Lecture (suite de suite de suite)
Avant-hier, pas de sortie : il y avait deux nuages dans le ciel, autant dire un temps de chien. On a lu chez nous. Hier, en revanche, les deux petits stratus avaient disparu et il faisait un temps de boeufs (remarquez comme la météo colle bien avec la ménagerie).
Nous avons donc exploré un deuxième rocher, celui que je nomme le dos du dragon, juste à côté de Portz Plouz, avec pour bagages une couverture, un oreiller (faut c'qui faut) et le Livre. Je ne peux m'empêcher de vous transcrire un nouveau passage illustrant l'opinion de Mangeclous sur les amours adultères :
(Salomon) ... En tout cas, moi, j'ai lu un livre Karénine. Oh comme je l'ai trouvé beau ! Ces deux si nobles, si poétiques qui s'aiment et tant pis pour le mari ! ...
(Mangeclous) ... Haha, un amant c'est plus poétique, vient de dire l'extrémité du vermicelle des vermisseaux ! Ah, messieurs, que vienne un romancier qui explique enfin aux candidates à l'adultère et aux fugues passionnelles qu'un amant ça se purge ! Ah, qu'il vienne, le romancier qui montrera le prince Wronsky et sa maîtresse adultère Anna Karénine échangeant des serments passionnés, et parlant haut pour couvrir leurs borborygmes et espérant chacun que l'autre croira être seul à borborygmer. Q'u'il vienne, le romancier qui montrera l'amante changeant de position ou se comprimant subrepticement l'estomac pour supprimer les borborygmes tout en souriant d'un air égaré et ravi ! ... Qu'il vienne, le romancier qui nous montrera l'amant, prince Wronsky et poète, ayant une colique et tâchant de tenir le coup, pâle et moite, tandis que l'Anna lui dit sa passion éternelle. Et lui, il lève le pied pour se retenir. Et comme elle s'étonne, il lui explique qu'il fait un peu de gymnastique norvégienne ! Et puis il n'en peut plus et il prie sa bien-aimée de le laisser seul pour un instant car il doit créer de la poésie à vers ! Et, resté seul dans le cabinet de travail parfumé, il est traqué ! Il n'ose aller dans le réduit accoutumé, car la mignonne Anna est dans l'antichambre ! Alors, le prince Wronsky s'enferme à clef et prend un chapeau melon et s'accroupit à la manière de Rébecca, ma femme qui, elle, ne prétend pas être une créture d'art et de beauté ! Et soudain, voici qu'arrive le mari de l'adultère, monsieur Karénine, qui a défoncé la porte de la rue ! Et alors la passionnée Anna lui dit qu'elle ne veut plus de lui, que le prince Wronsky et elle sont dans un ouragan et que lui, Karénine, est un mari dégoûtant et peu poétique ! "Le prince Wronsky, crie-t-elle, m'a ouvert les portes du royaume ! Ô chien de mari, ô jaune, ô fils de la pantoufle et du cataplasme, sais-tu ce que fait en ce moment mon trésor, mon aigle de passion ? Il crée des vers !" Et le prince Wronsky qui a mangé trop de melon et bu trop d'eau glacée est accroupi sur son chapeau melon ou plutôt sur son képi d'aide de camp et il s'y soulage et murmure le nom de sa maman avec infinie faiblesse et délectation ! Accroupi devant le piano, il frappe sur les touches et il joue un noctambule de Chopin pour couvrir d'autres bruits ! Voilà un roman selon mon coeur ! Et le mari, le pauvre mari Karénine, s'en va. Et Anna frappe et demande : "Cher prince Wronsky, avez-vous fini de créer ?" Et le prince répond : "Tout de suite, ma noble colombe, les vers ne sont pas encore finis." Et cinq minutes après, il lui dit d'entrer dans la chambre dont la fenêtre est grande ouverte. Et il n'y a plus de képi par terre, car il l'a enfermé dans la bibliothèque, ce charmant amant ! Et sur le tapis il a répandu des parfums ! Et il lui dit : "Ah, que c'est bon de créer de l'art ! - Oui, cher prince, répond l'adultère avec respect, ce doit être merveilleux ! - Oui, s'écrie le prince poète, il y a des moments où il faut que ça sorte !" Et l'idiote baise sa main si respectueusement. Enfin elle a trouvé un non-mari ! Un éternellement poétique ! Voilà, voilà le roman qu'il faut écrire pour les femmes et pour mes maudites filles qui sont tout le temps à regarder les officiers grecs !...
Ça ne vous donne pas envie de lire le reste ?