Diario di bordo - 3

Publié le par kate.rene

J4 (2)

Journée en mer

Petit déjeuner avec le Stromboli juste en face. Mer calme, un nuage perpétuel au sommet de l'île volcan. Nous descendons sur le détroit de Messine. Les deux passages sont impressionnants (Charybde et Scylla), le plus au Nord, très étroit, entouré de courants forts donnant un aspect hérissé à mer. Au Sud, Charybde réserve une sorte de défilé invisible, voie de passage en S dont les bords sont écumants et bouillonnants.

Diario di bordo - 3

Voici ce que Circé dit à propos de ces terribles Charybde et Scylla (par la bouche d'Homère) :

"...Lorsque tes compagnons auront fui ces rivages, je ne puis t'enseigner quelle route tu auras à suivre. Tu ne prendras conseil que de toi-même. Cependant je vais t'indiquer les chemins qui s'ouvrent des deux côtés. Là sont des roches saillantes, autour desquelles grondent les flots azurés d'Amphitrite ; elles sont appelées par les dieux fortunés roches errantes. Aucun oiseau ne peut les franchir, pas même les colombes timides qui portent l'ambroisie au puissant Jupiter. La roche unie ravit toujours une de ces colombes ; alors le fils de Saturne en envoie une autre pour compléter leur nombre. Les vaisseaux qui s'approchent de ces immenses rochers périssent en ces lieux ; les débris des navires et les corps des nautonniers sont emportés par les flots de la mer et dévorés par le feu du ciel. Le navire Argo, célébré par tous les chanteurs, fut le seul qui, en revenant des contrées d'Aétès, franchit ce passage ; il se serait même brisé contre ces rochers s'il n'eût été conduit par la belle Junon, car Jason était cher à cette déesse.

La pointe aiguë de l'un de ces deux écueils touche aux vastes deux ; elle est environnée d'un nuage sombre qui ne se dissipe jamais, et la sérénité ne brille point à son sommet, ni dans l'été, ni dans l'automne. Nul homme ne pourrait y monter et n'en pourrait descendre, eût-il même vingt bras et vingt pieds, tant cette roche est lisse et semble être soigneusement polie. Au milieu du rocher se trouve une caverne obscure tournée vers le couchant, du côté de l'Érèbe ; c'est là, noble Ulysse, qu'il faut diriger ton vaisseau. Un homme, jeune encore, qui, de son creux navire, lancerait une flèche contre cette grotte, n'en atteindrait pas le fond. Scylla pousse d'affreux rugissements, sa voix est semblable à celle d'un jeune lion ; et personne ne se réjouit à la vue de ce monstre terrible, pas même un dieu ! Scylla possède douze griffes horribles et six cous d'une longueur démesurée ; à chacun d'eux est attachée une tète effrayante où paraît une triple rangée de dents serrées et nombreuses, sur lesquelles siège le noir trépas. Le milieu de son corps est plongé dans la vaste caverne, ce monstre ne fait sortir du gouffre que ses têtes hideuses ; il les promène autour de l'écueil, puis saisit et dévore les dauphins, les chiens de mer et les énormes baleines que nourrit par milliers la bruyante Amphitrite. Aucun nautonnier ne se glorifie d'avoir échappé sain et sauf aux fureurs de ce monstre terrible, car Scylla saisit toujours un homme par chacune de ses têtes et l'enlève de son navire à la proue azurée.

Ulysse, l'autre écueil que tu verras est plus bas, très près de l'autre, et à la portée des flèches. À son sommet s'élève un figuier chargé de feuilles ; au-dessous de ce figuier est la formidable Charybde, qui engloutit sans cesse l'onde noire : trois fois par jour et elle la rejette, et trois fois encore elle l'avale en poussant des mugissements effroyables. Qu'il ne t'arrive donc point de passer en ces lieux lorsque Charybde absorbe les eaux de la mer ; car nul ne pourrait t'arracher à la mort, pas même le puissant Neptune. Rapproche-toi de Scylla et dirige ton navire en effleurant l'écueil. Il vaut mieux regretter six compagnons que de les voir périr tous ensemble. »

J'adresse aussitôt à Circé ces paroles :

« Déesse, dis-moi toute la vérité. Si j'évite la funeste Charybde, pourrai-je combattre l'autre monstre quand il attaquera mes guerriers ? »

La plus noble des déesses me répond en ces termes :

« Malheureux, tu songes donc encore aux fatigues et aux périls de la guerre ! Quoi ! tu ne veux point le céder aux dieux mêmes ! Sache donc alors que Scylla ne peut être privée de la vie : elle est immortelle. Scylla est un monstre terrible, sauvage, cruel, qu'on ne peut combattre ; il est impossible de se défendre contre elle, et le plus sûr est de fuir. Si tu restes auprès de Scylla pour lutter avec elle, je crains bien que, s'élançant de nouveau, elle n'engloutisse autant de guerriers qu'elle a de têtes. Navigue donc avec vitesse, en implorant la mère de Scylla, Cratais, qui donna le jour à ce fléau ; elle empêchera peut-être le monstre de s'élancer sur vous tous.

Puis vous atteindrez l'île de Thrinacrie..."

Diario di bordo - 3

"...Enfin nous entrons en gémissant dans le détroit. D'un côté se trouve Scylla, et de l'autre la redoutable Charybde qui dévore avec fracas l'onde amère. Quand celle-ci vomit les vagues qu'elle vient d'engloutir, la mer murmure en bouillonnant comme l'eau d'un bassin placé sur un ardent foyer, et l'écume jaillit dans les airs jusque sur les sommets élevés des deux écueils. Mais lorsque Charybde absorbe l'onde, la mer se creuse avec bruit ; les flots se brisent en mugissant autour du rocher, et dans le fond de l'abîme la terre laisse apparaître une arène bleuâtre : mes compagnons sont saisis d'épouvanté. Tandis qu'en redoutant le trépas nos yeux sont fixés sur Charybde, Scylla enlève de mon navire six nautonniers renommés et par la force de leurs bras et par leur mâle courage. Alors, portant mes regards sur mon navire, je n'aperçois plus ces compagnons fidèles, mais je vois leurs pieds et leurs mains s'agitant dans les airs. Ces guerriers m'implorent tour à tour et m'appellent pour la dernière fois ! — Lorsque, sur un roc élevé, le pêcheur, armé d'un long roseau, prépare un appât trompeur aux faibles habitants des ondes, il lance dans la mer la corne d'un bœuf sauvage, et bientôt il enlève un poisson palpitant qu'il jette ensuite sur le sable : ainsi mes chers compagnons sont enlevés tout palpitants et précipités ensuite contre le rocher ! Tandis que ces infortunés me tendent les bras en poussant des cris déchirants le monstre les dévore devant sa caverne. Jamais, en parcourant les plaines humides de l'Océan, un si triste spectacle ne s'offrit à mes regards !...

Après avoir évité les écueils de Charybde et de Scylla, nous apercevons l'île superbe du dieu du jour ; c'est là que sont les belles génisses au large front et les nombreuses brebis du Soleil, fils d'Hypérion. "...

Glaucos et Scylla - Bartholomeus Spranger - Kunsthistorisches Museum, Vienne

Glaucos et Scylla - Bartholomeus Spranger - Kunsthistorisches Museum, Vienne

Mais avant d'être ces terrifiants monstres marins, qui étaient donc Charybde et Scylla ?

Charybde était la fille de Poséïdon et de Gaïa. On ne sait pas ce qui lui passa par la tête mais un jour, elle vola à Héraclès une partie du troupeau de Géryon. Héraclès alla donc voir papa (Zeus) pour qu'il lui rende justice. Zeus qui ne faisait jamais dans la demi-mesure transforma Charybde en gouffre marin et la condamna à rester au fond du détroit qui sépare Rhégion de Messénè (Regio di Calabria e Messina).

Quant à Scylla, c'était une fort jolie nymphe. Glaucos (certains disent qu'il est le fils de Poseidon, donc le frère de Charybde ?), très amoureux de la nymphette, alla confier son amour à la magicienne Circé. Il lui demanda un philtre pour séduire Scylla. La méchante Circé était par malheur amoureuse de Glaucos. Elle utilisa donc ses dons pour transformer Scylla en monstre à six têtes.

Pour éviter de tout perdre dans le gouffre de Charybde, il faut nécessairement sacrifier six hommes aux six gueules affamées de Scylla...

Nous devons l'expression "tomber de Charybde en Scylla" à La Fontaine qui l'a mise en forme dans sa fable La Vieille et les deux Servantes.

Scylla - Cratère à figures rouges (Ve av. J.C.) - Louvre

Scylla - Cratère à figures rouges (Ve av. J.C.) - Louvre

La Vieille et les deux Servantes.


Il eſtoit une Vieille ayant deux Chambrieres.
Elles filoient ſi bien, que les ſœurs filandieres
Ne faisoient que broüiller au
prix de celles-cy.

La Vieille n’avoit point de plus preſſant ſoucy
Que de diſtribuer aux Servantes leur tâche
Dés que Thetis chaſſoit Phœbus aux crins dorez,
Tourets entroient en jeu, fuſeaux eſtoient tirez,
Deçà, delà, vous en aurez ;
Point de ceſſe, point de relâche.
Dés que l’Aurore, dis-je, en ſon char remontoit ;
Un miſerable Coq à point nommé chantoit.
Auſſi-toſt noſtre Vieille encor plus miſerable
S’affubloit d
’un jupon craſſeux & deteſtable ;
Allumoit une lampe, & couroit droit au lit

Où de tout leur pouvoir, de tout leur appetit,
Dormoient les deux pauvres Servantes.
L’une entr’ouvroit un œil, l’autre étendoit un bras ;
Et toutes deux tres-mal contentes,
Diſoient entre leurs dents, Maudit Coq, tu mourras.
Comme elles l’avoient dit, la beſte fut gripée ;
Le Réveille-matin eut la gorge coupée.
Ce meurtre n’amanda nullement leur marché.
Notre couple au contraire à peine eſtoit couché,
Que la Vieille craig
nant de laiſſer paſſer l’heure,
Couroit comme un Lutin par toute ſa demeure.

C’eſt ainſi que le plus ſouvent,
Quand on penſe ſortir d’une mauvaiſe affaire,
On s’enfonce encor plus avant :
Témoin ce Couple et ſon ſalaire.
La Vieille, au lieu du Coq, le
s fit tomber par là
De Caribde en Sylla.

Conférence de 10 à 12 heures : la Grèce. Conférence à 16 heures : apport des migrations supposées du Sud (Éthiopie des homo sapiens). Sédentarisation, confrontation, acculturation. Deuxième migration des Indo-Européens pour former la proto-Grèce. Les corrections sont bienvenues...

Addendum : les précisions apportées par Françoise-qui-a-fait-du-grec :

Quant à Scylla, voici ce qu'en dit Virgile dans l'Enéide (il a un peu copié Homère...):

"Cachée dans une caverne ténébreuse, elle avance la tête et attire les vaisseaux sur les rochers. Elle a le haut du corps d'un être humain, le sein d'une belle fille ; mais, passée la ceinture, c'est un monstrueux dragon avec un ventre de loup et des queues de dauphin... (il vaut mieux ne pas voir une seule fois)... l'informe Scylla sous son antre immense et ses écueils qui retentissent des aboiements de ses chiens glauques"

glauque a déjà fait l'objet d'une discussion dans notre voyage ! - dans ce passage, Virgile utilise un adjectif, caeruleus, qui signifie exactement : bleu sombre, noirâtre - sans doute indispensable pour la versification - car "glaucus" existe en latin ; il vient bien sûr du grec : et là, l'idée est en effet qu'on parle plutôt de lumière que de couleur. Cependant, on le trouve associé aux olives, à des pierres précieuses - béryl, topaze. C'est la couleur des yeux d'Athéna, aux yeux brillants, bien sûr, mais pas du tout de ceux d'Aphrodite, qui sont "humides" !

Pour finir ce petit mot, à l'intention du poète René, voici ce que dit Ronsard :

Et les chiens aboyants de Scylla monstrueuse,

Qui d'un large gosier hume toute la mer...

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