Venise 2012, voyage d'automne - 3
Mardi, une nouvelle Venise nous surprit. Une alerte au gaz s'était déclarée dans la salizada dei greici, notre rue commerçante. Mais quelques mots sont necessaires sur les différents acteurs de cette scène de la vie quotidienne dans cette larga calle. S'étendant en arc de cercle depuis la calle des grecs menant au ponte éponyme, jusqu'au ponte S. Antonin, nous commencerons par la fleuriste et sa terrasse magnifiquement colorée donnant sur la corte della Fraternita, puis juste en face la parfumerie, le bureau de tabac, le restaurant l'Oliva Nera dont le patron nous est apparu bien amaigri et dont les cheveux clairsemés nous font craindre un traitement contre une maladie cancéreuse. Puis la pastisceria qui fut sans doute le premier commerce que nous fréquentâmes la première fois, son patron à belle moustache grisonnante est accueillant tout comme son bar en zing brillant. Quelques restaurants et autres échoppes viennent donner à cette "large" rue un attrait et une vie typiquement vénitiens dont la bonne humeur et le goût pour la plaisanterie rythment le quotidien. Ce jour là donc, une "alerte au gaz" aurait pu être déclarée tant l'odeur d'émanation était forte en cette fin de matinée dans la calle où notre pastificio préparait ses tagliatelles al tartufo. Heureusement, un écriteau sur la porte de la boutique rassurait le passant inquiet de cette forte odeur voire parfum d'un de nos plats préférés à Venise, les pâtes aux truffes.
Puis quelques emplettes au Punto Simply, supérette presqu'en face de la Scuola dei Schiavoni, retour à la casa, déjeuner avec de la parmigiana, café et discussion sur l'itinéraire de la journée magnifiquement ensoleillée dans un ciel bleu d'azur sans l'ombre d'un nuage. Direction nord vers san Francesco della Vigna. Plusieurs chemins sont possibles comme souvent à Venise pour aller d'un endroit à un autre. Empruntant la calle Zorzi (voulant dire Giorgio en vénitien), nous avons découvert son sottoportego où des miracles sont commémorés, car la peste y a été repoussée lors de la grande épidémie de 1630 et les bombardements de la première guerre mondiale ont été repoussés dans ce quartier du Castello.
En arrivant sur le Campo san Francesco della Vigna, vaste esplanade vide à cette heure et bordée d'un côté par un curieux édifice, véritable galerie aérienne reposant sur de robustes colonnes en pierre réunissant deux corps de bâtiments, nous entrâmes dans l'église. Parmi les nombreuses toiles in situ, un christ en gloire au moment d'une résurrection de Véronèse, une virgine assunta magnifiquement impressionnante d'un certain Francesco Montemezzano, au dessus d'un autel d'une chapelle latérale, une sainte conversation de Véronèse, datée de 1551 et réunissant outre la vierge et l'enfant, sainte Catherine et Saint Antoine. Dans une salle pouvant servir de sacristie et jouxtant les deux magnifiques cloitres, un splendide G. bellini trone seul, représentant aussi une présentation du Christ ou une sainte conversation et comme souvent accompagnée d'un Saint Sebastien "flèché" et d'un Saint Jérôme. En bas à gauche, regardant la scène, est peint de profil un gentilhomme, vraisemblablement le commanditaire de l'oeuvre. Dans les deux chapelles de gauche, des oeuvres à fresques et des trompe-l'oeil de G. Tiepolo. Sur le mur de gauche, un magnifique bas relief d'une vierge et l'enfant d'un artiste byzantin anonyme du XIIIeme siècle. Intermède : les premiers rayons du soleil font briller les vitraux de Zanipolo en face de moi alors que j'écris, le ciel est uniformément bleu, Venise s'éveille...., en fait il est déjà 7h52.
Quittant San Francesco, nous rejoignimes la lagune au nord pour prendre le vapporetto et nous diriger vers Saint Alvise dans le cannaregio. Après quelques erreurs dans l'utilisation du 4.1 (circulare linea) où nous faillimes nous retrouver à Murano et après quelques pas (par centaines) dans le
Cannaregio remontant toute la fondamenta della Misericordia, nous arrivâmes sur le Campo S. Alvise où une église, d'apparence austère avec ses murs de brique dépourvus de décorations, est édifiée
en l'honneur du roi Saint Louis. La tradition sinon la légende raconte que Saint Louis, évêque de Toulouse, apparut en rêve à la noble dame Antonia Venier pour lui demander de construire un
couvent..., pour la suite de cette histoire vraie, consulter tout document relatif à cette église dont, malheureusement ce jour-là, le maître hôtel était en restauration et hermétiquement clos
d'une grande bâche blanche nous frustrant des deux tiers d'un tryptique de Tintoret. Ma femme n'était pas contente et se vengea en empruntant "à vie" la fiche d'informations remise à l'entrée de
l'église. Après quelques pas sur la droite et sur le mur du
fond une série de huit tableaux carrés attire immédiatement l'attention. Ils sont signés de "Vitor Carpacio" et sont d'une expression naïve assez saisissante. Du début du quattrocento, ils ont
été réattribués à Lazzaro Bastiani et représentent différentes scènes bibliques. À droite du choeur, un panneau du tryptique de Tintoret, la flagellation et le couronnement d'épines ou comment vivre sa Passion ! Magnifique ! Seule
décoration extérieure sur la façade, une statue de Saint Louis assis sur son trône, rappelle que cet édifice lui est consacré.
Retournant vers le lagune, dans la calle ombragée
notre regard embrasse à la fois une scène de la vie quotidienne (linge pendu en travers de la calle), la lagune et une petite île au loin (isola di tessera). Tout ici est l'objet d'admiration
permanente. De nouveau le vapporeto de S. alvise jusqu'à Crea. Si San Giobbe était fermée, le petit mercatone di S. Giobbe, véritable brocante à ciel ouvert a un peu diminué notre frustration de tomber sur une porte
close. Puis tout près, nous sommes arrivés au campo San Geremia où s'élève la chiesa Santi Geremi e Lucia. Non seulement Santa Lucia a perdu ses yeux, mais elle a à Venise perdu l'emplacement de son église.
Celle-ci a disparu au profit de la gare Santa Lucia. Curieuse destinée. Donc Santi Geremi e Lucia est le lieu de prédilection pour les amateurs d'oeuvres acheiropoeïtes, car, d'après la
tradition, un christ sculpté aurait miraculeusement été terminé, non pas par la main du sculpteur, mais par ...? une main céleste ! Il est au centre d'un autel, gisant dans un cercueil en verre,
entouré de différents objets de la Passion (clous, tenailles, le récipient utilisé par Pilate pour se laver les mains, etc.) que nous n'avons pas pu voir, de même qu'une cappella dissimulée
renfermant des trésors de verrerie de Murano. Et pourtant ce n'est pas faute d'avoir essayé de
franchir toutes les portes de cette église...et de faire des demandes appuyées auprès des responsables de la "magnifique boutique à souvenirs" sise à côté du christ acheiropoeïte. De guerre
lasse, nous sommes sortis. Un Spritz (con Campari) sur le Campo en face de l'église nous a fait découvrir sur la façade du bâtiment faisant l'angle avec celle-ci et qui abrite les locaux de la
télévision italienne, une sculpture que j'ai prise pour un griffon et qui n'est en fait qu'un aigle majestueux dont le regard fixe la foule en bas dans la calle qui va vers la gare.
Reprenant le vapporetto 4.2 à Guglie, nous avons regagné San Zaccharia, le soleil avait déjà disparu à l'horizon. À notre arrivée, nous sommes restés quelques instants pour admirer cette vue à la tombée du jour dans l'eau miroitante sur laquelle de nombreuses
embarcations s'entrecroisent sans cesse dans un ballet perpétuel. En empruntant la fondamenta de l'Osmarin, nous nous arrêtons toujours devant la vitrine de cette boutique hors d'âge dont le très vieux propriétaire
propose tout un assortiment d'objets d'un autre temps et qui n'intéressent souvent personne, pellicules argentiques, lunettes de vue démodées, etc, présentés sur des étagères en verre recouvertes
d'une poussière épaisse et qu'un chiffon n'est pas venu déranger depuis de nombreuses années. Que fait cet homme toute la journée et que vend-il ? Cela reste toujours un mystère pour nous. Sur le
pont des grecs, nous admirons encore une fois notre campanile et je ne peux m'empêcher de le photographier dans la nuit qui vient de tomber sur la Ville.