Zadig et Voltaire..., et si on parlait chiffons !
Dans nos boîtes aux lettres, tous les jours, beaucoup de publicités défilent devant nos yeux. Moi, c'est le matin que je les lis. Ce matin, c’était, entre autres la nouvelle collection de Zadig & Voltaire. Mais quelle idée a bien pu traverser la tête du promoteur de cette ligne de fringues pour intituler sa marque de cette manière ? Click. La page mail bascule sur le portail du site Z&V : pas d'information sur ce que je cherche, en revanche un foulard me tente pour la Saint Valentin, je regarde le prix... Ah oui d'accord ! Passons à autre chose. Je tape Z&V sur Google et sur la page Wikipédia je trouve l'explication : "Le nom de la marque est tiré du roman de Voltaire, Zadig ou la Destinée (1747) : le personnage principal, Zadig, a marqué l'esprit du créateur, par son charisme, sa modernité et son courage." J'apprends par ailleurs que le créateur n'est autre que le petit fils du cofondateur de la marque Lacoste!
Nous venons de finir une biographie de Voltaire, livre épais et dense que, cela est très rare chez nous, nous avons lu en deux temps. En effet, le livre nous est tombé des mains il y a quelques
mois car le personnage nous énervait : irascible, fat, pique-assiette, profiteur, imbu de sa personne, "lèche- majesté", hypochondriaque, bref nous l'avions laissé tomber. Il s'empilait avec les
autres sur les nombreux tas de livres que nous affectionnons tant !
La maison de Voltaire à Ferney
Et puis d'autres lectures sur des personnages du XVIIIe siècle nous ont conduits à le reprendre et là, nous avons découvert l'homme incontournable de son temps qui jusqu'à sa mort à 84 ans s'est battu contre l'injustice, l'intolérance, et surtout l'obscurantisme et le fanatisme religieux, prônant le déisme et refusant le matérialisme. Et c'est surtout à partir de sa soixantième année (preuve qu'aux âmes bien nées, la valeur peut attendre bon nombre d'années) qu'il est rentré dans notre cœur, au moment où il arrive à Ferney, près de Genève, et c'est de ces années-là surtout que lui viennent sa notoriété et la postérité. Cet anticlérical inconditionnel n'exclut pas l'existence de Dieu quand il dit, entre autres :
" L'univers m'embarrasse, et je ne puis songer
Que cette horloge existe, et n'ait point d'horloger".
Son déisme lui permet de tenir tête aux matérialistes qui commencent à se manifester. Sa lutte contre l'Église, quelle qu'elle soit, mais surtout celle de Rome est constante et acharnée à cette époque où l'inquisition (de l'Église et de l'État confondus) fait rage. De la plus célèbre des affaires judiciaires dont il s'est occupé, l'affaire Calas, il tirera un grand texte : "Le traité sur la tolérance" qui sera mis à l'index par l'Église, comme nombre de ses écrits ne rentrant pas dans le "canon" religieusement correct. D'un autre côté il combat l'athéisme, bien qu'il le considère quand même préférable au fanatisme (religieux). "Don Quichotte" infatigable de la justice et de l'équité, il n'en vient pas moins, malgré sa quête sur la tolérance, à être lui aussi intolérant, personne n'est parfait ! Certains de ses contemporains ont pu pâtir de ses perpétuelles querelles à leur encontre, pour certaines diffamatoires...
Madame Émilie du Châtelet par Maurice Quentin de la Tour
Comme tout “grand homme”, il aimait être adulé et admiré, en particulier des femmes... Et Voltaire n’échappe pas à la règle : deux femmes vont occuper une place importante dans sa vie : Mme Emilie du Châtelet avec qui il va partager la première moitié de sa vie en ménage à trois avec Monsieur et sous le toit de ce dernier à Cirey..., et sa nièce, Mme Marie-Louise Denis pour la deuxième partie, à Ferney. La première mourra quelques jours après son accouchement, d'une fièvre puerpérale, après une histoire de grossesse vaudevillesque... (l'enfant ne survivra pas), la seconde eut des rapports, épistolaires en particuliers, chauds-bouillants..., avec le “Chatelain de Ferney”, et sera son éxécuteur testamentaire. Il n’aura pas de descendance.
Voltaire et Madame Denis
Quelques extraits de lettres écrites à Mme Denis, en italien, la lingua dell'amore :
"La mia anima baccia la vostra, mio cazzo, mio cuore sono inamorati di voi. Baccio il vostro gentil culo e tutta la vostra vezzoza persona."
"Mio cuore e mio cazzo vi fanno i più teneri complimenti."
"In tanto io figo mille bacci alle tonde poppe, alle transportatrici natiche, a tutta la vostra persona che m'ha fatto tante volte rizzare e m'ha annegato in un fiume di delizie."
"Vi domando la licenza di portare il mio vizzo. Sarebbe meglio rizzare, ma che io rizzi o no, vi amero sempre, sarete la sola consolazione della mia vita."*** (quelques fautes d'orthographes dans son italien)
À l'époque où il écrit ces mots brûlants, Émilie du Châtelet est toujours avec lui.
L'acharnement sur certains de ses contemporains est incessant et lasse à force ses lecteurs, Rousseau par exemple, dont il écrit dans son oraison funèbre : "Jean-Jacques a très bien fait de mourir,..., il mourut comme un chien, c'est peu de chose qu'un philosophe". Cela agaçait tout le monde même ses amis ou ses protecteurs, comme Frédéric II, "Il y a quelque chose de si lâche à calomnier les morts, il y a tant d'indignité à noircir la mémoire des hommes de mérite, il y a quelque chose dans ce procédé qui dénote une vengeance si implacable, si atroce, que je me repens presque de la statue qu'on lui érige. Bon dieu ! Comment tant de génie se peut-il allier avec tant de perversité !... Des injures si souvent répétées dégoûtent le lecteur et démasquent trop le fond de l'âme de Voltaire." ; cela résume bien le personnage. Il est insupportable et sera persona non grata dans beaucoup de villes et de cours européennes, et naturellement à Versailles, bien que Marie-Antoinette le “soutienne”, mais de loin. Personne n’en veut, d’où son exil à la frontière entre la Suisse et la France. Et pourtant, ce travailleur inépuisable, qui se plaindra toute sa vie d'une santé fragile factice, finira en héros de son temps à Paris. Il entrera même au Panthéon 17 ans après sa mort.
Déniaiser les esprits, saper les superstitions, ruiner les légendes, s'en prendre au christianisme par le biais des religions comparées, tel est son combat perpétuel, quand il écrit par exemple : "Je ne vois pas que ce qui sort du derrière d'un homme qu'on respecte et qu'on aime, quand cela est bien sec, bien musqué et bien enchâssé dans l'or ou dans l'ivoire, soit plus dégoûtant que tel vieux haillon qui n'a jamais appartenu à un homme de mérite, ou tel vieux os pourri, ou tel nombril, ou tel prépuce, qu'on expose encore dans plus d'un de nos villages à l'adoration des bonnes femmes." Voilà pour les reliques!
À l'heure du bilan, il s'est fâché avec presque tout le monde et pourtant il est ovationné comme aucun de ses contemporains. Il incarne le courage, la justice et la Lumière. Ses défauts ne gâchent finalement pas ses qualités. L'homme est mort, il nous reste ses écrits et ils sont nombreux, seules ses pièces de théâtre sont tombées en désuétude.
*** Traduction :
"Mon âme baise la vôtre. Ma queue, mon coeur sont amoureux de vous. Je baise votre beau cul et toute votre bandante personne."
"Mon coeur et ma queue vous font les plus tendres compliments."
"En attendant, je mets mille baisers sur tes rondes mamelles, sur tes fesses renversantes, sur toute votre personne qui m'a fait tant de fois bander, et m'a noyé dans un fleuve de délices."
"Je vous demande la permission de vous apporter ma queue. Ce serait mieux de bander, mais que je bande ou non, je vous aimerai toujours, vous serez la seule consolation de ma vie."
Voltaire, Raymond Trousson - chez Tallandier, 2008 - ISBN 978-2-84734-412-7
Traité sur la Tolérance, Voltaire - Folio - ISBN 978-2-07-042871-7