La vie des Shelley au bord du lac de Genève d'après Timothy Shaw

Publié le par kate.rene

 shelley maryshelley percy

SHELLEY, Percy Bysshe (1792-1822)

Poète anglais.

[et]

SHELLEY, Mary Wollstonecraft (1797-1851)

Romancière anglaise.

La première semaine de mai 1816, Percy et Mary Shelley, leur bébé, William, et la belle soeur de Mary, Claire Clairemont,byron claire clairmont prirent un bateau à Douvres pour la France. Ils débutaient leur second voyage sur le continent, qui devait les amener jusqu'au lac de Genève. De Dijon ils voyagèrent jusqu'aux contreforts du Jura, où le temps devint si mauvais que Shelley décida de traverser les montagnes par le col plus accessible qui descend sur Nyon plutôt que par le col de la Faucille qui les aurait amenés directement à Genève ; cependant, sur la route de Nyon ils durent louer les services de quatre chevaux et dix hommes pour les guider et manoeuvrer leur attelage au travers des embûches de la route. La neige tombait dru, et Mary écrivit ‘... jamais (je n'ai vu) de scène plus horriblement désolée.’ Ils s'installèrent dans le célèbre Hôtel de l'Angleterre de Dejean à Sécheron à la sortie de Genève sur la route de Lausanne ; la chambre confortable, la vue et les abords du lac furent grandement appréciés.  ‘Des fenêtres nous pouvons voir le magnifique lac... la rive opposée en pente et couverte de vignes... les crêtes des montagnes noires s'élançant loin au-dessus, mêlées aux Alpes enneigées, le majestueux Mont Blanc, le plus haut et le roi de tous... Nous avons loué un bateau, et chaque soir, aux environs de six heures, nous naviguons sur le lac, ce qui est délicieux...’ Il faisait chaud, et à la mi-journée, les Shelley restaient à l'hôtel et lisaient des textes en latin et en italien. Environ deux semaines après leur arrivée, le 23 mai, la grande, impériale voiture transportant Byron et sa suite vint encombrer la cour de l'hôtel ; ce moment était attendu impatiemment par Claire Clairemont déterminée à renouer sa trop brève histoire d'amour avec le poète. D'après Polidori, les Shelley et peut-être Claire rencontrèrent Byron alors qu'il descendait d'un bateau sur le ponton de l'hôtel. Le même soir, les deux poètes dînèrent ensemble ; et là commença, après que manque d'assurance et timidité premières ont été surmontées, la plus singulière amitié entre deux hommes aux personnalités si complètement différentes. Cette amitié ne devait s'interrompre qu'à la mort de Shelley. Le 1 juin les Shelley quittèrent l'hôtel pour emménager dans une petite maison, alors connue comme la maison chapuisMaison Chapuis, de l'autre côté du lac, à Montalegre. Cette maison (très proche en 1816 du petit port) et dont il ne reste aujourd'hui qu'une cave et une grange ou étable, a été identifiée avec certitude par le Professeur H. W. Hausermann dans un brillant essai, The Genevese Background, 1952. Derrière la maison, les vignes s'étendent jusqu'à Cologny, et devant, au fond d'un jardin en pente douce et d'un champ repose le lac. Dans la maison, tandis qu'elle travaillait sur Frankenstein, shelley frankensteinMary se rappelait ‘le parquet noir, les volets clos, la lune filtrant au travers, et la sensation du miroir du lac et les hautes Alpes blanches juste derrière.’ Les vignes environnantes et le petit port ont maintenant disparu, au plus tard quand la route principale du bord du lac vers Thonon fut tracée, vers la fin du XIXe siècle. Le 10 juin 1816 Byron et sa suite quittèrent aussi l'hôtel Dejean, et traversèrent le lac ; villa diodatiByron loua la Villa Diodati, la grande et élégante maison de maître construite par Gabriel Diodati entre 1710 et 1720, qui était proche mais un peu plus sur les hauteurs que la Maison Chapuis. Les Shelley et Byron étaient maintenant voisins. Claire Clairemont était bien sûr ravie et fut bientôt enceinte ; Byron et Shelley achetèrent leur propre bateau ; et commencèrent leurs sorties sur le lac ; les Shelley s'installaient pour lire Theocrite, Aeschyle, les historiens grecs, latins et français, Montaigne, Locke, Milton et Spenser. Le temps se détériora, et l'été vit les pires records de pluie, les récoltes dévastées, la famine qui s'ensuivit pour les paysans de Savoie et du Pays de Vaud. À la Villa Diodati, les conversations littéraires et philosophiques qui se prolongeaient tard dans la nuit furent interrompues par des tempêtes d'orage énormes, avec leurs assourdissants coups de tonnerre et leurs longs éclairs qui illuminaient pour une seconde la totalité de la rive opposée. Une de ces tempêtes, couplée au fait que chacun avait lu des romans gothiques et une traduction française de 1812 d'un livre d'histoires de fantômes allemand appelé Fantasmagoriana, fut à l'origine de la compétition d'histoires d'horreur bien connue qui donna naissance au Vampire de Polidori et au Frankenstein de Mary Shelley. Les détails de cette histoire nous sont connus au travers de journaux et de lettres, mais particulièrement grâce à la préface de 1831 au Frankenstein, qui fut écrite par Mary Shelley elle-même. Au départ ce n'était qu'une simple et courte histoire dont l'essentiel fut écrit le 18 juin, étoffée sous les encouragements de Shelley pour devenir un roman à part entière ; manifestement, Mary travailla dessus lors de leur visite à Genève puisque l'action ne se situe pas uniquement sur le lac de Genève, mais aussi dans la vallée de l'Arve, à Chamonix, à la Mer de Glace à Montenvers et au Mont Blanc. Le 23 juin 1816 Byron et Shelley, avec un domestique et deux marins embarquent à bord de leur propre bateau pour faire un tour du lac. Pendant le voyage, Shelley lut pour la première fois La nouvelle Heloïse, et fut enchanté par l'histoire de Julie et Saint-Preux ‘sur le lieu même où l'histoire se situe’. Au même moment, il ébaucha et probablement écrivit l'Hymn to Intellectual Beauty. Ils s'arrêtèrent à Hermance et Nernier et passèrent une nuit à Évian, où Byron eut un différent avec le maire car il n'avait pas de passeport (ils étaient en territoire Sarde) et où Byron s'est plaint que la ville était minable et les femmes peu attrayantes. Le lendemain, 24 juin, ils naviguèrent dans une mauvaise et dangereuse tempête entre Meillerie et St. Gingolph. Le marin fit une faute de navigation ; le bateau commença à prendre l'eau, et dériva à moins de cents mètres de rochers acérés où un dangereux ressac se brisait. Byron, très bon nageur, donna à Shelley, qui ne voulait pas nager du tout, un bon conseil : il lui était possible de se sauver lui-même sans trop de difficulté ; mais Shelley, assis les bras croisés, l'envoya promener, priant Byron avec emphase de ne penser qu'à lui-même. Heureusement, le bateau fut redressé et stabilisé et put regagner le port de St. Gingolph, où ‘les habitants descendirent et félicitèrent le marin de leur sauvetage, le vent ayant été assez fort pour abattre de forts arbres dans les Alpes au-dessus de nous, de sorte que nous pûmes voir le lendemain.’ (Shelley devait mourir six ans plus tard de noyade - NdT).shelley percy by pip Wilson Ce fut une expérience très intense. Les poètes passèrent la nuit à St. Gingolph ; le matin, Shelley passa un moment à explorer la romantique et montagneuse vallée de la Morge, le petit cours d'eau qui alors, comme maintenant marque la frontière entre la Suisse et la Savoie. Byron et Shelley poursuivirent leur croisière autour du lac. Le 26 juin, ils abordèrent pour visiter le château de Chillon, Vevey et Clarens, où, leur "Rousseau" en main, ils cueillirent des roses dans le Bosquet de Julie. Entre les 27 et 29 juin, le mauvais temps refit surface et ils s'arrêtèrent à Ouchy, à l'Hôtel de l’Ancre (aujourd'hui l'Hôtel de l’Angleterre), où Byron écrivit The Prisoner of Chillon. château de chillonÀ Lausanne ils visitèrent le jardin de Gibbon, et le 1er juillet ils étaient de retour à Genève. Entre les 21 et 27 juillet, laissant le bébé William aux bons soins de la nurse suisse appelée Élise, Shelley, Mary et Claire Clairemont (au soulagement de Byron) partirent pour Chamonix et le Mont Blanc. Cette excursion et le spectacle impressionnant de la vallée de l'Arve sont bien décrits dans le troisième journal de Mary ; ce fut pendant qu'il s'attardait sur un des ponts qui traversent l'Arve que Shelley écrivit Mont Blanc ‘sous la sensation immédiate de... profonds et puissants sentiments...’ Ils traversèrent Bonneville et Cluses, et passèrent leur première nuit à Sallanches, où Shelley laissa probablement une de ses inscriptions en grec ‘democratic-atheist’ sur le registre de l'hôtel ; ils s'arrêtèrent la nuit suivante à l'Hôtel de Londres à Chamonix, où le registre reçut une autre inscription en grec  (la feuille du registre fut plus tard arrachée par un touriste anglais, puis devint la possession de Lord Houghton, fut vue et copiée par Swinburne, pour finir dans la bibliothèque de Lord Crewe, où Sir Gavin de Beer la vit). Le 23 juillet tout le groupe visita la source de l'Arveyron, et plus tard, Shelley alla seul au Glacier des Bossons. Le 24 juillet Shelley et Mary enfourchèrent des mules pour se rendre à Montenvers mais durent faire demi tour à cause du mauvais temps et d'une avalanche. Le jour suivant, avec Claire, ils essayèrent à nouveau et furent plus chanceux, atteignant la Mer de Glace, où Shelley écrivit une autre inscription grecque sur le livre des visiteurs ;  et Mary décrivit l'ambiance étrange et désolée du grand glacier pour l'utiliser plus tard pour l'un des épisodes clé de Frankenstein, la rencontre entre le monstre et son créateur après le meurtre de William. Le soir du 27 juillet, les Shelley étaient de retour et retrouvaient leur enfant à la Maison Chapuis. Le trente-quatrième anniversaire de Shelley tombait le 4 août, et le 2, Shelley et Mary vinrent à Genève pour lui acheter un télescope. Quand arriva le 4, ils sortirent sur le lac avec leur bateau ; Mary lut Virgile à haute voix, et Shelley lança un ballon enflammé. Le 14 août M. G. Lewis (l'auteur du Moine - NdT) arriva à la Villa Diodati ; et le 20 août, Shelley, Byron et Polidori furent témoins pour le codicille de son testament dans lequel il désirait rendre leur liberté aux esclaves de ses plantations des Indes Occidentales. Le 26 août deux autres vieux amis de Byron arrivèrent, Hobhouse et Scrope Davies ; le 29 août Shelley, Mary, William, sa nurse suisse, et Claire Clairemont quittèrent tous la Suisse pour l'Angleterre, emportant avec eux les manuscrits du troisième chant de Childe Harold, The Prisoner of Chillon, et le premier acte de Manfred, que Shelley devait livrer à John Murray pour publication. Du côté des Shelley, en plus de l'Hymn to Intellectual Beauty, Mont Blanc, et Frankenstein (Londres, 1818), le séjour sur le lac de Genève inspira de nombreux très bons journaux et correspondances, ainsi que le compte-rendu du voyage qui fut publié en 1817 en seconde partie de l'History of a Six Weeks Tour. Ce fut, bien sûr la première et unique visite de Shelley à Genève. Mais ce ne fut pas la dernière pour Mary. En septembre 1840, rentrant d'un tour d'Italie en compagnie de son fils, Percy Florence Shelley, elle franchit le Simplon, et voyagea par la rive nord du lac de Vevey à Genève. Par un jour morne et froid, elle traversa le lac en bateau et une fois encore alla revoir la Maison Chapuis, la Villa Diodati et le petit port, les vignes et derrière, les collines en terrasses. ‘Étais-je la même personne, celle qui vécut là, la compagne de la mort ?  Car tous ont disparu ; même mon jeune enfant... il est mort dans l'enfance - pas un espoir, même embryonnaire, ne l'a ouvert à la maturité ;  la tempête, la ruine et la mort sont passées et ont tout détruit.’ Rambles in Germany and Italy etc., Londres, 1844.

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