Douze hommes dans un fumoir - Les Luminaires

Ce soir-là, ils sont douze hommes dans le fumoir de l'hôtel de la Couronne à Hokitika, Nouvelle-Zélande. Nous sommes le 27 janvier 1866. Manquent deux femmes Anna et Lydia, un politicien très en vue, Alistair Lauderback, le capitaine du bateau l'Adieu-vat, Francis Craver, et naturellement..., le décédé Crosbie Wells... La pluie n'a cessé de tomber depuis des jours et des jours sur cette côte ouest de l'île du sud de la N-Z, alors que le Soleil est en capricorne...

Treizième homme de cette soirée, un intrus, jeune homme fraîchement débarqué ce jour-là et justement du bateau l'Adieu-vat : il s'appelle Walter Moody. Il rentre, sans y être vraiment invité, dans ce cercle improvisé plus que fermé, dans cette assemblée improbable réunissant neuf "blancs", deux chinois et un naturel Maori... L'arrivée du jeune homme inconnu va progressivement délier les langues ; les participants nous content des histoires et mettent à jour des révélations et progressivement la vérité apparaît..., toute la vérité..., rien que la vérité. En fait, ils ont tous leur vérité, tous leurs petits ou grands secrets sur l'Affaire. "À ses yeux, la vérité était perfectible, et une vérité parfaite ne pouvait pas ne pas être absolument belle et entièrement claire." (p. 431)

Quinze jours auparavant, le 14 janvier 1866, Crosbie Wells est retrouvé mort dans sa cabane par son demi-frère... Qui et pourquoi l'a-t-on tué ? En tout cas, le vol n'a pas été le motif, car sont retrouvés des lingots d'or pour une valeur énorme de quatre milles Livres Sterling... Et puis il y a l'histoire des cinq robes, surtout l'orange..., et puis il y a les vieilles histoires qui remontent à la surface, les chantages, les intimidations, les morts dans le placard, les histoires d'amour, etc. Et puis il y a le fléau de l'opium, récemment orchestré par les Anglais..., et l'alcool...

Dans cette ville côtière qui vient de naître, les aventuriers, essentiellement d'origine britannique, sont là uniquement pour les placers, pour devenir diggers, pour se partager dans la poussière, la pluie et la boue, les pépites de cette ruée vers l'or qui bat son plein ces années-là dans l'hémisphère sud.

La narration est dense et labyrinthique. Les douze personnages réunis dans ce fumoir ne sont pas des amis, ils ne sont pas là pour comploter, mais pour s'expliquer et pour donner leur version des faits, "ils étaient... comment dire ? Impliqués ? Compromis ? Entortillés ? Moody fronça le sourcil. Il ne trouvait pas le mot juste pour définir le fil qui courait entre eux." (p. 422) Dès les premières pages on est happé dans ce dédale d'histoires qui s'entrechoquent ; la très imposante qualité littéraire des descriptions et des portraits des personnages, doublée d'une intrigue policière complexe et haletante et d'une chasse au trésor non moins palpitante, impose au lecteur (s'il ne se l'impose lui-même par la fébrilité de vouloir percer le mystère...) de persévérer pour reconstituer ce puzzle géant. Un bol d'air, une boue de sauvage l'attend p. 411 alors que Mercure est en Sagittaire ; on sait enfin qui sont les douze personnages dans le fumoir et le livre peut vraiment commencer... Il reste cinq cents pages, encore et encore tout aussi captivantes..., même si tout ne sera pas dit... (incroyable et surprenante subtilité littéraire), de façon explicite, mais le lecteur attentif l'aura noté et retenu..., p. 921, par exemple...

L'utilisation des points de suspension est fréquente dans le texte et contribue - avec les qualités surajoutées de la narratrice (hors pair) et associées à un style brillant et déjà bien affermi, doublées de connaissances polyvalentes, scientifiques, historiques, juridiques, etc., déjà très solides - à rendre sa lecture passionnante et addictive...; et surtout lorsqu'on sait que son auteure a... à peine trente ans... Une grande Conteuse est née...

Les Luminaires - Eleanor Catton - Buchet.Chastel - traduit de l'anglais pas Erika Abrams - 2014 - ISBN 978-2-283-02648-9