Les sacrifiés de l'Histoire - Stephan Zweig, Marie-Antoinette
Stephan Zweig - Les grandes vies - Collection Grasset (2010)
Deux Vies dans la tourmente de la Révolution française, deux symboles de "l'ancien régime" sont longuement décrits et souvent critiqués dans leur comportement ; décalés, négligents, inadaptés, insouciants, frivoles, égoïstes, irresponsables, etc., et inculte pour Elle. Ils vont régner sur la France pendant vingt ans jusqu'à leur destitution, leur procès précédant de peu leur décapitation.
Il s'agit de Marie Antoinette et de Louis XVI.
Dans le livre de Stéphane Zweig qui date des années 1930, Marie Antoinette, peu d'intervenants de cette époque sont épargnés. Peu sont dignes d'éloges.
Et pourtant, ce couple royal qui a à peine une trentaine d’années cumulées au début de son règne, est aimé, respecté, suscite toujours une certaine fascination sur le peuple, fascination qui durera jusqu'à la fin. Mais l'histoire est en marche en cette fin du XVIIIe siècle en France au cours de laquelle ces deux "héros" auraient pu agir autrement. Cet ouvrage passionnant qui se lit comme un roman d'aventures aux multiples épisodes aussi incroyables que véridiques (la fiction n'aurait pas pu faire mieux, commente Zweig), constitue encore à l'heure actuelle une référence historique incontournable. On constate rapidement qu'une sorte de fatalité poursuit le couple royal, aggravée par leur inertie et surtout leur négligence ; le roi part à la chasse un jour sur trois, en moyenne, Marie Antoinette ne pense qu'aux plaisirs, aggrave la dette de l'état avec les travaux de Trianon et ses constructions, genre Disneyland, du Hameau de Versailles, etc., etc.
Alors que le peuple a faim et que les idées de liberté au travers de la diffusion des écrits des philosophes, sont autant des signaux d'une époque en plein changement. Encore faut-il écouter. Encore faut-il entendre, encore faut-il s'informer. Mais l'insouciance pathologique de ces deux personnages précipitera leur perte, alors qu'en maintes occasions, ils auraient pu modifier, changer, inverser le cours de leur destinée... et celle de leurs contemporains, évitant cette "parenthèse" meurtrière et inutile de la "Révolution" et son cortège de conséquences historiques aberrantes comme l'arrivée de Monsieur Bonaparte au pouvoir... Une transition douce comme dans d'autres pays aurait permis à la France d'éviter ce bain de sang qui va durer vingt cinq ans. Mais les événements en ont decidé autrement. En 1789, le couple était totalement isolé non seulement du peuple, mais aussi du clergé et de la Noblesse et pis encore de la famille même du Roi, en particulier de ses deux frères et de son cousin, Philippe d'Orléans qui sera à l'origine des premiers soulèvements populaires et votera la mort du Roi en 1793. Quant à ces frères, émigrés dès les premiers coup de canons, ils ne feront rien pour sauver leur frère et belle sœur, car ils attendaient de prendre leur place depuis des années déjà. Ils devront attendre 1815 pour revenir, comble d'un des résultats de la révolution, au pouvoir, sous le nom de Louis XVIII pour le premier (le plus fratricide), puis huit ans après en 1823, sous le nom de Charles X..., puis en 1830, le fils de Philippe D'Orleans qui finira d'ailleurs sur la guillotine en 1793, montera sur le trône sous le nom de Louis Philippe. La boucle est bouclée.
Dans ces conditions d'isolement et d'adversité que le couple royal subissait en 1789, il était rigoureusement impossible, malgré toutes les tentatives de fuite ou d'évasion, de sauver sa tête. Et pourtant tout en n'étant pas coupables, ils étaient responsables de ce qui leur est arrivé.
Pendant quatre ans, la détention de Marie Antoinette sera une suite d'humiliations et d'infamies de la part de ses "geôliers" et son procès, une parodie de justice. Elle était condamnée d'avance, sans pouvoir se défendre. Mais c'est pendant cette période, que Marie Antoinette va acquérir sa position de grande Héroïne de l'Histoire que la postérité lui accordera. C'est pendant cette période que cette femme de trente cinq ans prendra toute sa dimension historique, au même titre que ses contemporaines, Marie Thérèse, sa mère, ou Catherine II de Russie, alors que rien durant son règne ne devait lui accorder une semblable situation. De cette vie insouciante de vingt ans sur le trône, cette femme montrera pendant sa captivité et pendant son procès, une telle dignité, une telle grandeur, vis-à-vis de l'animosité sauvage, bestiale et ignominieuse de ses accusateurs, que l'on ne peut que compatir, voire s'indigner, devant sa destinée.
Marie-Antoinette par Kucharski
Cette biographie est, comme celle du même auteur sur Balzac, un monument d'Histoire et de littérature. La perception de l'auteur, d'origine allemande, de cette periode de l'Histoire française nous permet de relativiser la perception des historiens français, soit royalistes, bonapartistes ou pro révolutionnaires. Leur impartialité est souvent mise en cause. Celle de Zweig n'est pas ambiguë et la plupart des intervenants de ces événements manquent singulièrement de Grandeur pour Lui...
À titre d’exemple : “Au coin de la rue saint Honoré, là où se trouve aujourd’hui le café de la Régence, un homme attend, brandissant son crayon, une feuille de papier à la main. C’est Louis D., une des âmes les plus viles en même temps que l’un des plus grands artistes de l’époque. Braillard parmi les braillards de la révolution, il sert aussi bien les puissants aussi longtemps qu’ils sont au pouvoir et les abandonne à l’heure du danger. Il peint Marat sur son lit de mort ; le huit thermidor, il jure emphatiquement de vider avec Robespierre “la coupe jusqu’à la lie”, mais le lendemain, lorsque se déroule la séance tragique, cette soif héroïque est passée et le triste héros préfère se cacher chez lui. Ennemi acharné des “tyrans” pendant la Révolution, il sera le premier à se rallier au nouveau dictateur, et, après avoir peint le Couronnement de Napoléon, il troquera son ancienne haine des aristocrates contre le titre de Baron. Type de l’éternel transfuge qu’attire la puissance, courtisant ceux qui triomphent, sans pitié pour les vaincus, il peint les vainqueurs à leur couronnement et les victimes sur le chemin de l’échafaud.”
À gauche, croquis de David "Marie-Antoinette conduite à l'échafaud"
Sur l’impartialité de Zweig ... et de René, je me dois d’ajouter ceci : Louis XVI n’était peut-être pas aussi nul que ces deux-là le disent. Ce fut aussi un homme de réformes, un érudit qui avait sa place au siècle des Lumières. Son seul défaut à mes yeux est de ne pas avoir été assez ferme pour s’imposer. Marie-Antoinette, petite fille gâtée, séparée brutalement de son cocon familial pour être jetée en pâture à une cour guindée et muselée par l'étiquette, et dans le lit d'un époux qui malgré des tentatives renouvelées ne réussira à en faire une femme que six ou sept ans plus tard... alors que le beau Fersen, amant de coeur et peut-être plus... Je leur trouve des excuses et je ne leur aurais pas coupé la tête.
Pour rafraîchir ses connaissances historiques, on peut lire aussi l’article de Wikipédia sur ce sujet...