Dérapage - De beaux lendemains - Russell Banks
C'est l'histoire d'un accident de bus scolaire dans le Nord de l'état de New-York. Dans la neige, les montagnes, le froid et les forêts à perte de vue. C'est l'histoire d'un drame de la perte d'un enfant dans un accident et même d'une dizaine d'enfants. Et puis, il y a les rescapés, ceux qui ne sont pas vraiment morts, sauf la moitié inférieure du corps de Nicole, quatorze ans, et qui se retrouve dans une chaise roulante ; ou la mort "sociale", comme l'exclusion, de Dolores, femme d'une cinquantaine d'années, qui conduisait le bus... Dans cette communauté villageoise perdue dans les montagnes désolées du Nord-Americain, la consternation douloureuse puis la colère et la vengeance, sans exclure une certaine cupidité et la tentation de tirer parti de cet accident, vont conduire les parents des victimes à accepter initialement un "procès pour négligence" (et donc des indemnisations), proposé par un avocat, M. Stephens. Mais c'est sans compter sur les drames et les secrets de famille antérieurs à l'accident. Condamnée à vie dans son fauteuil roulant, Nicole élabore un plan de contre-attaque pour changer le cours de sa destinée. Elle veut reprendre le contrôle de sa vie. La petite fille docile et soumise subit une métamorphose et tel l'ange d'une rédemption accomplissant un acte de sauveur messianique, elle s'ouvre la voie de la sauvegarde, de la déculpabilisation éventuelle. Ce rayonnement pourra resplendir sur tous les membres de sa famille, et de la communauté même si...
"Ça n'aurait pas vraiment d'importance, mais ensuite nous pourrions peut-être redevenir une famille normale. Mari et femme, parents et enfants, frères et sœurs, tous confiants les uns dans les autres, sans secrets. Sauf le gros secret, bien entendu. Lequel resterait toujours là, quoique je fasse, telle une énorme tache violacée sur mon visage, une chose visible..." (p.256)
Parasite assoiffé des états d'âme et des prises de conscience de ses personnages, Russell Banks prête sa plume aux quatre "victimes" survivantes de l'accident. Au travers de leurs témoignages, entrecoupés de soliloques contants et racontant leurs vies de souffrance quotidienne, l'empathie du lecteur est saisie de compassion et de révulsion, tour à tour, pour atteindre à une certaine sérénité finale, même si tout n'est pas réglé et peu s'en faut! Les derniers mots sont d'ailleurs parfaitement explicites : "... et le retour rassurant de l'obscurité familière."
Tout tient dans ce livre au dérapage ; le dérapage du bus se confond aux propres dérapages de la vie des personnages, comme si l'accident ne constituait qu'une couche supplémentaire de leur drame personnel. Mais Nicole, "c'est une fille ravissante, de toute façon, à quatorze ans elle est belle comme une star de cinéma, pratiquement - et elle agitait lentement une main, telle une sainte dans une procession religieuse ou quelque chose comme ça, et les gens l'applaudissaient en reculant pour laisser passer sa chaise roulante. " (p.304), resplendira auréolée de sa victoire sur elle-même et sur l'adversité.
De beaux lendemains - Russell Banks - Babel - Traduit de l'anglais par Christine Le Boeuf - ISBN 978-2-7427-1444-5
Un film a été tiré de ce livre. Atom Egoyan en est le réalisateur. Il a obtenu le grand prix du jury au festival de Cannes de 1997.