussons jusqu’à la Tour qui fut une prison et n’abrite plus maintenant que l’horloge, puis la petite église. Redescente vers l’Hôtel de Ville où nous déjeunons sur la terrasse. Petit détour à la Chapelle Balthus, lieu à la mémoire du grand homme. Photographies et vidéo (Repentir : entretiens de Balthus avec sa fille Harumi) avant de redescendre vers la gare. Retour aussi magique que l’aller. Montreux-Vevey au milieu des travaux. À Vevey, quelques courses, arrêt dans une librairie. René pousse jusqu’à l’office du tourisme pour récupérer un petit livre sur les écrivains du lac. Il apprend que la conservatrice du musée de Vevey serait intéressée par l’ouvrage de Timo. Nous irons peut-être la voir demain. Nous reprenons la route à travers les vignes jusqu’à l’étape du soir : Le Baron Tavernier. C’est un hôtel perché sur les flancs de la montagne qui, évidemment, domine le lac. Yam sur le balcon puis repas en contrebas. Grand ! Ravioles aux asperges vertes, tartare au Cognac et brochette d’agneau confit. À travers les protections vitrées de cette terrasse accrochée au-dessus du vide, le lac et la montagne changent de couleur à mesure que le jour tombe. C’est envoûtant. Retour à la chambre 22, yam… et dodo.
Vendredi 4 juin – J 5
Il faut bien rentrer. Rentrer à Vézelay n’est pas une punition et c’est pour aujourd’hui. Nous traversons les vignes à flanc de côteau en direction de Lausanne et Genève. Tout est propre. Je n’ai pas jeté par terre un seul mégot de cigarette pendant tout le séjour… Après un détour par le château de Rolle, nous faisons halte à Nyon pour déjeuner, La Rive, 13. En Suisse, les rues ne portent pas de noms de personnes. C’est simplifié à l’extrême. Tous les villages ont leur Grand’ Rue, la rue de la Gare, la ruelle de l’Orient, du Levant, de l’Est, la rue du Moulin, la place d’Église, la promenade du Bord du Lac, la rue des Murs, etc. Quant aux villages, Le Sentier, Le Pont, L’Orient, Enhaut, il est facile de les trouver sans GPS…
Nous reprenons la route vers Coppet où je veux absolument voir le tombeau alcoolique de la famille Necker-De Staël. La visite guidée n’est pas très fréquentée : nous sommes seuls. Nous en apprenons beaucoup sur cet endroit qui a hébergé tout ce qui compta autour du lac sous le “règne” de Germaine de Staël (Napoléon disait qu’il avait quatre ennemis : l’Angleterre, la Prusse, la Russie, et... Mme de Staël). Le château est toujours occupé par les descendants des Necker et deux lieux complètement privés sont interdits à la visite : le tombeau, justement, et une chapelle néo-gothique aménagée dans les étages. Nous achetons un opuscule racontant la vie de Mme de Staël. Je le commencerai à haute voix au départ de Coppet et lirai les dernières lignes en arrivant à Vézelay. Good timing. Retour par les cols du Jura. Nous postons les cartes postales in extremis avant la frontière.
Nous ne sommes pas en Europe et le douanier français, qui doit s’ennuyer, jette son dévolu sur nous. Qu’avez-vous à déclarer ? Moi, je pense bêtement chocolat, cigares ou autres babioles suisses. J’ai oublié la cafetière qui trône sur le siège arrière, recouverte par une couverture. Ouvrez le coffre, s’il vous plaît ! Tout est vidé, les deux sacs de la manufacture JL intriguent. Il faut raconter l’histoire. Et vos montres, où les avez-vous achetées… Place Vendôme qu’il répond le René sans se démonter. Bref, on en vient à la cafetière dont il faut retrouver la facture. Nous sommes conviés dans le bureau de la douane où nos sacs sont épluchés, porte-feuilles vidés, reçus de carte bancaire examinés à la loupe. Nous trouvons enfin le ticket de caisse de la cafetière. Le douanier se contentera de nous taper sur les doigts en nous rappelant qu’il faut déclarer tout ce qui dépasse 300 CHF… Et il nous laisse partir. Ouf !
Le reste est sans histoire, hormis une chaleur torride.
Nous avons retrouvé la Maison, fraîche et belle comme d’habitude.