América, America
América ou l'envers de la médaille du "rêve américain".
Comme d'habitude, nous étions partis avec une dizaine de livres dans nos valises pour notre grand périple dans l'ouest américain. Mais finalement, nous n'avons lu que les deux Routards sur les grands espaces de l'Ouest américain et de la Californie. Pourtant parmi ces livres, il y avait le fameux On the road de J. Kerouac, Bury my heart in Wounded Knee de Dee Brown, Tropique du cancer d'Henry Miller, deux polars dont j'ai oublié le nom et L'Agent Indien de Dan O'Brien que nous avons commencé sans le finir, c'est un comble. Nous n'avions pas le temps et l'extinction des feux le soir était rapide..., nous avons établi un record pour nous, dévoreurs de livres ; même pas un livre en trois semaines!
En rentrant, mon regard a croisé les piles de livres que j'avais présélectionnés avant le départ et je tombe sur América, roman de TC Boyle. Nous l'avons dévoré. Nous avons tremblé à chaque page des malheurs récurrents de ce jeune couple de clandestins mexicains dans l'espérance de jours meilleurs et de l'accomplissement de leur rêve, leur idéal : vivre en Amérique. Lui, Candido se fait renverser par la voiture de Delaney, quadra blanc. Il ne veut pas aller à l'hôpital, pas de médecin, et accepte en dédommagement un billet de vingt dollars, c'est le début de leur rencontre. Leurs destinées sont scellées. Ils ne se "quitteront" plus jusqu'au dénouement. Elle, América est enceinte et doit subvenir tant bien que mal à leur survie. Ce sont des petits boulots de journaliers, exploités par les patróns, volés par des blancs ou des mexicains. La malchance leur colle à la peau. Dans une précarité extrême, ils (sur)vivent "dans la nature" au fond d'un canyon de Topanga Creek, un peu au nord de Santa Monica.
Nous avons reconnu les lieux où nous étions passés : le pacific coast hway, prolongement de la number one (route côtière qui va de San Francisco à LA), les champs d'agrumes de Bakersfield, etc. Non loin de leur campement de fortune, il y a le quartier résidentiel d'Arroyo Bianco. Les propriétaires blancs pour la grande majorité, dont Delaney et sa femme font partie, habitent dans de belles maisons tout équipées... Il ne manque que... la sécurité absolue : un mur d'enceinte pour les protéger des animaux sauvages qui viennent dévorer leurs pets et..., des mexicains qui viennent les voler ou qui taggent leur beau mur blanc...
Deux mondes résolument opposés et qui pourtant partagent la même terre : celle du rêve américain. Depuis quelques années, la Californie est majoritairement mexicaine ou du moins hispanique, juste retour de l'histoire. Dans notre trip, nous avons même traversé des villes totalement hispaniques, comme Guadalupe, par exemple. Dans cette petite bourgade, la presque totalité des enseignes ou des étiquettes dans les magasins sont écrites en espagnol. On s'y croirait.
Ce livre est une caricature cinglante, extrême et violente de la société américaine, blanche surtout, dans un décor, qui quoiqu'enchanteur, voire paradisiaque, est sous la menace permanente d'une nature "sauvage" ; des excès de la chaleur, avec risque permanent de feu de forêt ; mouvements de terrain, voire tremblements de terre. Et pourtant des millions d'individus s'entassent sur cette ligne de faille de l'écorce terrestre dans une insouciance naïve et révélatrice : le goût du risque.
D'une écrite brève, concise, sans empathie réelle ni compassion, cet opus a, par moments, des élans bucoliques et champêtres d'une grande poésie, allégeant, s'il le fallait, la noirceur implacable du récit. Au pays des rêves, le cauchemar existe aussi.
Si vous croisez ce livre, n'hésitez pas. Bonne lecture.
América, T.C. Boyle - Grasset - ISBN 10: 2246517516