Misia, reine de Paris
C'était hier dimanche le dernier jour de l'exposition qui lui était consacrée au musée d'Orsay. Nous y sommes allés samedi.
"Une belle panthère, impérieuse, sanguinaire et futile" disait Eugène Morand, le père de Paul.
Misia boudeuse, artificieuse, réunissant des amis qui ne se connaissaient pas "pour les mieux pouvoir brouiller ensuite" disait Proust. Proust l'a peinte sous les traits de la princesse Yourbeletieff de Sodome et Gomorrhe
"...Misia, forte comme la vie chevillée en elle, avare, généreuse, mangeuse de millions, enjôleuse, brigande, subtile, commerçante, plus Mme Verdurin que la vraie, prisant et méprisant hommes et femmes, du premier coup d'oeil... Misia, aussi capitonnée qu'un sopha, mais, si vous aspiriez au repos, un sopha qui risquait de vous envoyer au diable. Insatisfaite Misia dont les yeux perçants riaient encore que déjà la bouche faisait la moue. Chez cette gourmande écoeurée, le dégoût suivait le ravissement, et le non, le oui, comme le tonnerre, l'éclair ; avec elle, il fallait faire vite." Paul Morand (Venises).
Misia, née Gobebska en 1872 en Pologne, épouse Thadée Natanson, puis Alfred Edwards, puis José Maria Sert. Les trois photographies ci-dessous : Avec Natanson, avec Edwards, avec Chanel et Sert
Elle est un peu enveloppée, assez inculte (elle ne lit pas), mais son magnétisme lui vaut d'attirer les artistes de son temps. "Elle excitait le génie... rien que par la vibration de son être" (Paul Morand, Venises)
Pour emprunter un mot à D'Ormesson, que lui-même avait emprunté à Théophile Gautier (Carmen), "Tous les hommes en sont fous" :
Fauré (son professeur de piano), Mallarmé (qui lui offrait des poèmes sur des éventails), Vuillard (qui fut son amant), Vallotton (qui fut sont amant), Toulouse-Lautrec, Marie Laurencin, Bonnard, Maillol, Debussy, Ravel (qui lui dédia sa valse et écrivit pour elle Le cygne, Satie (qui lui dédia les Trois morceaux en forme de poire, Man Ray, Coolus (qui fut vraisemblablement son amant), Renoir, Diaghilev (qui dit d'elle qu'elle était la seule femme avec qui il aurait pu vivre), Cocteau, Picasso, Poulenc, Lifar, Balanchine, Stravinsky, Proust (qui fit d'elle la princesse Yourbeletieff et s'en inspira peut-être pour Madame Verdurin), Octave Mirbeau, Gide, Colette, Jacques-Émile Blanche, Reverdy, etc. :
Ils ont composé pour elle, l'ont peinte ou aimée, lui ont dédié des oeuvres, ont écrit sur elle. Elle fut l'égérie de la Revue Blanche de Natanson et la marraine des Ballets Russes de Diaghilev.
Un éventail-poème de Mallarmé
Portraits de Misia par Vuillard :
Photographies de Misia et Vuillard :
Misia photographiée par Vuillard :
Par Vallotton :
Par Toulouse-Lautrec :
Misia et Toulouse-Lautrec :
Par Bonnard :
Toujours par Bonnard, le seul nu...
Par Renoir :
Lettre de Cocteau à Misia :
"[Offranville 21 octobre 1913], à Mme Misia Edwards. Curieuse lettre à Misia, lors d'un séjour chez Jacques-Émile Blanche... « Il m'est impossible d'être heureux (rime) sans penser à vous. Votre tendresse m'est devenue indispensable, et comme je sens monter en moi de plus en plus un "noir" de famille dont je peux suivre le mal progressif. Chez maman par exemple, j'ai besoin qu'on m'aime - il n'existe pas de piqures anti-ataviques et les niaises admirations ne me nourrissent plus le coeur »... Il commence un livre qui lui plaira : « Le "cas" de votre jugement est une de mes inquiétudes et je m'en dirige mieux que vous ne pouvez croire. C'est un livre qui traite de tout ce qu'on ne voit pas et qui pourtant impressionne les yeux [...]. C'est un livre en quelque sorte : comique ».
Proust dédicace son livre "Pastiches et mélanges" à Jean Cocteau :
Photographie de Misia assise à côté de Renoir, après l'enterrement de Mallarmé :
Picasso fit les costumes, les décors et le rideau de scène pour le ballet Parade :
"Ballet réaliste sur un thème de Jean Cocteau", musique d'Erik Satie, créé par les Ballets russes de Diaghilev en 1917 au théâtre du Chatelet :
Stravinsky à Venise :
Cortège funèbre de Diaghilev sur une gondole en route vers l'île cimetière de San Michele :
Elle était excellente pianiste (elle fut l'élève de Gabriel Fauré)
Portrait de Marcelle Meyer avec qui Misia se produisit en concert en 1933, par Jacques-Émile Blanche
(au centre, Marcelle Meyer, en bas à gauche, Germaine Tailleferre, au-dessus de face, Darius Milhaud, derrière de profil, Arthur Honegger, au fond, debout de profil, Louis Durey, de face, Francis Poulenc, en haut à droite, Jean Cocteau, assis à droite, Georges Auric.
mais elle n'a rien créé par elle-même, sauf peut-être Coco Chanel (ci-dessous photographiée par Man Ray)
Misia (un peu enveloppée...) et Coco Chanel
Misia à Venise, dernier voyage :
Après avoir passé une nuit au poste pour consommation de drogue à l 'âge de 77 ans, elle meurt en 1950, un an plus tard, assez seule. Coco Chanel, fidèle jusqu'au bout, fera sa toilette mortuaire.
"Découvreuse, mécène et Pygmalion, Misia aura été pour finir l'une des muses les plus fécondes des temps modernes, des plus insaisissables aussi. Proust parlait d'un monument d'histoire dont Morand prédit qu'il surpasserait en importance toutes les Mme du Deffand du XVIIIe siècle, dans la formation du goût ; Cocteau invoqua un génie vague, aérien, Porel une sorte de lieu humain, on pourrait parler aussi d'un fluide comme l'absinthe, qui rendait génial et tuait à la fois." (Extrait de l'introduction au catalogue de l'exposition, Claude Arnaud).