Le voyage aux falaises - suite et fin
Étretat : ancien village de pécheurs, isolé et perdu sur cette côte du pays de Caux, qui deviendra un lieu de villégiature balnéaire à la fin du XIXe siècle. De cette époque subsistent de nombreuses villas qui lui donnent tout son charme, alors que le front de mer, appelé le Perrey a été totalement « massacré » par la construction d’immeubles laids, genre cages à lapins, qui dénaturent complètement le paysage (mais que font les Monuments historiques et la Sauvegarde du Littoral ?).
De cette anse de galets l’on découvre les deux extrémités qui rendent si célèbre cet endroit : les falaises avec la Porte d’Amont et la Porte d’Aval flanquée de son Aiguille (creuse, naturellement !). Nous sommes venus ici à la rencontre des artistes et peintres en particulier qui ont immortalisé ce paysage grandiose et unique… (Monet les a peintes une cinquantaine de fois).
De leur passage dans ce lieu, aucune trace aujourd'hui, si ce n’est un médiocre panneau-souvenir sur la promenade du front de mer ! comme s’ils n'étaient jamais venus, Delacroix, Monnet, Courbet, Boudin, Isabey, etc. et n’avaient jamais immortalisé ce site. Le tourisme de masse, saucisse-frites-MacDo a totalement dénaturé ce lieu et fait table rase de son passé magique et inspirant la beauté, la puissance de la mer et l’élégance de la nature livrée à elle-même quand elle n’est pas saccagée par les hommes…
À la lecture du livre de Patrick Grainville, Falaise des fous, qui a inspiré notre voyage, on imaginait les rencontres et les séjours de ces peintres qui nous ont laissé de pareils chef-d’œuvres et il faut aujourd’hui beaucoup d’imagination pour retrouver l’ambiance de l’époque à jamais révolue…
Seul lieu « culturel » d’Étretat et de son glorieux temps passé et perdu : le Clos Lupin. Cette belle maison du XIXe siècle dans son parc ombragé et fleuri abrite les souvenirs de Maurice Leblanc, auteur-créateur d’Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur, avec en particulier son roman incontournable quand on est à Étretat, L’aiguille creuse, que nous avons, naturellement, relu à cette occasion. Visite émouvante d’un intérieur conservé comme si son propriétaire venait de le quitter momentanément laissant son bureau encombré de manuscrits en cours de rédaction. Parmi les objets fixés aux murs, une carte postale de cette époque révolue montrant le front de mer comme on en rêverait aujourd’hui.
Puis c’est le départ avec une dernière fois un regard admiratif sur la porte d’Aval et l’Aiguille depuis la chapelle Notre-Dame-de-la-Garde surplombant la porte d’Amont. Là se trouve une grande sculpture commémorant la disparition de Nungesser et Coli.
Initialement, nous avions l’intention d’aller dans les pas de Notre Grand Héros, Alexandre Dumas qui est mort chez son fils AD fils, à Puys près de Dieppe, à une centaine de kilomètres de là, vers le Nord. Mais finalement, nous avons renoncé car il y n’y a, semble-t-il, plus grand-chose à voir… Direction Villequier, dans une des maisons d’un autre de nos héros littéraires : Victor Hugo. Empruntant des petites routes perdues, voire improbables, dans la magnifique campagne française (pour cela, mettre le GPS sur trajet « économique ») bordées ça et là d’immenses champs de lin en fleur, nous arrivons dans cette commune de Rives-en-Seine qui connut dans la première moitié du XIXe siècle le bonheur et le drame de Didine, la fille de Victor Hugo, Léopoldine mariée depuis peu à Charles Vacquerie dont la maison de famille est devenue un lieu de « pèlerinage » et de souvenirs de la famille Hugo et Vacquerie après le drame de la noyade des deux époux dans le Seine, presque en face de la Maison…, et qui inspira à notre poète :
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
…
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. (3 septembre 1947)
Extraits du journal Le Siècle des 7 et 9 septembre 1843 dans lesquels Victor Hugo apprit la mort de Léopoldine
Emouvante visite, comme toujours, de ces maisons où de grands artistes ont séjourné, ont souffert quelquefois et ont créé…, pour nous laisser les marques de leur passage au travers de leurs œuvres qui les font « sur-vivre » au-delà de la tombe… Un exemple parmi d’autres : le moule de la main droite de Toto, comme l’appelait sa Juju, celle-là même, la main, qui a tout écrit, l’outil de son cerveau, cette « griffe » infatigable transcrivant ses pensées, son imagination fertile, ses douleurs…, Lui, le « roi de la formule », le « prince du Romantisme ». Ces lieux de séjour et de création sont autant de sanctuaires intimes ; c’est comme si ces Grands Hommes étaient encore là et que nous les regardions travailler.
Puis remontant la Seine, sur la rive Gauche et peu avant Rouen, le Pavillon Flaubert, fermé, et le musée Flaubert et d’histoire de la médecine dans la ville même… Et pour finir en beauté notre périple et à quelques Kms de notre Casa, Le Domaine de Monet à Givergny où il y a une exposition temporaire tout à fait remarquable sur « Japonisme et Impressionnisme », entrée gratuite !
Falaise des Fous - Patrick Grainville - Seuil - 643 p. - ISBN 978.2.02.137537.4