"Liberté, égalité, fraternité" ou l'histoire du comte noir
A la veille de Noël, et précisément vers midi le 24 décembre, nous sommes allés à Clamecy. Un ciel gris et pluvieux nous accompagnait. La neige était absente. Le marché couvert de Clamecy se tient au pied de l'église Saint-Martin. Quelques étals étaient ouverts à des clients rares et pressés pour les achats de dernière minute. Nous avions commandé à un paysan deux poulets de ferme pour le repas (décalé) de Noël. Deux « beaux » poulets, tout en cuisse, « comme on n'en voit plus » nous précise notre vendeur qui les surnomme, les poulets « bicyclette », car ils courent sans arrêt dans la cour de la ferme, ce qui leur donne des cuisses de cycliste…
Passant devant la dynamique librairie de Clamecy, Le Millefeuille, nous n’avons pas pu résister d'y entrer. Parmi tous les livres proposés sur les présentoirs, un titre attira mon attention, écrit en gros caractères blancs sur fond rouge : Dumas. Nous étions en train de lire « Le collier de la reine », d’Alexandre Dumas, deuxième partie d’une grande fresque historique sur Joseph Balsamo, dit le comte de Cagliostro. En-dessous du titre, en plus petits caractères, le sous-titre : le comte noir.
Intrigué et intéressé, mais sans comprendre exactement si c’était un titre de cet auteur infatigable et prolifique, ou une biographie de l’écrivain et le livre étant ceint d’un bandeau « Prix Pulitzer 2013 », je n’ai pas hésité à le mettre dans notre panier à commissions.
Puis quelques jours après, ayant fini « Le collier de la Reine » (à lire ou à relire absolument), nous nous sommes immergés dans la France esclavagiste de la fin du XVIIIe siècle…, en découvrant la vie d’un héros français méconnu, oublié, délaissé, le général Thomas Alexandre Dumas, métis originaire de Saint Domingue (actuel Haïti) et père d’Alexandre Dumas (dit le père). Né en 1762 d’un père blanc, issu d’une noblesse ruinée, parti dans les colonies pour faire fortune, esclavagiste, et d’une esclave noire avec qui le père aura quatre enfants. Ce père « vendra » sa femme et trois de ses enfants et rentrera en France avec son fils, Thomas Alexandre dans des conditions typiquement romanesques et quelque peu dramatiques. Le jeune Thomas Alexandre a quatorze ans en débarquant sur la terre natale de ses « ancêtres », car son père est le comte Davy de la Pailleterie, mais qui a changé son nom lors de son séjour à Saint Domingue. Brillant et athlétique, le jeune garçon ne souffre pas de sa « négritude », bien au contraire, il est admiré, adulé même. Il embrasse la carrière militaire en changeant son nom. Il prendra celui de sa mère, Cénèse Dumas, qu’il ne reverra jamais, tout comme son île natale qu’il ne reverra non plus jamais.
Sa destinée le fera un des plus brillants généraux des « guerres révolutionnaires » à coté de Monsieur Bonaparte dont l’ascension politique vient de commencer. Il sera là lors de la première campagne d’Italie, essaiera de limiter cette guerre de pillage systématique du Général Bonaparte, car le Général DUMAS, du haut de son mètre quatre-vingt-dix est un soldat d’une grande bravoure, admiré par tous ses camarades, profondément républicain, respectant l’ennemi (autant que possible) et interdisant à ses soldats de piller, ce qui lui vaut des inimitiés. Monsieur Bonaparte en sera jaloux, lui le petit homme laid, ne supportera pas la franchise, voir l’impertinence de Dumas et finalement lors de son accession au pouvoir, Bonaparte le négligera et finalement l’abandonnera. C’est ce qui explique sans doute que ce personnage hors norme soit tombé dans l’oubli de la Grande Histoire telle qu’elle nous est parvenue (et réécrite) et racontée dans les livres sur Bonaparte (« cet imposteur » « cet usurpateur », comme il était dénommé en 1815 lors de la Restauration, lire ou relire le début du Comte de Monte Cristo, dont le personnage Edmond Dantès emprunte quelques traits au père de l’auteur).
Les lois raciales et esclavagistes du début de l’empire vont sceller le destin des noirs des colonies qui ne seront plus reconnus citoyens français et seront même dégradés en tant qu’officiers… "Liberté, égalité, fraternité"… On retrouve Monsieur Bonaparte, véritable verrue d’un des épisodes les plus noirs de l’Histoire de France, « la Révolution ». De l’espoir et de l’espérance de ce mouvement « humanitaire », et plutôt que de s’occuper d’une France appauvrie et affamée, les « révolutionnaires » n’auront de cesse de couper des têtes et de faire la guerre à l’Autriche et aux autres, permettant ainsi l’ascension d’un militaire le plus sanguinaire et le plus pilleur de tous, Napoleone Buonaparte.
Le général Dumas ainsi abandonné de tous mourra à quarante ans à Villers Cotteret devant son fils Alexandre qui a quatre ans, sa fille et sa femme, Marie Louise. Cette famille privée du père mènera une vie dans un grand dénuement matériel d’où émergera un des plus grands écrivains français, Alexandre Dumas, petit fils d’une esclave africaine…
Oublié de l’Histoire, renié par ses contemporains, après avoir été admiré, envié, jalousé, le Général Dumas reste le symbole, l’égérie de l’anti-esclavagisme et en même temps son martyre.
« Liberté, égalité, fraternité », il est plus facile de faire des formules lapidaires que de respecter des principes humains qui n’ont pas nécessité à être écrit si c’est pour ne pas les appliquer.
Dumas, le comte noir de Tom Reiss, Éditions Flammarion, 2013 ISBN 978-2-0812-9528-5
"Les fers brisés", seul monument actuel en mémoire du Général Dumas, Paris, XVIIème, place du Général Catroux. Oeuvre de Driss Sans-Arcidet, inaugurée le 4 avril 2009.
Une statue érigée en 1912 (voir en haut de l'article) a été fondue sous l'occupation en 1942.
Il n'existe pas à l'heure actuelle d'autre monument à la gloire de cet homme.
Ci-dessous, une caricature de Cham représentant Alexandre Dumas, l'écrivain, rappelant ses origines noires...