Qumrân, les manuscrits de la Mer Morte
Perdu, retrouvé !
Exposition temporaire à la BNF jusqu'au 11 juillet 2010. (lien avec le site de la BNF où l'on peut télécharger les documents relatifs à cette exposition dont voici des extraits :
L’histoire raconte qu’un beau jour de printemps 1947 un jeune pâtre bédouin à la recherche d’une chèvre égarée découvrit dans une grotte des jarres de terre cuite renfermant des rouleaux
recouverts d’une écriture ancienne… Était-ce vraiment après un animal que couraient les bédouins ? Ces derniers connaissaient-ils l’existence de ces rouleaux cachés ? Les rouleaux
étaient-ils vraiment dans des jarres ? Que contiennent-ils ? À qui
appartenaient-ils ? Qui les a rédigés ? Qui les a copiés ? Où ? Pour qui ? Pourquoi étaient-ils cachés, par qui, contre qui ? Autant de questions qui président à l’extraordinaire saga de la
découverte des manuscrits de la mer Morte, saga aux enjeux multiples qui depuis près de soixante ans suscite débats et questionnements sans cesse renouvelés à mesure que la recherche avance…
Car cette découverte considérée comme la plus importante découverte archéologique du xxe siècle n’en finit pas d’interroger les fondements du judaïsme et du christianisme, qui se retrouvent liés
comme jamais par cette mystérieuse bibliothèque enfouie dans le désert…
Très rapidement les bédouins vont chercher à tirer profit de leurs trouvailles : ils les montrent à deux commerçants membres de l’Église syrienne, qui vont eux-mêmes les montrer au supérieur du
couvent Saint-Marc à Jérusalem, le métropolite Mar Athanase Samuel. Entre-temps, par un autre intermédiaire, d’autres manuscrits découverts par les bédouins parviennent au professeur Éléazar
Sukenik de l’Université hébraïque de Jérusalem, qui, rapidement convaincu de l’importance de la découverte, cherche à acquérir tous les rouleaux qui ont été découverts, notamment ceux qui sont
aux mains du métropolite Mar Samuel. Cependant ce dernier, supputant qu’il pourrait en tirer meilleur bénéfice à l’étranger, décide de garder ses rouleaux et de tenter sa chance aux États-Unis…
Mais, ne parvenant pas à les vendre, il finit par faire paraître une annonce dans un journal en 1954 ; c’est le propre fils de Sukenik (mort en1953), Yigaël Yadin, qui les rachètera sous un faux nom pour ne pas éveiller ses
soupçons…
Ce n’est que deux ans après les premières découvertes, en 1949, que le directeur de l’école biblique et archéologique de Jérusalem, le Père Roland de Vaux, ainsi que Gérald Lankaster Harding,
directeur du département des Antiquités de Jordanie, sont mis au courant de la découverte par une publication américaine. Ils organisent immédiatement des fouilles et c’est une véritable course
aux manuscrits qui
commence… Les archéologues des Écoles archéologiques française, anglaise et américaine de Jérusalem se livrent à une véritable compétition contre les bédouins dans les falaises du site. La course
s’engage également sur le marché des Antiquités, avec en toile de fond les tensions liées à la création de l’État d’Israël.
Entre 1947 et 1955, parmi la centaine de grottes visitées, onze révèlent leurs secrets, mettant au jour quelque 900 manuscrits…
L’épopée du déchiffrement - Des écritures connues
La majorité de ces textes est en écriture hébraïque (paléo-hébreu et hébreu judéen ou « carré »), quelques-uns sont en grec, langue de la Diaspora mais aussi langue internationale de l’époque,
utilisée, et connue des scribes. Toutes ces écritures étaient connues lors de la découverte, hormis trois écritures codées, que l’on appela « cryptiques », ce n’est donc pas tant le déchiffrement
de l’écriture qui posa problème que l’état fragmentaire des rouleaux quand ils ont été découverts.
Des milliers de minuscules fragments
Quelques très rares rouleaux (moins d’une dizaine) ont été trouvés en bon état ; les 99 % restants étaient dans un état de délabrement avancé, souvent de tout petits fragments quasi illisibles
qu’il fallut déchiffrer puis assembler pour reconstituer les textes. Pour les premiers déchiffreurs, il s’agissait de véritables défis. Parmi eux, Joseph Milik, surnommé le « Champollion de
Qumrân » tant il excellait en son domaine, déclarait que « l’expérience est d’autant plus grisante
que la tâche est difficile ». Pour lui, « le bon épigraphiste doit tout à sa sensibilité – aux caractères, aux formes, aux textures, aux coloris des supports – et à sa mémoire ». Cette approche
empirique et instinctive du génial déchiffreur semblait d’autant plus adaptée et nécessaire que les conditions de travail des premiers déchiffreurs étaient particulièrement difficiles. Dans la
grande salle mise à disposition par le Musée archéologique de Palestine, ces derniers
passèrent des mois, munis de leur seul savoir, à identifier des milliers de fragments dont la plupart étaient réduits à l’état de miettes. Émile Puech décrit la façon dont il procédait pour mener
à bien sa tâche : « regroupement de fragments, mise en ordre de ceux supposés appartenir à un même rouleau, déchiffrement, commentaire minimal pour situer la composition dans la langue et si
possible attribution d’un titre ». Pour qu’ils soient déchiffrables, tous les fragments étaient d’abord photographiés à l’infrarouge, procédé qui révèle les contrastes, avant d’être si possible
traduits, identifiés
puis triés. Pour les conserver, on avait fixé les fragments avec du ruban adhésif transparent entre deux plaques de verre, procédé qui se révéla plus tard néfaste, la colle acide du ruban adhésif
ayant pénétré les peaux, risquant de détruire
celles-ci peu à peu. En 1991 fut mis au point un solvant qui permit d’ôter les résidus acides sur les manuscrits, que l’on fixa cette fois sur des cartons non acides
Annonciateurs des premiers chrétiens ?
Les chercheurs notèrent des ressemblances troublantes avec le Nouveau Testament, le Maître de justice pouvant préfigurer Jésus et l’ascétisme de cette communauté au désert évoquant la figure de
Jean-Bapstiste. On ne trouva jamais de fragment des Évangiles dans la Bibliothèque de Qumrân, ni d’évocation de Jésus ou de Jean. Cependant, parmi les thèmes récurrents et la description des
rites que l’on trouve dans les manuscrits, certains sont très présents dans le Nouveau Testament comme l’attente messianique, l’annonce de la fin des temps, la croyance en l’immortalité de
l’âme,
les repas communautaires où pain et vin sont signes de la relation avec Dieu, les bains rituels… Jusqu’à certaines expressions qui semblent tout droit sorties des Évangiles, tel un fragment de la
grotte 4 évoquant l’Évangile
de Luc où il est question d’un « fils du très haut » dont le règne « sera un règne éternel ». Les figures du Messie fréquentes à Qumrân, qui renvoient à un Messie militaire, prophète ou
interprète de la Loi, pourraient être annonciatrices de Jésus « le Messie » (« Christ » en grec). Mais surtout, selon André Paul, les différentes figures messianiques présentées par les textes de
Qumrân renouvellent l’approche du « messianisme » du Nouveau Testament, qui jusque-là détenait les seules informations, forcément partiales, sur un Messie, dont il est dit qu’il fut rejeté par
les Juifs et reconnu seulement par les chrétiens.
Ces textes donnent un éclairage nouveau sur la façon dont les compagnons de Jésus purent percevoir Jésus de son vivant et reconnaître ses « vertus messianiques ». Plutôt qu’annonciateurs des
premiers chrétiens, les thèmes abordés à Qumrân permettent de mieux comprendre dans quel contexte intellectuel et spirituel ces derniers avaient évolué.