Vézelay, Tatiana Roy n'est plus

Publié le par kate.rene

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Elle est partie rejoindre Julius dans le caveau du vieux cimetière de Vézelay à côté de Christian et Yvonne Zervos. Un service orthodoxe lui a été rendu à la basilique par le père Hedley lundi dernier.


Née SOUKHOROUKOFF en Bulgarie de parents immigrés russes, journaliste, traductrice, poète, écrivain, elle a écrit et publié tout au long de sa vie.

 

Voici le faire-part de l'Yonne Républicaine :

 

VÉZELAY
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses nombreux amis
ont la douleur de vous faire part de la disparition de
Tatiana ROY
née SOUKHOROUKOFF
survenue le 8 août 2012.
Les obsèques seront célébrées, selon le culte orthodoxe, en la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay, le lundi 13 août 2012, à 15 h 30.
Elle sera inhumée auprès de son époux,
Jules ROY, au vieux cimetière de Vézelay.

 

Tatiana a écrit elle aussi, poèmes et romans, dont  voici la bibliographie :

 

En attendant l’éternité, poèmes, Grasset, Paris,  1972
Châteaux d’Exils, roman, Balland, Paris, 1988

Chants de l’inaccueillie, poèmes, préface de Jacques Lacarrière, Domens, Pézenas, 1997

L’Ane sur la colline, récit, L’Or des Etoiles, Vézelay, 2001

 

Traductions :

La cuiller, de Boulat Akoudjava, Julliard, 1961.

Lioubimov, de Tertz Siniavsky, Julliard, 1963.

Le chemin de la lune, de Alexandre Kazantsev, Denoël, 1964.

Le verglas, de Tertz Siniavsky, Plon, 1965.

Pensées impromptues, de Tertz Siniavsky, Christian Bourgois, 1968.

Poèmes, de Ossip Mandelstam, L’Age d’Homme, 1984.


 

Extrait :

"C'est l'image même de l'accablement, de la désolation. Un homme ployant sous le faix de ses déceptions. À peine s'il esquissa un sourire de convention en m'ouvrant sa porte. J'avais pourtant quelque mérite de l'avoir déniché dans son septième étage d'Auteuil. Ces maisons modernes sans concierge, toutes portes closes, quel cauchemar... Il aurait dû comprendre cela, lui qui venait d'éprouver la même sensation en Chine. Lui, c'est un impatient, si on refuse de lui donner les clefs, il boude.
Il était parti pour six mois, décidé à percer à jour le secret de la Chine, celui de la «longue marche» des années trente, à travers un immense continent et des périls sans nombre, et à laquelle ne survécurent qu'une poignée d'hommes. Il voulait prolonger jusqu'à nos jours cette inhumaine aventure. Le voilà revenu deux mois plus tard, déçu, amer, sombre. Et le gros livre de quatre cents pages qu'il nous donne n'est que l'expression désenchantée d'un rêve perdu.
Un coup de poing vigoureux sur le bureau ponctue la péroraison, et le voici debout, dans sa chambre-cabinet de travail aux meubles massifs de la Renaissance espagnole, le visage empreint d'un noble courroux. Le pur dessin de sa tête prématurément blanchie, les yeux enfouis sous la broussaille des sourcils, profil pour médaille antique, le visage buriné de l'aventurier, mince, grand, nerveux, un sens du mouvement qui appelle plus le port de la toge que du pull gris. Il tonne, mugit, tempête, puis, comme écrasé par une immense tristesse, sa voix s'assourdi : «Ce que j'ai vu surtout, c'est ce qu'on voulait m'empêcher de voir... Bien sûr, dans les prisons modèles, les usines, les universités, les abattoirs de cochons, les villages de pêcheurs, partout c'était la même leçon apprise par coeur. L'hymne à la Chine nouvelle et au marxisme-léninisme sauce Mao-Tsé-Toung, fondateur de la nouvelle dynastie populaire, et toute sa cour feutrée qui ne rêve que de revanche.
- Tout de même, votre voyage en Chine semble le fruit d'une déception amoureuse...
- Si j'ai conté au passage cette mésaventure sentimentale, c'est qu'elle fait partie du voyage. Mon intention de départ était d'écrire un hymne aux héritiers de la Longue Marche. Il est devenu par la force des choses «Les Tribulations d'un Voyageur en Chine»... Mao, veux-tu rester tranquille !
Je levai les yeux, éberluée. Non, ce Mao-là n'était qu'un adorable petit teckel au poil brun et lustré venu quêter une caresse.
«J'ai un projet très ambitieux et qui me prendra peut-être cinq ou dix ans... Ce serait d'écrire, à travers l'histoire de ma propre famille, l'aventure que la France a menée pendant plus d'un siècle en Algérie. Je veux savoir pourquoi mon grand-père était parti là-bas, comment la famille s'est fondée. Une famille humble, honnête, travailleuse, la famille française type, quoi, quelque chose de grand, de chaleureux. Cela me permettra peut-être d'expliquer aux pieds-noirs, qui n'y ont encore rien compris, comment la nation algérienne a pu se former...»

 

Extrait du livre Unica unicae, Correspondance amoureuse entre Jules et Tatiana Roy
7 décembre 1965
Poème reçu comme cadeau de noces

Salut, rose déchirée de mon coeur,
toi que j'ai réclamée à genoux dans les basiliques,
pour qui j'ai fait brûler des cierges et que j'ai cru
rencontrer sur les chemins de terre où je sifflais mon chien
Quand tu es venue, j'en avais marre de tout,
de la vie, du temps, des hommes, des femmes, des amis,
et par dessus tout de moi.
Tu as souri. Tu m'as aimé comme j'étais,
Gueulard, emmerdant, emmerdé, triste à mourir d'être seul.
Tu m'as pris la main parce que tu avais besoin de secours
Sans te douter que le plus faible c'était moi.

Tu t'appelles Tatiana.
Tu as cru que j'allais t'aimer et tu ne t'es pas trompée.
Je vais t'aimer comme le loup aime sa louve
à l'époque des amours, l'hiver fini.
Je vais te suivre à la trace, enfouir ma gueule dans ta fourrure,
te jeter sur mon épaule et t'emporter à travers les neiges
jusqu'à la demeure secrète où nous vivrons, loin des hommes.
Je n 'ai plus besoin de personne puisque tu es là.
Tu es mon père et ma mère, mon enfant et ma soeur,
mon ventre et mes moelles, le sang qui bat dans ma gorge,
le vent qui a passé sur le désert et celui qui souffle
sur le verger en fleurs
La mer quand elle se rue sur les rochers
et qu 'elle enveloppe le sable de ses longues jambes chaudes
Tu es celle qui comprend sans même besoin de parler
Et au-delà de ce que je dis quand je parle
Tu es celle que j'appelais du fond des âges de la voix des bêtes
blessées
Qui refusent la mort, l'âme de mon âme immortelle,
La nuit d'étoiles et la nuit de neige.
La tempête qui se livre sur Vautre versant du monde
Et me recouvre de son aile.
Les noirs chevaux d'apocalypse qui galopent sur les soleils
Tu es tout cela, et c'est parce que tu es cela et que je t'aime.

Julius.

Et le mariage eut lieu à Pierre-Perthuis.


La biographie reste très discrète sur l'histoire de Tatiana et Jules Roy. Ils eurent chacun deux enfants dans leurs vies antérieures.


Pour la petite histoire, Marc Meneau lui faisait porter un repas deux fois par semaine.

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