Mme de Staël, une femme libérée
Destin extraordinaire que celui de cette famille dont j'ai fait la connaissance presque intime dans les écrits de Timothy. Je vous livre un extrait traduit de l'anglais, hélas par moi :
"STAËL, Anne Louise Germaine, baronne de (1766-1817)
Écrivain français.
Germaine de Staël vit Coppet pour la première fois au printemps 1783. Elle voyageait avec ses parents lors d'une retraite littéraire, suite à la démission de Necker en 1781. Necker désirait acheter une propriété dans le Pays de Vaud. Il avait d'abord pensé à Prangins, mais ce n'était pas à vendre. En 1783 il découvrit et aima Coppet ; mais son propriétaire, un fils de Thelluson, son premier associé dans la banque, ne désirait pas vendre non plus bien que la maison soit inhabitée et en très mauvais état. Cependant Necker persista, et l'acheta finalement pour 500 000 livres. Les Necker rentrèrent à Paris pour l'hiver 1783, et au printemps 1784, revinrent dans le Pays de Vaud pour commencer les travaux à Coppet. Ils passèrent un été heureux et littéraire à Lausanne où ils louèrent le château de Beaulieu ; ils rencontrèrent Gibbon, Raynal, Madame de Charrières, les Polier, Bonstetten, Pictet et d'autres écrivains. Le 1er septembre 1784 Coppet fut prêt, et Necker, avec sa femme et sa fille Germaine, prit officiellement possession de la propriété comme son nouveau baron féodal (titre qu'il avait acheté avec le domaine. NDT). Il fut salué par des acclamations et des tirs de canon. Ils restèrent peu de temps. Ils durent partir à Montpelier, à la recherche d'un traitement pour guérir les souffrances de Madame Necker. Pendant l'hiver 1790-91 Germaine de Staël dut faire de frustrantes et ennuyeuses visites à ses parents à Coppet, où ils se trouvaient après que Necker a fui Paris en septembre 1790. Germaine se plaignait de tout cela à Gibbon, alors qu'elle passait quelque temps à Lausanne avec les Cazenove-d’Arlens. En 1791 elle passa le Jour de la Bastille au Pays de Vaud, puis à Chamonix. En 1792 les Necker quittèrent temporairement Coppet, alors troublé par la Révolution Genévoise, et, avec l'aide de Gibbon, prirent une maison (toujours existante) au 99 Grande Rue à Rolle, qui se trouvait du côté sûr de la frontière Bernoise. C'est ici, en septembre 1792, que Germaine arriva, elle-même échappée des massacres de septembre parisiens, où elle avait fait une apparition courageuse et terrifiante avant un comité de la Commune où se trouvaient Robespierre et Collot d’Herbois (un ancien directeur du théâtre de Genève) ; son attelage fut encerclé et attaqué par une foule furieuse. Elle était enceinte, et son fils Albert vit le jour à Rolle le 20 novembre. Sa chambre à coucher avec ses boiseries et ses papiers peints peut encore aujourd'hui être visitée et admirée. Mais Germaine était loin d'être heureuse dans ‘ce trou de Rolle’, comme elle l'appelait : son amant, Narbonne, exilé en Angleterre à Juniper Hall près de Dorking, occupait toutes ses pensées ; elle fit une tentative de suicide ; puis, en janvier 1793, elle s'échappa de la maison de Rolle, fit un très périlleux voyage à travers la France, et réussit à le rejoindre. En juin, cependant, elle était de retour à Coppet (où se trouvaient ses parents) pour retrouver son mari. C'est là qu'elle rédigea ses Réflexions sur le procès de Marie Antoinette. Plus tard, en septembre 1793, elle emménagea dans une maison à Nyon (toujours existante) appelée Charlemont, qu'elle loua à Monsieur Trachsel, propriétaire de l'auberge de la Croix Blanche à Nyon. C'est là qu'elle appliqua, grandeur nature, le thème de Scarlet Pimpernel, impliquant agents secrets fortement payés, passeurs, faux noms et faux passeports, pour venir à la rescousse de ses amis aritocrates pris au piège à Paris sous la Terreur. Le 1er avril 1794 les autorités bernoises donnèrent des ordres pour l'expulsion de tous les emigrés français de leurs territoires. Les Necker vécurent à nouveau hors de Coppet, en exil politique ; Ils louèrent une fois de plus le château de Beaulieu, près de Lausanne, et ce fut là, le 1er Mai 1794, que Germaine trouva refuge. Elle trouva sa mère désespérément malade ; celle-ci, bien que sur son lit de mort, traita sa fille aussi froidement et désobligeamment que toujours. Suzanne Necker mourut le 15 mai. Trois jours plus tard , Germaine partait pour le château de Mézery qu'elle avait loué près de Lausanne et qui avait été la résidence de Gibbon en 1763. Germaine vécut là avec ses amis et ses amants, tandis que la Terreur régnait à Paris, et que les gens qu'ils connaissaient tous mouraient quotidiennement sous la guillotine. Juillet et août virent la chute de Robespierre et les événements de Thermidor ; en automne, la petite communauté de Mézery fut dispersée sur ordre du gouvernement de Berne. Germaine fit une brève visite à son père à Coppet (où il était alors retourné) et au tombeau de sa mère. Ce fut le 26 septembre 1794 qu'eut lieu l'importante rencontre entre Germaine et Benjamin Constant. Il l'avait déjà vue brièvement à Montchoisi le 19 septembre; mais ce fut le 26, alors qu'elle s'éloignait de Coppet, que Constant galopa impulsivement derrière son attelage et entra en conversation avec elle ; elle le fascina par ses manières gauches et dégingandées mais aussi par son physique passionné. Ensemble, ils voyagèrent à travers Rolle et Lausanne, et quand ils arrivèrent à Mézery, Constant était entré irrévocablement dans un esclavage émotionnel qui allait durer quinze ans. La période entre 1795 and 1799 fut, pour Germaine, une période d'activités littéraires et politiques, nouveaux amants et changements d'adresse - tous tristement réprouvés par son père. Elle se partageait entre l'ambassade suédoise à Paris et (quand on l'expulsait) le lac de Genève. Au printemps 1796 elle loua un ‘petit appartement’ à Ouchy ; c'était en fait la maison de Jacques David Olive (aujourd'hui détruite) au 18 Grande Rue. Quand elle n'était pas à Ouchy, Germaine allait parfois chez son père à Coppet, et parfois avec son oncle, Louis Necker de Germagny (le père d'Albertine Necker de Saussure) à la Villa du Grand-Cologny, à Cologny, demeure qu'il avait achetée en 1776. Au moment de l'invasion de la Suisse par les troupes françaises en 1798, Germaine était avec son père à Coppet ; ensemble, ils regardaient depuis l'un de leurs balcons l'armée qui chevauchait et marchait plus bas sur la route du bord du lac, au bout de la grande avenue ; Un officier vint les assurer qu'on les respecterait et qu'aucun mal ne viendrait jusqu'au château. En 1800 Germaine décida de passer chaque été, de mai à novembre, à Coppet. Pendant l'été 1801 Necker écrivait Dernières vues, et sa fille écrivait Delphine. L'été 1802 fut marqué par la mort de Monsieur de Staël (le mari légitime de Germaine. NDT) dans une auberge de Poligny lors de son voyage de Paris à Coppet. Germaine passa l'hiver 1802-1803 à Genève avec Benjamin Constant, distrayant la société des visiteurs anglais qui vécurent là pendant la courte paix qui suivit le Traité d'Amiens. En septembre elle vit son père pour la dernière fois alors qu'elle quittait Coppet pour entamer son voyage vers l'Allemagne. Necker mourut le 9 avril. Germaine apprit la nouvelle à Weimar ; le 19 mai, elle retournait à Coppet, voyageant avec un petit groupe d'amis parmi lesquels se trouvait Constant. À Nyon le chagrin la rendit convulsivement hystérique ; dans le village de Coppet on dut aveugler le carrosse, et elle s'écroula, dans un état d'inconscience, dans la cour du château . Germaine se remit cependant rapidement et passa le reste de l'été à diriger la propriété et à organiser et publier les papiers de son père. Elle était désormais la seule propriétaire ; de 1804 à 1810 Coppet connut des années dorées avec son train de vie brillant, vivant et excentrique, ses célèbres représentations théâtrales amateur, ses invités littéraires et philosophes et ses amants qui venaient de partout en Europe ; mais par-dessus tout grâce à sa maîtresse dominatrice, demandeuse mais perpétuellement inspiratrice. Elle était à Coppet pendant l'été 1805 mais elle passa l'hiver 1805-1806 à Genève où elle loua un grenier place du Molard (au quatrième étage de la vieille Halle aux Blés) qu'elle transforma en théâtre. Il fut ouvert pour sa première représentation le 30 décembre 1805 ; le public l'attendait et des pièces de Racine et Voltaire y furent jouées. Quand Germaine arriva à Coppet en mai 1807, elle fut agréablement surprise par le plein succès international de Corinne. Et la partie de campagne continua dans le style habituel. En août, pendant un épisode particulièrement orageux de sa liaison avec Constant (il a dû être ramené de Bâle par Schlegel après avoir prévu d'y épouser Charlotte), Germaine loua l’Élysée, une somptueuse demeure du XVIIIe siècle à Ouchy (plus tard associée au nom du Capitaine Marryat, maintenant un musée), et y déménagea avec toute sa cour, dans le but de garder un oeil attentif sur Constant pendant qu'il se trouvait à Lausanne, toute proche. La maison était idéale pour les représentations théâtrales, et Germaine se jeta immédiatement avec tous les autres dans les répétitions d'Andromaque. Constant jouait Pyrrhus, Germaine jouait Hermione, et Juliette Recamier prit le rôle d'Andromaque; la représentation du 22 août attira une large audience, et fut un grand succès. L'autre événement de cet été fut une tentative d'expédition à la Mer de Glace par Germaine et Juliette Recamier; elles firent la moitié de l'ascension depuis Chamonix, mais brûlées par le soleil et la chaleur elles abandonnèrent et redescendirent épuisées. À l'automne 1808 Coppet fut frappé par une passion mystique religieuse, aussi inhabituelle qu'inattendue ; Madame de Krüdener arriva, suivie en octobre par Zacharias Werner. L'été 1809 fut une de ces nombreuses parties de campagne : théâtre, chaos émotionnel, et d'autres visites de Zacharias Werner, dont la pièce macabre fut jouée en allemand après de colériques et tempétueuses répétitions. Germaine passa l'hiver à Genève à l'Hôtel des Balances, et ne retourna à Coppet qu'en octobre 1810, après l'échec de publication de De l’Allemagne (exemplaires saisis et détruits sur ordre de Napoléon. NDT). Elle passa l'hiver 1811, l'année de sa rupture avec Constant, et de leur ultime et traumatisante rencontre sur les marches de l'Hôtel de la Couronne à Lausanne, à Genève, à la Maison Pictet, 15 Grand-Rue. Entre 1812 et 1813 Germaine voyagea intensément : elle visita l'Autriche, la Pologne, la Russie, la Suède et Londres, où John Murray publia la première édition (non détruite) de De l’Allemagne. En mai 1814 Germaine était à Paris pour la première Restauration; en juillet elle revint à Coppet pour célébrer cela triomphalement avec fleurs, feux d'artifice et chansons, et recevoir une fois de plus un flot constant de visiteurs ; elle fut suffisamment généreuse pour envoyer un message à Napoléon, par l'intermédiaire de son frère Joseph Bonaparte qui se trouvait alors à Prangins, l'avertissant d'un plan fomenté pour l'assassiner (Napoléon et Germaine de Staël furent ennemis intimes : il la fit bannir de France, empêcha la publication de son ouvrage De l'Allemagne et déclarait : "J'ai quatre ennemis : l'Angleterre, la Prusse, la Russie et Mme de Staël" NDT). En mars 1815, brisée par la nouvelle du débarquement de Napoléon, elle s'enfuit, consternée, à Coppet où elle resta tout au long des Cent Jours. L'été 1816 fut, pour Germaine de Staël, le tout dernier été quelle passa à Coppet ; la partie de campagne fut aussi brillante que d'habitude, et vit l'arrivée d'invités anglais, enfin libres de voyager sur le continent à leur guise. Parmi eux, Byron, qui devint le lion de la saison de Coppet alors que personne à Genève ne voulait le recevoir. La fameuse histoire de cette femme défaillant, lorsqu'elle entendit son nom annoncé à la porte du salon est bien meilleure avec les propres mots de Byron : ‘Il est vrai que Mrs. Hervey (elle écrit des romans) défaillit à mon entrée à Coppet, puis se releva. Quand elle s'évanouit, la Duchesse de Broglie s'esclama, «C'est trop - à l'âge de 65 ans !»...’ (Lettre à John Murray de Venise, 15 mai 1819). Byron vint souvent à Coppet lors de ses séjours à Genève ; Germaine était très aimable avec lui, mais Byron ne le lui rendait pas vraiment. Brougham fut un autre des visiteurs anglais de Coppet pendant cet été de 1816. En octobre, après le départ de Byron, Germaine contracta mariage avec Rocca, son dernier amant (avant le mariage elle eut de lui un fils, dont les autres de ses enfants n'apprirent l'existence qu'à l'ouverture du testament. La fille de Germaine, Albertine, s'occupa de son demi-frère handicapé qui mourut à l'âge de 26 ans. NDT). Deux jours après, elle fit son testament et quatre jours après cela, elle quitta Coppet pour Paris où elle mourut le 14 juillet 1817. Son corps fut ramené à Coppet, et le 28 juillet, le tombeau Necker fut ouvert ; le cercueil de Germaine fut placé à côté des corps de ses parents qui trempaient toujours dans leur bain d'alcool.
Elle eut cinq enfants : Avec M. de Staël, Gustavine, morte à l'âge de deux ans ; avec Narbonne vraisemblablement, Auguste, puis Albert qui fut tué lors d'un duel à l'âge de 21 ans ; avec Benjamin Constant, Albertine, future duchesse de Broglie ; enfin à 36 ans, avec Rocca, Louis-Alphonse, enfant handicapé. NDT